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Moyen-Orient - Reportage

Pour les prisonniers palestiniens libérés, le premier jour du reste de leur vie

Avec la prolongation annoncée de la trêve pour deux jours, de nombreuses familles nourrissent encore l'espoir de voir leurs proches libérés, bien que l'attente soit insoutenable.

Pour les prisonniers palestiniens libérés, le premier jour du reste de leur vie

Le prisonnier palestinien Khalil Zama' embrasse sa mère après avoir été libéré d'une geôle israélienne dans le cadre de l'accord entre l'État hébreu et le Hamas, le 26 novembre 2023. Hazem Bader/AFP

Samedi soir, au domicile des Dwayyat, le café était servi, les pâtisseries commandées, et la famille, prête à accueillir Shrouq, prisonnière depuis huit ans. La police israélienne avait pourtant réduit les réjouissances au néant pour tous les Palestiniens de Jérusalem : toute célébration était interdite, limitée au cercle familial rapproché, les journalistes devaient être évacués. Vers minuit et demi, la jeune Palestinienne de 26 ans est accueillie en héroïne. Des cris de joie, des scènes d’embrassades à n’en plus finir, et des larmes, surtout celles de sa mère, Samira. Deux jours après sa remise en liberté, la maison familiale ne désemplit pas.

« Jusqu’à maintenant, je n’arrive toujours pas à croire que c’est mon troisième jour de liberté et que je suis là, auprès de ma famille, assise à côté de ma mère, qu’il y a mon frère et que j’ai pu serrer mon père dans les bras, lâche Shrouq Dwayyat, émue. J’ai l’impression de rêver. » Ce qu’elle a fait pour son premier jour de liberté ? « C’est plutôt “qu’est ce que je n’ai pas fait aujourd’hui ?”, s'amuse-t-elle. J’ai vu énormément de monde, j’ai rencontré mes cousins que je ne connaissais pas, j’ai profité de mes amis... » Sa mère l’interrompt. « Elle a déjeuné avec nous, dîné avec nous. Toutes ces choses de la vie dont nous avons été privés pendant toutes ces années. » À 59 ans, Samira regarde sa fille avec tendresse et lui tient la main en permanence, comme pour s’assurer qu’elle est véritablement à ses côtés. Elle embrasse le sol, remercie Dieu pour son retour. « La veille, c’était cruel, la journée était interminable, soupire-t-elle. J’avais vraiment peur qu’avec tout ce retard dans l’accord, notre Shrouq ne rentrerait pas à la maison. Vraiment, ces heures d’attente étaient presque pires que les huit ans que nous avons passés sans elle. C’était psychologiquement intenable. »

Les conditions des prisonnières

Sa fille a été graciée de huit ans, alors qu'elle était condamnée à seize ans de prison. En 2015, alors que Shrouq Dwayyat se balade dans la vieille ville de Jérusalem, elle est attaquée par un colon israélien, qui essaie de lui retirer son hijab. Elle se débat, le colon sort une arme, tire quatre fois et blesse gravement la jeune femme âgée de 18 ans. Elle est accusée par Israël d’avoir voulu le poignarder. Aujourd’hui, cette histoire, Shrouq ne veut plus en parler, précisant qu’elle l’avait « racontée des milliers de fois déjà ». Mais elle tient à raconter les conditions des femmes en prison, qui se sont gravement dégradées depuis le 7 octobre. « Nos quotidiens ont drastiquement changé. Les gardes entraient dans nos cellules en permanence, ils nous frappaient et nous jetaient des bombes lacrymogènes. La répression était à son comble depuis des semaines, et puis il y a eu ces nouveaux ordres : réduire notre nourriture, augmenter le nombre de prisonnières par cellule. Nous n’avions plus droit à la radio, ni à la télévision ni aux visites, nous étions coupées du monde et traitées comme si nous n’étions pas des êtres humains. » Libre, elle pense surtout à celles qui restent. « Surtout celles qui ont eu de longues peines. Nous sommes toutes sorties qui étions sur la liste, sauf Shatella Abou Ayadeh, une Palestinienne citoyenne d’Israël et qui avait été condamnée à 16 ans, comme moi. Ce qu’elle vit n’est pas facile. »

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En Cisjordanie occupée, depuis vendredi soir, des scènes de liesse, des feux d’artifices et des klaxons accompagnent chaque soir, à proximité de la prison d'Ofer, à la sortie du village de Beitunia, les libérations de prisonniers, aux couleurs du Hamas et au son de chants à la gloire de Mohammad Deif, le chef des Brigades al-Qassam, la branche armée du parti. « Merci à Dieu, merci à la résistance de nous avoir permis d'être libres. Nous étions si isolés. Nous ne sortions que pour nous doucher », lâchait, émue, Hanan Barghouti, devant un parterre de caméras vendredi soir. Cette prisonnière de 59 ans était en détention administrative, tandis que quatre de ses fils sont toujours en prison. « C'est toujours la même chose : c'est une punition collective », soupire-t-elle. Son mari regarde la foule, ébahi. « Pour nous, Palestiniens, même si ces libérations semblent dérisoires, c’est une cause nationale, insiste Mariam, une habitante de Ramallah. C’est notre responsabilité d’être ici pour les accueillir. Évidemment, notre joie reste limitée : il y a Gaza, il y a tous ces massacres. Ces enfants tués ne seront jamais remplacés, ces maisons pulvérisées non plus. Et ces libérations sont dérisoires par rapport au nombre de prisonniers. Mais elles nous donnent espoir, car ce n’est que le début, et un jour, tous les prisonniers seront libérés. »

D'autres noms en attente

Mais pour d’autres familles de prisonniers, l’interminable attente vire parfois à la torture psychologique. À Jérusalem, dans le quartier de Cheikh Jarrah, Jad Hammad sursaute à chaque sonnerie de téléphone depuis que sa fille, Nofouz, 16 ans, la plus jeune des détenues palestiniennes, n’est pas rentrée à la maison. Arrêtée le 8 septembre 2021 alors qu’elle était à l’école, elle a été condamnée – deux ans après – à 12 ans de prison, accusée d’avoir voulu tuer un colon israélien, ce que nie catégoriquement son père. « Ma fille n’a rien fait de tout ça. Le tribunal n’a qu’une vidéo où l'on voit quelqu’un courir. Vous connaissez la situation du quartier ? Nous avons toujours des problèmes avec les colons, ils sont armés, et depuis des années, ils prennent nos maisons une à une et veulent nous chasser », dit-il, montrant du doigt la maison d’en face, étoile de David illuminée sur la façade.

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« J’avais tellement d’espoir quand j’ai vu son nom sur la première liste, encore plus quand j’ai reçu un appel samedi matin pour me prévenir que ma fille allait être libérée et que j’étais convoqué au Moscobiyeh (le centre de détention pour les Palestiniens de Jérusalem, où sont transférés les prisonniers avant d’être libérés, NDLR). » Là-bas, on lui demande sa carte d’identité et son portable et on le fait attendre toute la journée, avec les autres proches des détenus censés sortir ce même jour. « Vers minuit, les Israéliens m’ont rendu mes papiers et m’ont laissé partir. Sans rien me dire de ce qui en était de ma fille. J’étais choqué, anxieux, effrayé et je n’ai pas pu dormir. Depuis, je passe mon temps à regarder la télévision, lire chaque article, appeler les avocats pour savoir où elle peut être et ce qui a pu arriver. »

Après avoir décrit la journée d’attente insurmontable, ce père de 47 ans s’arrête. « Je viens de me rappeler que nous avons vu une ambulance au Moscobiyeh, dans la soirée », lâche-t-il. Jad Hammad s’empare alors de son téléphone, appelle immédiatement l’hôpital et donne le numéro d’identité de sa fille. « Vous voyez où on en arrive ? Je suis un père, je bouillonne. Je ne peux même pas expliquer ce que je ressens. Je ne demande qu’à la serrer dans mes bras. » Sa voix tremble, les larmes lui montent aux yeux, il s’excuse et quitte la pièce. Sa sœur, la tante de Nofouz, reprend un mouchoir, elle aussi est au bord des larmes. « Si nous savions au moins où elle était, nous serions tranquillisés. Vous savez, dans ces moments, votre cerveau imagine tous les scénarios, notamment les pires. Peut-être qu’ils l’ont battue, peut-être qu’elle a été violée, peut-être qu’elle a été remise en prison... C’est horrible et je ne souhaite cela à personne. » Ce lundi, la famille Hammad n’attend qu’une chose : voir le nom de Nofouz sur la liste des libérés. 

Samedi soir, au domicile des Dwayyat, le café était servi, les pâtisseries commandées, et la famille, prête à accueillir Shrouq, prisonnière depuis huit ans. La police israélienne avait pourtant réduit les réjouissances au néant pour tous les Palestiniens de Jérusalem : toute célébration était interdite, limitée au cercle familial rapproché, les journalistes devaient...

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