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Les gros sabots

Parce qu’il n’y a pas hélas de guerre propre, et que les lois régissant les conflits armés n’ont été établies que pour être violées. Parce que les guerres dites justes ne sont à leur tour qu’utopie, du moment que les agresseurs les plus confirmés sont invariablement convaincus de leur bon droit. Pour tout cela, nous nous retrouvons, étouffant de rage impuissante, à faire tous les jours, depuis des mois, le décompte des horreurs commises par Israël dans la bande de Gaza.


C’est entendu, guerre et justice ont bien du mal à cohabiter. Mais obnubilés par le martyre de Gaza, sommes-nous assez conscients de la mise à mort prononcée contre toute velléité de justice dans notre propre pays, ce Liban que l’on a longtemps supposé béni des dieux ? Glaçante de réalité est pourtant cette entreprise tout-terrain, indifféremment menée en temps de guerre ou de paix. Impunis sont invariablement demeurés les nombreux assassinats qui ont ironiquement jalonné les premières années du millénaire ; le plus grave, celui d’un ancien Premier ministre, avait d’ailleurs nécessité le recours à un tribunal international.


C’est aussi en période de calme à la frontière sud que l’explosion d’un stock de nitrate d’ammonium, criminellement entreposé dans le port de Beyrouth, se soldait par une effroyable hécatombe et par la destruction de quartiers entiers de la capitale. Il serait évidemment superflu de revenir sur toutes les campagnes de dénigrement, manœuvres d’intimidation, menaces explicites et mesures prétendument disciplinaires qui ont visé le magistrat Tarek Bitar, chargé d’instruire cette affaire, et qui n’avait pas craint de délivrer des mandats contre des personnages haut placés aux plans politique, sécuritaire ou même judiciaire. Impensables partout ailleurs, de telles pratiques font désormais partie de notre hideux folklore procédurier. Car pour ligoter l’indomptable investigateur, pour invalider tout récemment les poursuites qu’il avait engagées, il aura nécessairement fallu le concours de magistrats : et non des moindres, pour leur plus grande honte. Concours actif et pas toujours bénévole, comme le soutient publiquement le courageux journaliste d’investigation Riad Tawk. Ce dernier a nommément accusé un de ces juges d’avoir bénéficié de transferts de fonds à l’étranger en pleine période de restrictions bancaires affectant le peuple tout entier : un peuple spolié de ses avoirs et économies, un peuple censé être protégé, lui et ses biens, par la loi.


Significatif est le timing choisi par ces magistrats du parquet pour se hasarder, avec leurs gros sabots, à donner le coup de grâce à cette même institution dont ils sont censés être les vigilants gardiens. Tout se passe en effet comme si aux yeux de ces messieurs en toge noire, le peuple avait pour seul souci en ce moment les risques d’une conflagration générale avec Israël. Après tout, doivent-ils se dire, c’est seulement un agonisant que l’on achève là. Il n’empêche que leur geste rappelle irrésistiblement celui du bourricot de la fable trouvant le singulier courage de piétiner furieusement le lion gisant, moribond, à terre. Qu’ils n’y voient surtout aucune atteinte personnelle, un tel comportement est communément appelé le coup de pied de l’âne.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Parce qu’il n’y a pas hélas de guerre propre, et que les lois régissant les conflits armés n’ont été établies que pour être violées. Parce que les guerres dites justes ne sont à leur tour qu’utopie, du moment que les agresseurs les plus confirmés sont invariablement convaincus de leur bon droit. Pour tout cela, nous nous retrouvons, étouffant de rage impuissante, à...