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Graines de furie

En 2015, Benjamin Netanyahu faisait scandale quand il soutenait, en plein Congrès sioniste mondial, que le mufti de Palestine avait soufflé à l’oreille de Hitler l’idée de l’extermination du peuple juif. Si vive fut alors la vague d’indignation suscitée par ces assertions, aussitôt contredites par les historiens de la Shoah, que Netanyahu se vit accuser d’exonérer le Führer de la responsabilité première de l’Holocauste ; d’aucuns allèrent même jusqu’à voir là une hallucinante illustration du syndrome de Stockholm, cette aberration qui porte parfois un otage à s’attacher à son geôlier.


Erreur, se récrieront les spécialistes de la psychanalyse. Car ce qu’ils voient plutôt dans l’actuel déchaînement de barbarie sur Gaza, c’est un cas typique d’identification avec l’agresseur, où l’on inflige à un tiers les sévices que l’on a soi-même subis ; à chacun son souffre-douleur, quoi. Punition collective, massacre de masse, hôpitaux, écoles et autres lieux de refuge ciblés, déplacement de populations : toutes proportions gardées, on n’est pas trop loin du compte avec l’infâme modèle. Mais l’essentiel n’est toujours pas là, à savoir cette inaccessible, insaisissable sécurité que les fondateurs d’Israël promettaient aux citoyens de cet État et dont Netanyahu a fait sa doctrine, sa règle de pouvoir. L’opération Déluge d’al-Aqsa a incontestablement fait voler en éclats ce mythe déjà écorné par d’innombrables attentats. Mais loin de le pousser à des révisions déchirantes, le séisme du 7 octobre le porte à redoubler de meurtrières démonstrations de force, aussi bien en Cisjordanie occupée qu’à Gaza, espérant ainsi redonner crédibilité à son credo. Or c’est objectivement un avenir d’insécurité et de précarité assurées, garanties, qu’est en train de réserver aux Israéliens le chef du Likoud. Chaque jour plus nombreux d’ailleurs sont les esprits lucides à s’en effarer, tant en Israël même qu’au sein de la diaspora juive.


A-t-on assez réfléchi à l’énorme charge de haine, de furie vengeresse, que vont inévitablement produire toutes ces épouvantables tueries ? Quelle soumission peut-on raisonnablement attendre de la population de Gaza, formée en grande partie de réfugiés que l’incessante canonnade et la privation d’eau et de nourriture voudraient contraindre à un nouvel exode ? Quelle génération d’irréductibles militants – et même sans doute de commandos-suicide – représentent les bambins de Gaza qui, sans rien comprendre à ce qui se passait, ont hurlé de terreur avec leurs parents sous les sauvages bombardements ou écarquillé les yeux devant les alignements de petits linceuls voués à la fosse commune ? Une fois instruits des circonstances de leur survie, les bébés prématurés évacués in extremis vers l’Égypte attendront-ils seulement d’avoir atteint l’âge adulte pour s’en aller quérir justice ? Quid enfin des habitants de la Cisjordanie, objets de meurtres et d’agressions diverses, littéralement poussés dans leurs derniers retranchements par les colons en folie, risquant bientôt de n’avoir plus rien à perdre ?


Comme dans tous les conflits, il y a toujours un fait antérieur motivant une riposte : laquelle, à son tour, devient un précédent appelant riposte. La spirale de la violence qui, depuis trois quarts de siècle, déroule ses anneaux en Palestine, qui en vient maintenant à menacer la paix régionale et même peut-être mondiale, les grandes puissances sont coupables de n’avoir pas déployé assez d’efforts pour l’arrêter. Pour faire de l’actuelle tragédie une opportunité, comme le réclame en vain le secrétaire général de l’ONU. Les excès des colons israéliens ont enfin retenu l’attention de l’Américain Joe Biden ; mais c’est seulement du droit d’accès aux States qu’il menace de les priver, au lieu de leur dénier solennellement l’extravagant visa biblique dont ils se prévalent pour s’emparer, fusil au poing, des terres d’autrui. Dans une tribune publiée samedi dernier par l’influent Washington Post, le président américain réaffirme son soutien à la solution des deux États et à une Autorité palestinienne revitalisée ; mais n’est-ce pas surtout la direction israélienne qui a besoin de sang nouveau, plutôt que de demeurer sous la coupe des vampires ?


On a beau torturer la géographie, on ne saurait arrêter indéfiniment la marche d’une histoire chaque jour plus réfractaire à ce révoltant anachronisme qu’est la colonisation. Douce ironie : débarrassée d’un apartheid qui devait beacoup à l’expertise israélienne en matière de répression, l’Afrique du Sud figure aujourd’hui au tout premier rang des critiques de Netanyahu.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

En 2015, Benjamin Netanyahu faisait scandale quand il soutenait, en plein Congrès sioniste mondial, que le mufti de Palestine avait soufflé à l’oreille de Hitler l’idée de l’extermination du peuple juif. Si vive fut alors la vague d’indignation suscitée par ces assertions, aussitôt contredites par les historiens de la Shoah, que Netanyahu se vit accuser d’exonérer le Führer de...