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Moyen-Orient - ÉCLAIRAGE

À la frontière syro-jordanienne, le transit d’armes lourdes attise les tensions

Les activités de contrebande se sont intensifiées dans le nord du royaume hachémite, provoquant une série d'affrontements entre les deux voisins. Un phénomène qui pourrait être directement lié à la guerre dans la bande de Gaza.

À la frontière syro-jordanienne, le transit d’armes lourdes attise les tensions

Des soldats de l’armée jordanienne patrouillent le long de la frontière avec la Syrie pour empêcher le trafic, le 17 février 2022. Photo AFP

Point de passage pour le trafic de drogue, la frontière syro-jordanienne attirait déjà la vigilance accrue des douaniers. Depuis quelques semaines, elle est plus que jamais sous le feu des projecteurs. Des mouvements inhabituellement importants de contrebande ont transformé la zone en théâtre d’affrontement entre les forces de sécurité jordaniennes et les trafiquants en provenance de Syrie, accusés par Amman d’être affiliés aux milices pro-iraniennes. Sur fond de guerre à Gaza, les tentatives d’infiltration ont nettement augmenté, alors que le royaume hachémite représente un itinéraire privilégié pour acheminer des armes létales vers la Cisjordanie. Ces dernières portent avec elles le risque de déstabilisation du pays, faisant du contrôle de sa frontière nord un enjeu sécuritaire primordial. Frontalière d’Israël et cernée par la Syrie et l’Irak, la Jordanie tente depuis le 7 octobre de se prémunir contre tout débordement du conflit sur son territoire, recourant entre autres à l’aide de ses partenaires et alliés.

Depuis la mi-décembre, les fusillades et les raids menés par la Jordanie s’intensifient. Le 18 décembre, des contrebandiers et des militants transportant de la drogue et des armes ont pris d’assaut la frontière jordanienne lors d’une opération d’ampleur impliquant jusqu’à 220 hommes lourdement armés, bénéficiant par ailleurs de conditions météorologiques favorables, la zone étant plongée dans un épais brouillard à cette période de l’année.

« On observe un nouveau style d’opération, dans la nature et la méthode, cherchant des conflits et des batailles avec l’armée jordanienne de manière à créer des points chauds aux frontières ou à l’intérieur du territoire jordanien », commente Amer al-Sabaileh, expert en géopolitique et chercheur non résident pour le centre de réflexion Stimson. Selon des responsables de la sécurité et des membres de l’opposition syrienne, ces insurgés auraient été aidés par la participation directe de miliciens liés au Hezbollah, parrainé par Téhéran. Et la réplique du royaume n’a pas tardé. Ce mardi, des avions jordaniens ont effectué quatre frappes à l’intérieur de la Syrie contre des fermes et des hangars présumées de trafiquants de drogue liés à l’Iran. Selon le média syrien d’opposition Suwayda 24, les frappes ont visé les villes de Shaab et d’Arman, dans la province de Soueida, contrôlée par le régime. Le deuxième raid de ce type en l’espace d’une semaine : samedi, l’armée jordanienne avait annoncé avoir tué plusieurs contrebandiers qui auraient tenté de franchir la frontière nord depuis la Syrie.

« Agendas extérieurs »

« Plus que des tentatives de contrebande, il s’agit plutôt d’invasions, avance Riad Kahwaji, directeur de l’Institut d’analyse militaire pour le Proche-Orient et le Golfe (Inegma) basé à Dubaï. C’est du jamais-vu : ces groupes lancent des attaques non seulement pour introduire des produits narcotiques ou des armes servant pour des délits mineurs, mais aussi pour acheminer des roquettes d’artillerie, des armes guidées, des explosifs… » Selon des informations révélées début novembre par le Wall Street Journal, le flux d’armes en provenance d’Iran vers la Cisjordanie – via le territoire jordanien – en vue d’équiper son partenaire du Jihad islamique palestinien a considérablement augmenté l’année dernière. Peu avant le début de la guerre, un itinéraire iranien de contrebande vers la Cisjordanie passant par la Syrie et la Jordanie a été découvert, note par ailleurs le quotidien israélien Haaretz. Des explosifs puissants et des armes de poing auraient été introduits par cette voie. L’ampleur actuelle du trafic d’armes lourdes en Jordanie est un phénomène nouveau qui pourrait être « très lié à la guerre dans la bande de Gaza en ce moment », soutient pourtant Riad Kahwaji.

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Pour les autorités du royaume, le coupable est tout trouvé : « La responsabilité incombe à l’État syrien pour toute présence de milice, quels que soient ses liens avec elle », a déclaré le brigadier Mustafa al-Hiyari, porte-parole de l’armée, dimanche dernier. « Derrière cette action organisée se cachent des agendas extérieurs », s’est-il contenté d’affirmer, dans une allusion à peine voilée aux soutiens du régime. L’Iran et le Hezbollah ont pour leur part rejeté ces allégations, les considérant comme un « complot occidental contre la Syrie ». Alors que Bachar el-Assad a fait l’année dernière son retour au sein de la Ligue arabe, la Jordanie avait pourtant atténué ses critiques à l’égard de Damas, considéré comme un narco-État pour son rôle dans la production et le trafic de captagon. Aux premières loges des conséquences de la guerre civile déclenchée par le dirigeant syrien, le royaume hachémite s’était déjà rapproché du régime syrien vers 2021, alors que la Jordanie dit accueillir 1,2 million de réfugiés depuis 2011 (un chiffre contesté par l’ONU qui recense près de 650 000 Syriens enregistrés).

Duplicité

Mais face à la multiplication des activités de contrebande, la coopération syro-jordanienne semble plus que jamais être mise à mal, alors que le régime de Damas n’a pas mis en œuvre ses promesses après sa réintégration dans le giron arabe et n’exerce qu’une autorité limitée en matière de sécurité, ayant un contrôle partiel de son territoire. « Les Iraniens et les Russes exercent un contrôle total, en particulier sur certaines parties du Sud », explique Riad Kahwaji, notant également la présence du Hezbollah dans les zones proches de la frontière jordanienne. Des nouvelles qui n’ont rien de rassurant pour la monarchie jordanienne. Dans son quatrième mois, le conflit à Gaza menace plus que jamais de s’étendre à d’autres théâtres d’opération, face aux attaques des houthis yéménites en mer Rouge et aux assassinats ciblés conduits par Israël et les États-Unis. « Les groupes soutenus par l’Iran profitent de la guerre pour intensifier ces activités de contrebande et faire transiter des armes qui pourraient être destinées à des groupes d’insurgés en Jordanie ou en Cisjordanie », poursuit le chercheur.

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Avec l’aide israélienne, la Jordanie avait mis en place des dispositifs de sécurité le long des frontières avec la Cisjordanie pour empêcher la contrebande dans les deux sens. Une coopération qui pourrait également s’intensifier dans le nord du pays, estime Amer el-Sabaileh, malgré les risques pour la Jordanie d’être accusée de duplicité par sa propre population. Amman tient officiellement une position historique propalestinienne extrêmement populaire dans le pays où 60 % de la population totale est d’origine palestinienne, mais craint de l’autre côté que les points de passage à sa frontière avec la Cisjordanie ne permettent de nouveaux flux massifs vers le royaume en cas de déstabilisation des territoires occupés. Bénéficiant d’une aide annuelle d’environ 1,5 milliard de dollars de Washington, le royaume avait demandé le 31 octobre à son allié l’envoi d’un système de défense aérien. « L’importance de la Jordanie en tant qu’allié occidental rend encore plus crucial le fait de relever ces défis et d’assurer sa sécurité », estime Amer el-Sabaileh, qui prévoit un renforcement des relations entre le royaume et les États-Unis en matière de sécurité le long des frontières jordaniennes 

Point de passage pour le trafic de drogue, la frontière syro-jordanienne attirait déjà la vigilance accrue des douaniers. Depuis quelques semaines, elle est plus que jamais sous le feu des projecteurs. Des mouvements inhabituellement importants de contrebande ont transformé la zone en théâtre d’affrontement entre les forces de sécurité jordaniennes et les trafiquants en...

commentaires (2)

Pourquoi s'étonner? Côté jordanien, vous parlez dans votre article 'd'invasion". Côté Libanais : Idem. L'invasion et la frontière ouverte voire passoire a permis à quelques millions de Syriens de s'installer au liban. Hormis, les mariages, la procréation, leurs activités, leurs acquisitions pour ceux qui peuvent de terrains et appartements, tout se passe comme s'ils sont chez eux. Même les séries TV, sont faites en mix : Des acteurs, réalisateurs, producteurs syriens et libanais ...Comme si le message est de montrer que c'est 1 seul peuple dans 2 pays ( la devise à l'époque d'Assad père )

LE FRANCOPHONE

12 h 39, le 12 janvier 2024

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Commentaires (2)

  • Pourquoi s'étonner? Côté jordanien, vous parlez dans votre article 'd'invasion". Côté Libanais : Idem. L'invasion et la frontière ouverte voire passoire a permis à quelques millions de Syriens de s'installer au liban. Hormis, les mariages, la procréation, leurs activités, leurs acquisitions pour ceux qui peuvent de terrains et appartements, tout se passe comme s'ils sont chez eux. Même les séries TV, sont faites en mix : Des acteurs, réalisateurs, producteurs syriens et libanais ...Comme si le message est de montrer que c'est 1 seul peuple dans 2 pays ( la devise à l'époque d'Assad père )

    LE FRANCOPHONE

    12 h 39, le 12 janvier 2024

  • La Jordanie découvre ce que ça fait que de partager une frontière avec l’entité néo-safavide. Pourtant c’est son propre roi qui dès 2004 parlait de « croissant chiite ». Tout comme de nombreux arabes connaissaient les projets de l’Israël sioniste et ont fait semblant de ne rien savoir jusqu’en 1948, ils connaissaient très bien les projets de l’Israël safavide et n’ont rien fait jusqu’ici. Est-ce que 2024 sera un nouveau 1948 pour eux ?

    Citoyen libanais

    07 h 19, le 12 janvier 2024

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