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La stratégie de l’inchallah

La crise de Gaza attendra bien encore un peu, la classe politique prend décidément tout son temps pour doter le Liban non plus désormais d’un président de la République, c’est déjà de l’histoire ancienne, mais cette fois d’un soldat en chef. Or, s’il faut bien se mettre dans l’ambiance guerrière, l’actuel commandant de la troupe dont le mandat vient bientôt à expiration se trouve être aussi un des candidats les plus en vue à la présidence. Le reconduire en douceur dans sa fonction pourrait passer pour un plébiscite, un visa pour le palais de Baabda ; du coup, l’épineux dossier n’en finit pas de valser entre gouvernement et Parlement sur fond d’arguties bassement politiciennes.


Mais jusqu’à quand notre pays peut-il s’imaginer capable de se faufiler entre les gouttes du déluge de feu s’abattant sur l’infortunée Gaza ? Et n’est-il pas déjà suffisamment trempé avec les éruptions quotidiennes de ce front de soutien qu’a ouvert le Hezbollah à sa frontière sud ? Le fait est que le Liban officiel n’a aucune sorte de prise sur l’évolution de la situation militaire, la milice s’étant chargée de la peine sans demander l’autorisation de personne. L’État le sait ; il sait même que, partout ailleurs, on le sait aussi. Conscient qu’il erre sous un parapluie de papier, même pas buvard, tout juste peut-il espérer qu’une fois passé l’orage, la communauté internationale se décidera à prendre les choses en main : qu’elle s’active à éteindre le brasier de Gaza mais aussi à neutraliser les foyers ronflant alentour ; qu’elle redonnera vie à l’idée de deux États en Palestine et consistance à la résolution 1701 de l’ONU appelée, depuis l’an 2006, à pacifier les terres cuites et recuites du Liban-Sud.


Comme on l’imagine, c’est à plus d’une inconnue toutefois que se heurte la stratégie libanaise de l’inchallah. À l’évidence, la première a pour nom Benjamin Netanyahu. Ce dernier a perdu gros quand il s’est fait surprendre le 7 octobre, et il est acculé à gagner plus gros encore s’il a quelque chance de se faire absoudre par ses concitoyens en colère. Or, s’il a rasé le gros de Gaza, si son score frôle même la monstrueuse barre de 20 000 morts, le Premier ministre israélien n’a toujours pas, à ce jour, de gros poisson à tirer de son filet. Sa sauvage équipée a retourné une bonne part de l’opinion mondiale, au point que le chef du Pentagone américain l’a publiquement mis en garde contre une victoire tactique menaçant de virer à la déroute stratégique. Israël, quant à lui, menace de faire du Liban un nouveau Gaza ; mais il semble envisager aussi une solution diplomatique qui aurait pour effet de refouler les combattants du Hezbollah derrière la ligne du fleuve Litani, ce que prévoyait précisément la résolution 1701. La tentation est grande dès lors à Tel-Aviv d’en finir d’une situation affectant au double plan sécuritaire et économique l’entière Galilée ; alors, négociation ou nouvelle fuite en avant, cap plein nord cette fois ?


La réponse se trouve-t-elle forcément à Washington, comme le voudrait le sens commun ? On peut en douter, le déjà imprévisible Netanyahu étant, au départ, un Netanyahu aux abois. Bien que soutenant à bout de bras son allié israélien, l’administration Biden paraît néanmoins consciente des dommages que cause, chez elle-même, l’outrancier acoquinage. La duplicité, ça ne s’invente pas : à peine brandi à l’ONU son veto excluant tout cessez-le-feu, voilà en effet Washington qui fixe une date limite, début janvier, à l’orgie de sang ; et qui s’affaire aussi pour éviter toute conflagration majeure au Liban.


Last but not least, c’est là qu’entre en scène un Hezbollah dont l’État libanais n’est guère au secret des intentions réelles, et encore moins de celles du patron iranien. Régnant en maître sur la région frontalière, convaincue de sa capacité à décourager avec ses missiles à longue portée toute aventure israélienne, comment et pourquoi la milice pourrait-elle accepter de se replier ? Ce ne serait concevable que dans le cadre d’un grand bazar régional dont les contours demeurent flous, indiscernables, à l’image d’un État libanais qui n’est plus que l’ombre de lui-même. C’est précisément là que se profilent les écueils de tout arrangement qui ne restituerait pas à cet État sa préséance première.


C’est contre le gré de la nette majorité des Libanais que le Hezbollah s’est adjugé la décision de paix ou de guerre, qu’il est allé combattre sur plus d’un front étranger. La milice est encore loin d’avoir remporté l’épreuve de force engagée avec Israël en signe de solidarité avec le Hamas palestinien ; mais misant sur le pragmatisme des chancelleries, c’est avec le même dédain de la volonté populaire qu’elle se verrait bien en principal protagoniste. En interlocuteur privilégié.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

La crise de Gaza attendra bien encore un peu, la classe politique prend décidément tout son temps pour doter le Liban non plus désormais d’un président de la République, c’est déjà de l’histoire ancienne, mais cette fois d’un soldat en chef. Or, s’il faut bien se mettre dans l’ambiance guerrière, l’actuel commandant de la troupe dont le mandat vient bientôt à expiration se...