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Moyen-Orient - FOCUS

Dans le camp de réfugiés de Jénine, le Freedom Theatre pris pour cible

L’institution culturelle du nord de la Cisjordanie s'efforce d'exister malgré les raids israéliens incessants et certaines réticences locales.

Dans le camp de réfugiés de Jénine, le Freedom Theatre pris pour cible

Le Freedom Theatre, dans le camp de réfugiés de Jénine (nord de la Cisjordanie). Photo d'archive AFP

« C’est de la folie ce qu’il se passe dans le camp. Malgré ça, le théâtre tient debout », lâche Ismail. Pour ce jeune habitant du camp de réfugiés de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie, le Freedom Theatre est un lieu d’évasion au milieu des incursions soudaines et massives de l’armée israélienne, qui sont montées d’un cran ces derniers mois. Depuis sa création officielle en 2006, l’institution survit tant bien que mal. Ismaïl qui, dès l’âge de quatre ans, y était emmené par sa mère, continue de s’y rendre presque chaque jour.

Mais le vingtenaire, né et élevé dans le camp, le sait très bien, aucune fraction de ce demi-kilomètre carré, où s’entassent près de 20 000 Palestiniens, n’est à l’abri du danger. À cause des raids israéliens réguliers au cours desquels la mort, les blessures et les arrestations sont devenues tristement banales, un sort inconnu pèse sur l’avenir de ce hâvre de paix et d’espoir, conçu à l’origine pour offrir aux enfants un espace de guérison.

7 octobre

« Je me demande tout le temps : qu’est-ce qu’il se passerait si tous les théâtres du monde fonctionnaient de cette manière ?, tonne Ahmed Tobasi, directeur artistique du Freedom Theatre. Si toutes les productions, tous les acteurs étaient confrontés aux mêmes difficultés qu'un théâtre dans un camp où les gens se font tuer ? » À Jénine, bastion de la résistance armée face à Israël, dépeinte par certains habitants comme un mini-Gaza et considéré par l’État hébreu comme un nid de « terroristes », la punition collective infligée aux Palestiniens est familière. Mais le sentiment partagé par les habitants de faire les frais d’une vengeance gratuite des soldats israéliens s’est encore renforcé après la triple incursion du Hamas et la guerre indiscriminée qui a suivi dans l’enclave palestinienne. « Israël tire profit de l’attention mondiale sur Gaza pour faire ce qu’il veut à Jénine, renchérit Ahmed Tobasi. Depuis le 7 octobre, l’armée vient tous les soirs, rase au bulldozer les rues, les réseaux de distribution d'eau et d'électricité… tout ce qui lui tombe sous la main ».

Situé dans le camp de réfugiés, le Freedom Theatre et son personnel ne sont pas en reste. Déjà avant la guerre, le lieu avait fait l’objet de plusieurs attaques et certains de ses membres avaient été arrêtés. Mais la descente israélienne conduite pendant 60 heures, du 12 au 14 décembre dernier, au cours de laquelle 12 Palestiniens sont tués, près de 150 blessés et plusieurs centaines détenus, pousse la répression encore plus loin. Dans l’enceinte du lieu culturel, plusieurs espaces sont dévalisés et vandalisés. Sur le mur d’une salle de projection de films, une étoile de David est peinte. Des graffitis représentant plusieurs symboles du judaïsme sont tagués sur le mur extérieur de l’établissement.

Des débris gisent dans une rue du camp de réfugiés de Jénine après un raid israélien de 60 heures, le 14 décembre dernier. Raneen Sawafta/Reuters

Quelques heures plus tôt, des soldats israéliens saccagent la porte d’entrée d’Ahmed Tobasi. Devant ses parents, son frère, sa belle-sœur et leurs deux gamines, ils pointent leur arme sur lui, cognent sa tête contre le mur et le frappent à l’estomac. Le directeur artistique est jeté dans un véhicule de l’armée, emmené de checkpoint en checkpoint avant d’être détenu dans l’un d’eux, aux côtés d’autres Palestiniens. « C’était de la torture psychologique, relate-t-il. Les soldats faisaient du vacarme, touchaient nos corps avec leurs armes . C'était terrifiant, on se demandait ce qui allait nous arriver ». Après 14 heures, Ahmed Tobasi est lâché au poste de contrôle de Salem vers 2 heures du matin, puis il marche une dizaine de kilomètres pour regagner le camp de réfugiés. Arrêté lors de ce raid, Moustafa Sheta, le directeur général du Freedom Theatre, est lui toujours incarcéré et aux mains d’Israël. Son avocat suggère qu’il sera placé en détention administrative, une procédure en vertu de laquelle les autorités israéliennes sont en mesure de détenir des suspects des mois durant, sans inculpation ni procès.

« Pris de panique »

Le théâtre se veut un espace pacifique de résistance culturelle face à l’occupation. Aux yeux d’Israël, il est une cible. «L’armée ne nous traite pas comme une organisation artistique, affirme Ahmed Tobasi. Vous passez votre temps à concevoir des productions et divers projets. Et à la fin, il n’y a qu’invasions, destructions et martyrs. C'est épuisant de reconstruire sans arrêt ». À cause du danger qui plane en permanence, certains habitués du lieu ont été contraints d’arrêter leurs activités. C’est le cas de Rania, qui aime à se définir comme une « enfant du Freedom Theatre ».

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Petite, elle jouait dans l’ancêtre de ce lieu, le Stone Theatre, bâti par la militante pacifiste juive Arna Mer Khamis lors de la première Intifada (1987-1993). Rania était là en 2002, lorsque cet espace a été rasé au bulldozer par l’armée israélienne lors de l’invasion du camp durant la seconde Intifada (2000-2005). Puis lorsque le fils d’Arna, Juliano Mer Khamis, poursuit quatre ans plus tard la mission de sa mère en montant le Freedom Theatre dans un autre emplacement du camp. Bénévole pendant plus d’une dizaine d’années, la mère de famille a quitté l’établissement en mai dernier. Ce mois-ci, pendant une descente israélienne, Rania est encerclée par des soldats qui la somment avec des haut-parleurs de sortir de sa voiture. Pendant plusieurs heures, elle doit se tenir là, interdite de parler ou de se déplacer alors que l’armée procède à des arrestations dans plusieurs maisons voisines. Filmée par des résidents, la scène circule parmi les habitants. « En rentrant chez moi, j’ai vu mes trois enfants pris de panique, raconte-t-elle. Ils croyaient que quelque chose m’était arrivé, que je n’étais plus là... Les voir dans cet état m’a décidée à arrêter mes activités de bénévole ».

Destin différent

Avec la menace israélienne mais aussi celle des coupes de l’aide européenne à diverses institutions culturelles palestiniennes depuis le 7 octobre, le Freedom Theatre est à la peine. Mais l'établissement ne déplaît pas qu’à l'État hébreu. En parallèle, une autre guerre se joue plus discrètement depuis des années. Le lieu suscite la méfiance d’une partie des locaux. « Le théâtre continue d’attirer des volontaires internationaux mais le soutien des résidents a diminué au fil du temps, estime Ismail. Les habitants restent sceptiques à l’égard de certains programmes qui questionnent leur conservatisme et leurs croyances religieuses, parfois radicales ». Parmi les éléments qui déplaisent, figurent la cohabitation de filles et de garçons sur scène. « Au départ, même les groupes de résistance armée acceptaient le lieu, mais ils ont perdu confiance en ce qu’ils perçoivent comme une rupture avec leurs normes et leur culture », poursuit Ismaïl. Signe de cette défiance, l’assassinat, jamais élucidé en 2011, de Juliano Mer Khamis par un homme masqué ayant ouvert le feu à cinq reprises sur la voiture dans laquelle il circulait, et qui est imputé par certains habitants à des extrémistes religieux. Le lieu avait également fait l'objet, plus tôt, de tentatives d'incendie.

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Reste que pour les soutiens de l’institution, celle-ci doit continuer à vivre pour défendre le message du fondateur et celui de sa mère : offrir à la jeune génération des outils pour faire face aux difficultés de la vie quotidienne sous occupation tout en étant à l'avant-garde du mouvement de libération palestinien. « Les activités du Freedom Theatre se caractérisent par leur dimension sociale, notamment par des ateliers à partir de techniques issues de la drama-therapy, observe Najla Nakhlé-Cerruti, spécialiste du théâtre palestinien et chercheuse au CNRS, rattachée à l'Institut de Recherches sur les Mondes Arabes et Musulmans (IREMAM). Une dimension internationale s'ajoute à ses activités, portée par des productions artistiques destinées à être jouées sur les scènes à l'étranger afin de faire connaître la situation du camp et de ses habitants dans le monde ». Pour Ahmed Tobasi, seul le Freedom Theatre offre aux résidents l’opportunité d’un destin différent de celui que leur impose l’État hébreu : « Israël et l'Occident ont fait en sorte que les Palestiniens suivent une seule voie : celle qui vous condamne à finir en prison, handicapé ou martyr, lâche-t-il. Ils ne veulent pas que nous rêvions, que nous soyons des artistes. Ils veulent que nous soyons violents, que nous nous concentrions sur la lutte armée ».

« C’est de la folie ce qu’il se passe dans le camp. Malgré ça, le théâtre tient debout », lâche Ismail. Pour ce jeune habitant du camp de réfugiés de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie, le Freedom Theatre est un lieu d’évasion au milieu des incursions soudaines et massives de l’armée israélienne, qui sont montées d’un cran ces derniers mois. Depuis sa...

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Longue vie au Freedom Théâtre L’état d’Israël de Nétanyahou est le fléau du peuple palestinien et la honte du peuple juif

Hacker Marilyn

11 h 05, le 26 décembre 2023

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Commentaires (1)

  • Longue vie au Freedom Théâtre L’état d’Israël de Nétanyahou est le fléau du peuple palestinien et la honte du peuple juif

    Hacker Marilyn

    11 h 05, le 26 décembre 2023

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