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Amoureux de Camus, postérité d’une œuvre sensible

Amoureux de Camus, postérité d’une œuvre sensible

D.R.

Leçon de style et leçon d’humanité, Le Dictionnaire amoureux Camus, composé par Mohammed Aïssaoui, est le meilleur moyen d’entrer dans la vie de l’auteur de L’Étranger. Camus n’est plus ce « philosophe pour classe de Terminales » qu’on lui a un temps reproché d’être, mais un grand écrivain dont l’œuvre vibrante défie le temps.

Généreux, c’est le terme qui vient lorsqu’on découvre ce dictionnaire amoureux de la collection Plon consacré à Camus. On y naviguera à loisir d’entrées attendues et bien documentées consacrées à l’œuvre (entre autres L’Homme révolté, Caligula, Les Justes, L’Étranger, Le Malentendu, L’Été), à d’autres plus intrigantes (Don Quichotte, Le Désert, « À mort Camus », FBI ou Météo). On y apprendra une multitude de choses.

De cette multitude, un portrait se dessine. Plus que cela, un sentiment se dégage : celui d’appartenir à une certaine famille d’esprit. Pour Mohammed Aïssaoui qui confesse avoir depuis toujours un volume de l’auteur auprès de lui, Camus « c’est mon père, mon frère, mon professeur, mon ami. Il me console des chagrins du monde, m’apporte de la joie, je suis triste quand il est malheureux. Avec lui, je ne me suis jamais senti seul. » On ressent cette proximité à chaque article de son dictionnaire. Et c’est ainsi qu’il fallait aborder Camus, en se laissant prendre par la main. On se rappellera alors que Camus, c’est à la fois une conscience politique aiguisée qui interroge avec lucidité les questions de la pauvreté, de l’injustice et la complexité des jeux de pouvoir  ; Camus c’est aussi le penseur qui replace l’homme face à sa condition, faible, dérisoire, si petit face à la puissance des éléments.

Mais Camus est avant tout l’écrivain qui nous tend un miroir. Celui qui pointe l’ambivalence des hommes. Leur insondable mystère. Avec la figure de Meursault bien sûr qui ne sait pas pourquoi il a tué un homme un jour où il faisait si chaud  ; avec Jean-Baptiste Clément dans La Chute, cet avocat parisien qui emploie le superbe oxymore de « juge-pénitent » pour se définir  ; avec Caligula, le tortionnaire, le despote, l’homme infâme qui reste animé d’une soif d’absolu qui ne peut que nous émouvoir. À ce titre, comme le rappelle Aïssaoui, le rôle créé par Gérard Philippe marqua les mémoires. Entre beauté, suavité et cruauté, il excella dès les premières représentations de la pièce au théâtre Hébertot en 1945.

L’homme capable du meilleur comme du pire. L’œuvre de Camus interroge perpétuellement ce paradoxe. Quête absurde ? Le mot cher à Camus, bien explicité dans le dictionnaire, est propre à définir notre condition, celle d’hommes et de femmes éperdus de désirs, mais contraints à la mort. Quand Sartre avait cru nous apprendre que l’homme tout entier conquiert sa liberté par le choix et par ses actes – et qu’il est toujours libre de le faire –, Camus, plus riche dans sa démarche, plus à l’écoute de nos tourments, plus indécis finalement, est au fait de ce que sont les hommes. Nous sommes tous des êtres de doute voués à l’inaccomplissement.

Aujourd’hui, nous voyons mieux la portée du travail de Camus, sa contribution au siècle, pourrait-on dire. « Le philosophe pour classe de Terminales » tel que l’avait nommé Jean-Jacques Brochier dans un pamphlet et que l’on regardait de haut depuis les bancs de l’université, a eu depuis longtemps sa revanche. Grand témoin de l’activité créative de Camus, son professeur de philo à Alger et qui deviendra son ami, Jean Grenier, rappelle que « Camus a non seulement lutté contre la paresse de l’intelligence, mais qu’il s’est encore plus opposé à la paresse du cœur et que, s’il n’a jamais été fatigué de combattre, c’est qu’il n’a jamais été fatigué d’aimer ».

Ce dictionnaire amoureux met en scène un homme et une œuvre dans toute sa complexité. Camus fut tout au long de sa vie un homme en lutte. Journaliste militant en Algérie, puis rédacteur en chef de Combat, Camus considère le journalisme comme une aventure épique et fraternelle. De 1944 à 1947, il dirige le journal et livre quantité d’articles qui sont tour à tour des professions de foi, des attaques frontales, mais aussi des engouements sincères et des engagements indéfectibles. Sur des questions aussi diverses que la politique intérieure, l’épuration, le rôle de la presse ou la politique coloniale, Camus est toujours pertinent. Jamais de bravades chez lui, toujours une invitation à la lucidité et à la vigilance.

Mohammed Aïssaoui, écrivain et critique littéraire au Figaro, a conduit ce dictionnaire avec la complicité de Catherine Camus, la fille d’Albert : « celle qui se décrit comme ‘‘l’œuvre mineure’’ de son père est la meilleure spécialiste de Camus », dit d’elle Mohammed Aïssaoui. Leur volonté commune de dévoiler un Camus à hauteur d’homme, à la fois dans sa quête créative et dans son lien aux autres, est salutaire.

Camus meurt à 47 ans dans un accident de voiture conduite par Michel Gallimard, le 4 janvier 1960. Il aura manqué au demi-siècle. Dans ce beau dictionnaire, c’est le cœur qui parle, non les regrets.

Le Dictionnaire amoureux d’Albert Camus de Mohammed Aïssaoui, Plon, 2023, 528 p.

Leçon de style et leçon d’humanité, Le Dictionnaire amoureux Camus, composé par Mohammed Aïssaoui, est le meilleur moyen d’entrer dans la vie de l’auteur de L’Étranger. Camus n’est plus ce « philosophe pour classe de Terminales » qu’on lui a un temps reproché d’être, mais un grand écrivain dont l’œuvre vibrante défie le temps.Généreux, c’est le terme qui vient...

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