Rechercher
Rechercher

La faim et les moyens

Pour châtier Gaza, Israël aura décidément tout mis en œuvre, ne reculant devant aucune extrémité. Après les incessants bombardements qui n’épargnent aucune infrastructure, aucun sanctuaire, après les déplacements de population, le voici maintenant qui use de la plus vile, la plus méprisable des armes.

Du fait d’un impitoyable blocus, c’est de faim cette fois que doivent littéralement crever les foules hagardes, et déjà gravement sous-alimentées, qui survivent au déluge d’acier et de feu. Et pourtant, les organisations onusiennes s’affolent de la vitesse à laquelle on est en train de brûler les étapes du révoltant processus. De passer de la malnutrition aiguë à la famine : laquelle se fait habituellement accompagner, bras dessus, bras dessous, de cet autre et meurtrier fléau qu’est la maladie.

Pour permettre à l’assistance humanitaire de parvenir aux innocents séquestrés, il fallait seulement que la canonnade prît le temps de souffler sur injonction du Conseil de sécurité des Nations unies. Un cessez-le-feu étant hors de question pour Israël et son protecteur américain, une simple suspension des combats eut pu faire l’affaire, mais c’était, une fois de plus, trop demander. Pour éviter une réédition du veto US du 8 décembre, c’est donc une version considérablement édulcorée, affaiblie, affadie, de la résolution émiratie désormais méconnaissable qui devait être adoptée hier. Elle se contente en effet d’appeler à des mesures urgentes pour permettre l’acheminement sûr d’une assistance à grande échelle et créer les conditions pour une cessation durable des combats.

Parce que le temps presse, parce qu’à chaque heure, meurent vieillards, femmes et enfants, le traitement de la crise exigeait un remède de cheval, une mixture bien américaine, abondamment arrosée de bourbon et de tabasco tex-mex et propre à réveiller les morts. Par la grâce de l’administration Biden, c’est au contraire une bien pâle bibine que l’on se propose d’administrer à la moribonde Gaza. Éloquent à cet égard est le commentaire du secrétaire général Antonio Guterres, pour qui le vrai problème est la façon dont Israël poursuit son offensive, un cessez-le-feu humanitaire restant le seul moyen de mettre fin au cauchemar.


Toujours est-il que sans attendre l’issue fatale, on se remet à parler de l’après-Gaza. Or, s’il est un point sur lequel convergent les diverses projections avancées çà et là, c’est la nécessité d’une autorité palestinienne rénovée et apte à gérer à l’avenir ce remuant territoire. Cette exigence peut paraître on ne peut plus fondée, si ce n’est qu’elle ne s’attaque qu’à une moitié de la question. Dès la première phase de la guerre, Benjamin Netanyahu n’a pas caché la portée punitive – correctionnelle si l’on peut dire – de sa sanglante expédition en rejetant tout gouvernement qui inculquerait à ses enfants la haine d’Israël. C’est le même refrain – éduquer les jeunes générations dans les valeurs de modération et de tolérance – que viennent de reprendre les stratèges d’Israël. Apprenez donc à nous aimer, tel est en somme le message relayé, malgré le fracas de la canonnade, sur idyllique fond de violons. Mais comment donc peut-on attendre des Palestiniens qu’ils changent de sentiments envers leur tortionnaire s’il n’entreprend pas de s’amender lui aussi, s’il n’arrête pas de les spolier de leur terre, de les tuer en masse, de nier même leur existence en tant que peuple en droit de se gouverner lui-même en toute sécurité ?


Souhaitable est certes la reconversion ; unilatérale, elle ne serait toutefois qu’impensable soumission. Avant même que d’en venir à la seule solution possible, celle de deux États en Palestine, ce sont deux états d’esprit qui sont appelés à évoluer en parallèle. La guerre de Gaza est outrageusement asymétrique ; jamais, en revanche, ne pourra l’être la paix.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Pour châtier Gaza, Israël aura décidément tout mis en œuvre, ne reculant devant aucune extrémité. Après les incessants bombardements qui n’épargnent aucune infrastructure, aucun sanctuaire, après les déplacements de population, le voici maintenant qui use de la plus vile, la plus méprisable des armes. Du fait d’un impitoyable blocus, c’est de faim cette fois que doivent...