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Société - Polémique

La revalorisation des salaires des enseignants retraités du privé divise la communauté éducative

Quelque 5 000 enseignants retraités du privé perçoivent des salaires mensuels d’un million et demi à 3 millions de LL (soit 16,75 à 33,51 dollars). 

La revalorisation des salaires des enseignants retraités du privé divise la communauté éducative

Des élèves de terminale du Collège Notre-Dame des sœurs antonines de Roumié, en avril dernier. Photo A-M. H.

Les écoles catholiques du Liban ne décolèrent pas. Depuis la récente revalorisation par le Parlement, le 15 décembre, de la retraite des enseignants du privé – désormais multipliée par six, elles mènent la fronde contre la législation, pourtant approuvée à l’unanimité le 19 décembre par le Conseil des ministres sortant réuni au Grand Sérail en l’absence d’un président de la République (1). Une législation qui n’a toujours pas été publiée au Journal officiel par le Premier ministre sortant Nagib Mikati, soucieux de tenir compte de ces réserves.

Sous menace de grève ouverte à la rentrée de janvier, les écoles catholiques réclament l’annulation des deux lois promulguées, l’une permettant « l’alimentation pour un an par l’État de la caisse des retraites des enseignants du privé à hauteur de 650 milliards de LL », l’autre permettant « l’amendement de la loi organisant le corps professoral et le budget scolaire des écoles privées, qui remonte à 1956 » (le code du travail ne s’applique pas aux enseignants).


En dollars pour les écoles, en LL pour les enseignants

Et pour cause : ces deux nouvelles lois qui ont pour objectif de soutenir une caisse de retraites plombée par l’effondrement de la livre libanaise (2) imposent aux établissements éducatifs privés non seulement des contributions en dollars à cette caisse, mais les montants à verser représentent désormais 8 % du salaire de chaque enseignant, aides en dollars comprises. Et ce sachant que la contribution des instances éducatives à la caisse était de 6 % jusque-là, sur base du salaire en LL. Et que, depuis la crise, les établissements privés versent aux enseignants, en plus du salaire de base, une enveloppe en dollars laissée à la discrétion de chaque établissement.

Autre raison pour les institutions éducatives de rejeter la nouvelle législation, elles ont désormais l’obligation de présenter un quitus prouvant qu’elles se sont bien acquittées de leur contribution à la caisse de retraite des enseignants. Quant à la part des enseignants, elle restera en LL, mais passera de 6 à 8 % de leur salaire. « Cette législation qui imposera des fiscalités supplémentaires aux écoles et aux enseignants entraînera une hausse des scolarités, ce qui est contraire aux intérêts des établissements, des professeurs et des parents d’élèves », dénonce le secrétaire général des écoles catholiques, le père Youssef Nasr.

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C’est à l’initiative du président du syndicat des enseignants du privé Nehmé Mahfoud que ces lois ont vu le jour. « Cela fait un an que je fais la tournée des responsables pour régler le problème des 5 000 enseignants retraités du privé dont les salaires mensuels oscillent entre 1 million et demi et 3 millions de LL (soit entre 16,75 et 33,51 dollars) », explique le syndicaliste à L’Orient-Le Jour. « Si l’État a multiplié par six les salaires mensuels des retraités de la fonction publique et envisage même une nouvelle hausse, ceux du privé n’ont pas bougé », gronde-t-il, évoquant des conditions de vie « mortelles » pour ces éducateurs qui ont servi l’école privée pendant des décennies et pour les 60 000 enseignants du privé.

Après avoir en vain tenté de convaincre les écoles privées de la nécessité de trouver une solution et « particulièrement le secrétariat général des écoles catholiques », qui est également à la tête du Regroupement des institutions éducatives privées du Liban, Nehmé Mahfoud « a frappé à la porte du président du Parlement » Nabih Berry. Le résultat a été immédiat. Le député d’Amal Ali Hassan Khalil a aussitôt élaboré une loi conforme aux revendications du syndicat. Le 15 décembre, lors de la séance plénière qui a permis de proroger le mandat du commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, « la proposition de loi a été adoptée par tous les blocs politiques ». Un scénario qui rappelle l’adoption de la loi 46 sur la grille des salaires, en août 2017, dont l’application ne s’est toujours pas généralisée.

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Face à la menace de grève des écoles catholiques, le patriarche maronite Béchara Raï a tenté une initiative. Il a invité les belligérants au dialogue à Bkerké, mercredi 27 décembre, et créé un comité présidé par le ministre sortant de l’Éducation Abbas Halabi, qui devra rendre sa décision avant le 8 janvier 2024. Ce jour-là, étaient présents, outre le ministre sortant, le directeur général du ministère Imad Achkar et le président du syndicat des enseignants du privé Nehmé Mahfoud, des représentants des institutions éducatives privées catholiques (Youssef Nasr), évangéliques (Nabil Osta), orthodoxes (Béchara Habib), sunnites (Souhair el-Zein, Makassed), druzes (Ramzi Zeineddine, Orfan), chiites (Mohammad Samaha, Moustapha), à l’instar de membres de la commission parlementaire de l’Éducation, à l’origine des textes de lois.


Des points de vue diamétralement opposés

« Mais les points de vue sont diamétralement opposés. Et le processus de rapprochement risque d’être très long », révèle à L’Orient-Le Jour le père Youssef Nasr, également coordonnateur du Regroupement des institutions éducatives privées. En effet, chaque partie campe sur ses positions. « Nous estimons que cette loi n’a pas été publiée et que nous ne sommes pas tenus de l’exécuter », martèle le chef du SGEC, qui dénonce « un texte mal étudié, adopté en catimini, en contradiction avec les législations en vigueur ». « Cette loi est effective, car elle a été adoptée. Il faut à présent procéder à son application en mettant en place les mécanismes d’application », soutient de son côté Nehmé Mahfoud, soutenu notamment par le député Edgar Traboulsi, rapporteur de la commission parlementaire de l’Éducation. « On ne peut faire marche arrière car le gouvernement a approuvé ces deux lois adoptées par le Parlement. Et la menace ne mènera nulle part. La seule alternative pour les institutions privées est de présenter un recours en invalidation ou de proposer des amendements », souligne le député du Courant patriotique libre, invitant le Premier ministre sortant à publier les deux lois au Journal officiel, car « il est grand temps de rendre justice aux enseignants ».

De part et d’autre, les rangs se forment, malgré les vacances scolaires peu propices aux réactions. « Nous attendons la publication du texte définitif pour annoncer notre décision. Mais pour l’instant, les choses ne sont pas claires. Ce texte semble peu réfléchi et fait dans l’urgence », observe le délégué au Liban du directeur général de la Mission laïque française Patrick Joseph. « Nous constatons d’ailleurs des contradictions avec les lois en vigueur, notamment la loi 515/1996 sur les budgets scolaires, qui interdit la prise en compte de versements des salaires et d’encaissements des écolages en devises », ajoute-t-il.


Les mécanismes d’application à l’étude

Même inquiétude du côté de parents d’élèves qui trouvent « surprenante et inadmissible » l’adoption d’un texte de loi « en pleine année scolaire par un Parlement supposé être exclusivement un collège électoral ». « Suite à l’amendement adopté, les parents redoutent une hausse des scolarités, car ils ne pourront assumer cette augmentation », observe Maya Geara, conseillère juridique de l’Union des parents d’élèves et des comités de parents dans les écoles privées du Liban.

Seuls les enseignants se rangent du côté de leur syndicat, même si, pour l’instant, ils sont toujours dans le flou. « Nous n’avons pas encore tous les détails. Mais nous attendons depuis longtemps que le sort des enseignants retraités et futurs retraités soit étudié de près, même si cela nous impose une fiscalité plus importante », commente Yana Samarani, présidente du Comité des enseignants du Grand Lycée franco-libanais de Beyrouth, précisant par ailleurs que le quitus imposé par cette loi devrait aussi favoriser « la transparence » dans les budgets des établissements scolaires.

Le comité de dialogue a entamé ses travaux jeudi 28 décembre au ministère de l’Éducation par la formation d’une sous-commission restreinte d’experts chargés d’élaborer les mécanismes d’application des nouvelles législations. Elle est formée du directeur général du ministère de l’Éducation Imad Achkar, également président du conseil d’administration de la caisse des retraites, du chef de la Caisse mutuelle des enseignants Georges Sakr et enfin du conseiller du ministre sortant de l’Éducation Samih Maddah. Avec pour consigne de rendre sa copie jeudi 4 janvier au plus tard.

(1) Selon l’article 62 de la Constitution et compte tenu de la vacance présidentielle depuis le 31 octobre 2022.

(2) Un dollar s’échange aujourd’hui sur le marché parallèle à 89 500 LL contre 1 500 LL avant la crise de 2019.

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