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Idées - COMMENTAIRE

Qu’est-ce que le « Sud global » ?

Qu’est-ce que le « Sud global » ?

Drapeaux de l’Afrique du Sud, du Brésil, de la Russie, de l’Inde et de la Chine lors du sommet 2023 des Brics à Johannesburg, le 24 août 2023. Marco Longari/AFP


Le terme « Sud global » est aujourd’hui d’usage courant. Ainsi certains commentateurs ont-ils mis en garde contre la perte du « Sud global » qui pourrait résulter de l’incursion d’Israël dans la bande de Gaza, et l’on entend souvent que le « Sud global » souhaite un cessez-le-feu en Ukraine. Mais que veut-on dire par là ?

Géographiquement, le terme désigne les 32 pays situés sous l’équateur (dans l’hémisphère Sud), par opposition aux 54 pays qui s’étendent entièrement au nord de celui-ci. Il est pourtant, à tort, utilisé comme un raccourci pour signifier la majorité mondiale, alors même que l’essentiel de la population mondiale vit au-dessus de l’équateur (la plupart des terres émergées se situent également au nord de la ligne équatoriale). Nous entendons souvent, par exemple, que l’Inde, le pays le plus peuplé du globe, et la Chine, le deuxième pays le plus peuplé, se disputent le leadership du Sud global, l’une et l’autre ayant récemment accueilli, dans cette perspective, des conférences diplomatiques. L’Inde comme la Chine sont pourtant situées dans l’hémisphère Nord.

Euphémisme acceptable

Le terme ressortit donc plus à un slogan politique qu’à une description rigoureuse du monde. En ce sens, il semble avoir gagné en popularité comme euphémisme, remplaçant des locutions moins acceptables. Durant la guerre froide, on disait des pays qui ne s’alignaient ni sur les États-Unis ni sur l’Union soviétique et tentaient de se tenir en dehors des deux blocs qu’ils appartenaient au « tiers-monde ». Les pays non alignés tinrent leur conférence constitutive à Bandung, en Indonésie, en 1955, et un mouvement affaibli des non-alignés compte encore à ce jour 120 pays.

Avec la disparition de l’Union soviétique en 1991, l’idée d’un tiers-monde non aligné perdait beaucoup de son sens. Il devint donc fréquent, pour un temps, de parler des « pays moins développés ». Mais le terme avait lui aussi une connotation péjorative, aussi a-t-on commencé à en utiliser un autre, celui de « pays en développement ».

Quoique ce dernier terme ne soit pas non plus sans inconvénients – tous les pays à faible revenu ne se développent pas, après tout –, il s’est avéré utile dans le contexte diplomatique des Nations unies. Le Groupe des 77 (G77) comprend aujourd’hui 135 pays, et son existence a pour vocation de promouvoir leurs intérêts économiques collectifs. En dehors du contexte onusien, les différences entre ses membres sont beaucoup trop nombreuses pour que cette organisation puisse jouer un rôle significatif.

Contrer l’influence américaine

Autre terme à la mode, devenu de plus en plus prisé, celui de « marché émergent », qui désigne des pays comme l’Inde, le Mexique, la Russie, le Pakistan, l’Arabie saoudite, la Chine, le Brésil et quelques autres. En 2001, Jim O’Neill, alors directeur général de Goldman Sachs, a introduit dans un célèbre article l’acronyme BRIC, sous lequel il rassemblait le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, toutes économies émergentes avec un fort potentiel de croissance. Alors qu’il n’avait servi qu’à l’analyse des perspectives d’investissement, l’ensemble a séduit certains dirigeants politiques, notamment le président russe Vladimir Poutine, qui en ont usé comme d’une plateforme diplomatique pour contrer l’influence globale américaine.

Après une série de réunions, le premier sommet des BRIC s’est tenu à Iekaterinbourg, en Russie, en 2009. Avec l’addition de l’Afrique du Sud, l’année suivante, le groupe est devenu les Brics. En août dernier, lors du quinzième sommet des Brics, le président sud-africain Cyril Ramaphosa a annoncé que six pays considérés comme des marchés émergents, l’Argentine, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, rejoindraient le bloc le 1er janvier 2024.

Depuis qu’ils sont devenus un organisme réunissant des conférences internationales, les Brics sont souvent considérés comme les représentants du Sud global. Rappelons pourtant que le Brésil et l’Afrique du Sud, et désormais l’Argentine, y sont les seuls membres de l’hémisphère Sud, et même lorsqu’on en fait un équivalent politique du tiers-monde, la notion de Brics s’avère plutôt limitée, tant d’un point de vue conceptuel qu’organisationnel. Si quelques-uns de ses membres sont des démocraties, la plupart sont des autocraties, et nombre d’entre eux sont en conflit les uns avec les autres.

Ainsi l’Inde et la Chine se sont combattues à leur frontière, disputée, dans l’Himalaya ; l’Éthiopie et l’Égypte entretiennent un différend concernant l’usage des eaux du Nil, tandis que l’Arabie saoudite et l’Iran se disputent l’influence stratégique dans le golfe Persique. En outre, la présence de la Russie vide de son sens toute prétention à représenter le Sud global.

La principale valeur de l’expression « Sud global » est diplomatique. Quoique la Chine soit un pays à revenu intermédiaire de l’hémisphère Nord rivalisant avec les États-Unis pour l’influence mondiale, elle aime à se décrire comme un pays en développement jouant un rôle de chef de file au sein du Sud global. Encore ai-je perçu, lors d’un récent voyage à Pékin, des différences d’analyse notables entre les chercheurs chinois que j’y ai rencontrés. Certains voyaient dans le terme « Sud global » un outil politique utile, d’autres laissaient entendre qu’il serait plus judicieux d’utiliser une terminologie qui classe les pays selon leur revenu – élevé, intermédiaire et faible –, même si tous les pays à faible revenu ne partagent pas les mêmes intérêts ou les mêmes priorités. La Somalie et le Honduras, par exemple, affrontent des problèmes très différents.

La terminologie des pays à revenu élevé, intermédiaire ou faible ne vient pas facilement sur la langue des journalistes et des élus ; et elle est embarrassante dans les gros titres. Aussi continuera-t-on, par commodité, à s’en remettre au « Sud global ». Mais celles et ceux qui se préoccupent d’une description plus rigoureuse du monde devraient n’utiliser qu’avec circonspection un terme qui prête autant à confusion.

Copyright: Project Syndicate, 2023.

Traduction : François Boisivon.

Professeur de sciences politiques à l’université Harvard et ancien président du groupe nord-américain au sein de la Commission trilatérale. Dernier ouvrage : « Do Morals Matter ? » (Oxford University Press, 2020).

Le terme « Sud global » est aujourd’hui d’usage courant. Ainsi certains commentateurs ont-ils mis en garde contre la perte du « Sud global » qui pourrait résulter de l’incursion d’Israël dans la bande de Gaza, et l’on entend souvent que le « Sud global » souhaite un cessez-le-feu en Ukraine. Mais que veut-on dire par là ?...

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