Critiques littéraires

Eric Fottorino fait lien par les mots

Eric Fottorino fait lien par les mots

© Joël Saget/ AFP

Dans un entretien organisé par la librairie Mollat à Bordeaux, à la veille de la parution, en septembre 2023 de Mon enfant, ma sœur, son nouveau roman, Eric Fottorino revenait sur Dix-sept ans, ce récit précédent où il parle du lien abîmé entre un jeune homme et sa mère, qu’il ne considérait pas tout à fait comme telle. Que s’est-il passé pour que cette famille éclate à ce point et devienne à ce point dysfonctionnelle ? Autour de l’histoire flotte un fantôme, celui d’une sœur, une petite fille manquante, une pièce qui fait trou et empêche l’ensemble de se former.

Bordeaux, le 10 janvier 1963, la mère d’Eric Fotttorino qui est alors âgé de trois ans, donne naissance à cette enfant dans un établissement religieux, 49, place des Martyrs de la Résistance. « J’imaginais qu’elle resterait un fantôme, que cette inconnue serait une inconnue définitive », confie l’auteur. Cependant, en 2021, en se rendant précisément à la librairie Mollat avec beaucoup d’avance, Fottorino a l’impulsion de chercher l’adresse de ce lieu où sa mère a donné naissance à sa sœur. L’établissement est à 800 m de là, sa vocation a changé. Il lui est cependant confirmé que l’adresse est la bonne, mais que l’institution qu’il cherche s’est déplacée à Paris. Il décide de se mettre à la recherche de la femme qu’est devenue cette petite fille. Avant de commencer son enquête, il a déjà écrit une centaine de pages d’un long poème qui, dit-il, s’est « imposé à lui », tant cette histoire familiale le hante. Depuis 1991, Rochelle, Korsakov, L’Homme qui m’aimait tout bas, Questions à mon père, Le Marcheur de Fez, Dix-sept ans… autant de romans qui tournent autour de cette lancinance et dont Mon enfant, ma sœur est le septième et dernier, puisqu’il vient conclure une saga entourée de brouillards et de non-dits, où passent des protagonistes attachés à l’auteur par des liens familiaux. « Ma mère, dit-il, était une fille-mère. Elle avait été forcée par ma grand-mère à m’abandonner moi-même trois ans plus tôt mais elle avait réussi à me ‘‘voler’’ à une nourrice au bout d’une année. » « Mais quand elle a eu de nouveau un enfant d’un étranger, un Marocain, un musulman, ma grand-mère a réussi ce qu’elle n’a pas pu faire avec moi, fils d’un juif marocain : elle l’a forcée à l’abandonner. À partir de là, le traumatisme a été si fort qu’elle n’a même plus cherché », poursuit Fottorino. En 2018, la mère de l’écrivain lui parle de cette petite fille en lui donnant le sentiment de lui confier une mission implicite, celle de la retrouver. Ce qu’il fait et réussit après quelques mois de recherches et d’enquêtes. « J’ai finalement organisé à Bordeaux une rencontre entre la mère et la fille, sur le quai de la gare, le 15 décembre 2021. Nous sommes allés déjeuner ensemble, tous les trois et nous avons fait connaissance. Depuis, un lien s’est créé entre elles », confie encore Fottorino, émerveillé par « le pouvoir de la littérature de changer des destins ». Ce roman en forme de poème, Mon enfant, ma sœur, aura eu une incidence sur la vraie vie.

Aurait-il été possible de l’écrire autrement que sous cette forme improbable du vers ? Raconter la longue recherche dans tous les sens, à travers les supports offerts par Google, les trombinoscopes des collèges et lycées : Marie-Elisabeth et une enfance commune irrémédiablement perdue. Un trop plein d’émotions qui se carambole et chahute les mots, tord les phrases, disperse la ponctuation, impose une écriture hachée au rythme des gorges qui se nouent et se dénouent, des larmes retenues ou libérées, des regrets et des remords, du sentiment de perte et de la joie de retrouver. « Dehors avec les premiers frimas / des marchands à la sauvette / tendent leurs cônes de papier journal / emplis de marrons chauds / j’ai neuf ans / je respire l’odeur rassurante / qui s’échappe en volutes de la plaque brûlante / Il nous a manqué ça / Marie-Elisabeth. »

Mon enfant, ma sœur d’Eric Fottorino, Gallimard 2023, 288 p.

Dans un entretien organisé par la librairie Mollat à Bordeaux, à la veille de la parution, en septembre 2023 de Mon enfant, ma sœur, son nouveau roman, Eric Fottorino revenait sur Dix-sept ans, ce récit précédent où il parle du lien abîmé entre un jeune homme et sa mère, qu’il ne considérait pas tout à fait comme telle. Que s’est-il passé pour que cette famille...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut