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Moyen-Orient - CONFLIT

Les journalistes témoins et victimes de la guerre à Gaza

Depuis le début de la guerre à Gaza, 68 Palestiniens des métiers de la presse ont été tués dans l’exercice de leur fonction ou en dehors.

Les journalistes témoins et victimes de la guerre à Gaza

Les funérailles du journaliste palestinien Mohammad Abou Hatab tué avec onze membres de sa famille dans leur maison suite à un bombardement isréalien à Khan Younès, le 3 novembre 2023. Mahmud Hams/AFP

Femmes ou hommes, ils sont palestiniens, leurs familles survivent dans l’étroit territoire bombardé, et des dizaines d’entre eux y ont déjà trouvé la mort. À Gaza, les journalistes payent un lourd tribut pour couvrir la guerre entre le Hamas et Israël. Qu’ils soient correspondants de médias palestiniens ou étrangers, leur quotidien est peu ou prou celui des 2,4 millions de Gazaouis soumis aux assauts incessants et au blocus de l’armée israélienne, souffrant du manque de tout : vêtements chauds, nourriture, carburant... Qu’importe. « Notre travail consiste à documenter la guerre, à faire savoir au monde ce qu’il se passe », clame Hind Khoudary, journaliste gazaouie.

Mais chaque jour est « une question de vie ou de mort », témoigne le photojournaliste Motaz Azaiza. L’ONG Comité de protection des journalistes chiffre à au moins 68, au 21 décembre, le nombre de professionnels des médias palestiniens – journalistes, photographes, caméramen, techniciens, chauffeurs, etc. – tués dans la bande de Gaza depuis le début de la guerre le 7 octobre. Quatre journalistes israéliens ont également perdu la vie depuis cette date dans l’attaque du Hamas contre leur kibboutz et trois Libanais. Certains ont péri dans les bombardements, chez eux, avec des membres de leur famille. D’autres en faisant leur métier : d’après l’ONG Reporters sans frontières (RSF), au moins 17 journalistes ont perdu la vie un stylo à la main, une caméra au poing. Il s’agit du bilan le plus lourd dans un conflit sur une période aussi courte depuis au moins trois décennies, détaille l’ONG.

Victimes de ciblage ?

Comme 1,9 million de Gazaouis, Hind Khoudary a dû fuir. Avec l’intensification des combats au sol, elle s’est résignée à abandonner sa maison et son bureau. « Un morceau de mon cœur » qu’elle est persuadée de ne plus jamais revoir. Entre son premier départ vers l’hôpital al-Shifa, le plus grand de Gaza, puis son « éprouvante » marche en direction du sud, vers Rafah, près de la frontière fermée avec l’Égypte, elle n’a cessé de documenter « les horreurs » de la guerre sur les réseaux sociaux.

Casque et gilet pare-balles siglé « presse », le photojournaliste Motaz Azaiza est un autre visage du quotidien des Gazaouis pris au piège de la guerre. Suivi par plus 17 millions d’abonnés, il capture à travers ses photos et « directs » la détresse des déplacés sans taire son propre « désespoir ». Il se retrouve souvent au cours de ses reportages à sortir des corps des décombres ou à transporter des enfants vers les rares hôpitaux opérationnels. Tous les journalistes interrogés ont enterré un proche.

Alors qu’il commente des images depuis un hôpital, Wael Dahdouh, chef du bureau de Gaza d’al-Jazeera, apprend en direct la mort de ses deux enfants et de sa femme dans une frappe israélienne le 25 octobre. « Ma plus grande peur n’a jamais été d’exercer mon métier, mais de perdre mes proches », commente sobrement le correspondant de la chaîne qatarie. Le 15 décembre, lui-même est blessé au bras par des éclats d’obus. Son caméraman Samer Abou Daqa n’a pas survécu à la frappe. L’armée israélienne a indiqué qu’elle ne visait jamais « délibérément » les journalistes, bien que des ONG internationales de défense des droits de l’homme aient récemment publié des enquêtes sur la mort de Issam Abdallah le 13 octobre au Liban-Sud, accusant Israël d’avoir visé par deux fois le groupe de journalistes dont il faisait partie.

Atteintes au droit à l’informationPour ces journalistes, il leur faut aussi composer avec les restrictions imposées par le Hamas, au pouvoir depuis 2007 à Gaza. Plus compliquée « sous le Hamas, la pratique du journalisme a considérablement changé par rapport à la situation avant, sous l’Autorité palestinienne », témoigne Adel Zaanoun, journaliste. Le mouvement, classé organisation terroriste par les États-Unis, l’UE et Israël, empêche les journalistes de se pencher sur « la corruption au sein de son gouvernement ou de son mouvement » et « ne tolère aucune critique sur les réseaux sociaux ». Sur le terrain, pour avoir de l’information, il faut nouer des liens avec des membres du Hamas, très frileux avec la presse étrangère, selon le journaliste palestinien.Alors qu’il autorisait par le passé des journalistes à assister à des manœuvres, le mouvement islamiste armé impose depuis le début de la guerre une censure totale sur ses opérations. « Le Hamas ne s’oppose généralement pas à la couverture des opérations militaires israéliennes, mais a totalement interdit de couvrir ses propres activités militaires, notamment celles concernant ses postes militaires, armes et tunnels », détaille le journaliste. L’État hébreu se dit déterminé à éradiquer le mouvement islamiste après l’attaque traumatisante du 7 octobre, entendant détruire ses infrastructures comme son leadership. De leur côté, « en coupant internet, les autorités israéliennes empêchent les journalistes de travailler, c’est une atteinte au droit à l’information », dénonce Jonathan Dagher, responsable de RSF pour le Moyen-Orient. Si chacun, au quotidien, cherche du gaz ou du bois pour cuire le pain ou se chauffer, les journalistes ont impérativement besoin d’électricité pour recharger téléphone, caméra, ordinateur. Mais, souvent, le réseau électrique est hors service et les communications coupées. Et à mesure que les combats s’intensifient, les journalistes craquent tour à tour. Deuil, manque de sommeil, absence d’équipements de protection reviennent dans les témoignages collectés. Adel Zaanoun, un autre journaliste, se dit « à bout ». Son unique souhait : mettre sa famille à l’abri de l’autre côté de Rafah, là où la guerre n’existe pas.

Femmes ou hommes, ils sont palestiniens, leurs familles survivent dans l’étroit territoire bombardé, et des dizaines d’entre eux y ont déjà trouvé la mort. À Gaza, les journalistes payent un lourd tribut pour couvrir la guerre entre le Hamas et Israël. Qu’ils soient correspondants de médias palestiniens ou étrangers, leur quotidien est peu ou prou celui des 2,4 millions de Gazaouis...
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