L’homélie prononcée dimanche par le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, a provoqué une campagne hostile dans les milieux pro-Hezbollah.
Après avoir lourdement critiqué les accrochages en cours entre le parti chiite et Israël, le prélat maronite est visé par une campagne lancée sur les médias sociaux avec un hashtag l’assimilant à un traître (Raï el-oumala’ ou le « gardien des collaborateurs » en arabe, en jouant sur le sens en arabe du nom de famille du patriarche).
Parmi les messages critiquant la position du patriarche, de nombreux utilisateurs partagent une vidéo de 2014 dans laquelle Mgr Raï défend les Libanais vivant en Israël. Que savons-nous de cette vidéo et de la déclaration attribuée au patriarche ?
Le contexte dans lequel la vidéo a refait surface
Le conflit entre le Hezbollah et l’armée israélienne dans le sud du Liban, qui a éclaté au lendemain de l’attaque du 7 octobre 2023 par le Hamas dans le sud d’Israël et la riposte israélienne meurtrière contre la bande de Gaza, a fait 174 morts dans les rangs du parti chiite. À ce bilan s’ajoute celui de 20 civils tués par des frappes israéliennes.
Critiquant le Hezbollah sans le nommer, Mgr Raï a déclaré dimanche que la situation au Liban-Sud était due à « la politique imposée » aux habitants de la région, citant par ailleurs des témoignages d’habitants du Sud qui critiquent en particulier le fait qu’en raison des bombardements, leurs enfants sont « privés d’éducation et de divertissement ».
À la suite de ces propos, une campagne a été lancée sur X (ex-Twitter) et le mufti jaafarite pro-Hezbollah Ahmad Kabalan a publié un communiqué critiquant implicitement le patriarche maronite et l’accusant de « poignarder la guerre la plus sainte et la plus importante sur le front sud ».
Que contient la vidéo ?
Deux extraits vidéo sont principalement partagés sur les médias sociaux. Ils montrent Mgr Raï s’adressant à une congrégation lors de sa visite en Israël en mai 2014, qu’il a effectuée aux côtés du pape François.
La loi libanaise interdit tout contact avec les Israéliens et les Libanais qui se rendent en Israël sont passibles de haute trahison. Des dérogations existent toutefois pour les ecclésiastiques responsables des quelque 10 000 maronites vivant dans le pays.
Lors de sa tournée en Israël, et entre autres visites, Béchara Raï avait prononcé un discours dans la paroisse maronite de Haïfa. « Le groupe qui a été forcé de quitter le Liban en 2000 s’était-il battu contre le Liban ? Avait-il combattu le gouvernement libanais ? A-t-il combattu les institutions libanaises ? Nous les appelons des traîtres, je refuse complètement ce discours », avait-il alors déclaré.
De même, il avait souligné auprès du correspondant de la chaîne LBCI dans les territoires occupés, Amal Chehadé, qu’il refusait que le contact avec ces Libanais (installés en Israël, NDLR) soit coupé et que ces derniers soient « juste bons pour la prison et l’oubli », tout en rejetant également l’idée d’une amnistie pour ceux d’entre eux qui sont coupables de crimes.
« Ici, les (Libanais vivant en Israël) aiment le Liban plus que n’importe quel résident là-bas », avait également déclaré le prélat maronite dans un second discours prononcé au cours de la même visite.
Qui sont les Libanais partis en Israël en 2000 ?
Environ 7 500 Libanais, dont certains sont accusés de collaboration avec Israël pour avoir combattu dans les rangs de l’Armée du Liban-Sud (ALS) ou pour avoir travaillé de l’autre côté de la frontière, vivent aujourd’hui dans l’État hébreu.
L’ALS était une milice majoritairement libanaise créée par des dissidents de l’armée libanaise et composée d’environ 5 000 hommes. L’ALS a combattu les fedayins palestiniens et le Hezbollah avec le soutien militaire d’Israël, avant de se désintégrer avec le retrait des forces israéliennes du Liban-Sud en mai 2000. Considérés, sous l’impulsion du Hezbollah, comme des renégats, la plupart de ses membres ont fui le Liban et se sont réfugiés en Israël.
En 2011, le Parlement libanais a adopté une loi proposée par le Courant patriotique libre (CPL) et soutenue par les Forces libanaises et le parti Kataëb afin de régulariser la situation de ces Libanais. Celle-ci prévoit le retour en toute sécurité de tous ceux qui n’ont pas joué un rôle actif dans l’ALS, principalement des femmes et des enfants, et un procès équitable pour ceux qui sont considérés comme des collaborateurs. Mais les décrets d’application de cette loi n’ont jamais vu le jour, notamment en raison de l’opposition du Hezbollah, malgré l’accord passé entre ce parti et le CPL en 2006, qui prévoit la possibilité pour les deux parties de s’entendre sur une solution pour ces exilés.
De qui parlait Raï en 2014 ?
Le discours de Béchara Raï en 2014 avait créé un débat sur la question de savoir s’il défendait les militants de l’Armée du Liban-Sud ou seulement leurs familles et d’autres Libanais vivant en Israël.
En 2014, des médias proches du Hezbollah avaient fortement critiqué le patriarche Rai à la suite de ce discours, lui demandant de présenter des excuses et l’accusant d’être un traître.
Le porte-parole de l’Église, Walid Ghayad, avait alors déclaré à la chaîne al-Jazeera que Mgr Raï voulait s’adresser aux « familles, en particulier aux femmes et aux enfants », dans les discours qu’il avait prononcés lors de sa visite en Israël. M. Ghayad a ajouté que le prélat faisait la distinction entre les traîtres et leurs familles et qu’il n’avait jamais voulu s’adresser aux traîtres « qui sont publiquement connus pour avoir traité avec Israël, leurs affaires sont gérées par l’État et ils sont soumis aux lois libanaises ».
commentaires (10)
"Les chiens aboient la caravane passe". L'ALS n'a pas collaboré mais coopéré avec Israël pour sauver le Sud aux ordres de l’état Libanais de l’époque. Tous étaient impliqués, Chrétiens comme musulmans qui d'ailleurs représentaient 75% des effectifs de l'ALS. Le Hezbollah par contre lui collabore ouvertement et de plein gré avec la Syrie et l'Iran contre les intérêts et la volonté de plus de 60% des Libanais. Qui va les juger eux? Ce dossier n'en ai pas un et il est temps de le clore une fois pour toute.
Pierre Christo Hadjigeorgiou
14 h 01, le 30 janvier 2024