Il y a un an, les 4 000 habitants du village de Tayr Harfa (Tyr) se réjouissaient d'avoir assuré leur approvisionnement en eau grâce à un système de panneaux solaires autofinancé, installé au sommet d’une colline. « Notre village avait enfin pu bénéficier d'une source d'eau naturelle nécessaire aux ménages et à l'irrigation des petits jardins », déclarait Kassem Ghorayeb, professeur à l’Université américaine de Beyrouth (AUB) originaire de Tayr Harfa, sur X (ex-Twitter), le 3 novembre, au lendemain d’un bombardement israélien ciblé sur l’installation. « Il est tellement frustrant de voir un projet de développement durable parti de zéro être anéanti en quelques secondes », poursuivait M. Ghorayeb, l'un des initiateurs du projet, dans son message.
Dans un contexte d'escalade des tensions transfrontalières entre Israël et le Hezbollah, le village agricole de Tayr Harfa, comme de nombreux autres villages du Liban-Sud, a été le théâtre de frappes israéliennes répétées depuis le début de la guerre entre le Hamas et l'Etat hébreu le 7 octobre dernier. Des frappes qui ont touché plusieurs installations et équipements civils, dont une ambulance, des habitations et ce projet local de production d'électricité d’origine solaire. Les environs de Tayr Harfa ont été visés à plus de 20 reprises entre le 11 octobre et le 10 novembre, selon les données recensées par le Beirut Urban Lab.
Le système de panneaux solaires visait à remédier aux pénuries d'eau exacerbées par la crise économique libanaise, la hausse des prix du carburant et les pénuries d'électricité.
« Les enfants du village »
Au fur et à mesure de l’aggravation de la crise économique, Tayr Harfa recevait, comme les autres villages, de moins en moins d'électricité publique, tandis que la hausse du prix du carburant rendait de plus en plus difficile l'utilisation des pompes à eau fonctionnant au diesel.
Alors, pour faire face à la pénurie d’eau, Kassem Ghorayeb et deux de ses amis d'enfance, Ali Ataya à Beyrouth et Ali Srour qui réside en Afrique, ont eux même pris en main le problème. « Nous sommes tous des enfants du village. Nous n’y vivons pas, mais nous y avons des maisons et nous sommes à l'aise financièrement », raconte Kassem Ghorayeb, ajoutant qu'ils « ont décidé de monter ce projet indépendamment de tous les partis (politiques) ».
« Nous avons commencé à obtenir les numéros de téléphone (des habitants du village) pour leur parler directement (du projet) », explique Ali Ataya qui, avec Kassem Ghorayeb et Ali Srour, a formé un « comité de développement ». La mission du comité est centrée sur la gestion du projet d'énergie solaire et de tout autre projet futur dans le village.
Après avoir vécu pendant plus de vingt ans en France, Ali Ataya est rentré en 2016 au Liban, où il a fondé une société d'informatique et construit une maison dans son village natal. « Tout le monde a commencé à parler du projet à ses proches », ajoute-t-il. « Nous avons constaté que l'initiative suscitait un grand intérêt. En fin de compte, de nombreux expatriés ont encore de la famille dans le village et il était dans leur intérêt de leur assurer l'eau ».
Grâce à cette démarche, la moitié de la somme requise a été collectée en quatre mois environ l’an dernier. Les habitants, qu'ils soient résidents ou, pour l’essentiel, expatriés, ont pu réunir collectivement environ 80 % des 130 000 dollars nécessaires pour la réalisation du projet. Les 20 % restants devant encore être remboursés à l'entreprise d'énergie solaire.
L’initiative a donné une lueur d'espoir aux habitants qui, depuis plus de deux ans, dépendaient fortement des camions-citernes privés. « Chaque ménage a besoin d'environ trois remplissages de réservoirs d'eau par semaine, et chaque remplissage coûte environ 20 dollars », explique Kassem Haidar, président de la municipalité de Tayr Harfa, à L'Orient Today.
Après l'installation du projet, les besoins en eau des ménages ont été satisfaits à hauteur de 90 % au cours de l'été 2023, affirme pour sa part Hassan Haidar, le moukhtar du village. « L'année dernière, environ sept camions-citernes vendaient de l'eau aux habitants de la ville », poursuit-il. « Cette année, presque aucun ne vendait d'eau à domicile, car les gens en avaient suffisamment » grâce à l'énergie solaire qui faisait tourner les pompes à eau du village.
Le micro-réseau avait la capacité de faire fonctionner la pompe à eau principale six à huit heures par jour, ce qui était suffisant pour remplir les réservoirs d'eau du village, note M. Ataya. Il est devenu « presque la seule source d'approvisionnement en eau de la ville compte tenu de la détérioration des conditions économiques et sociales », déclarait la municipalité de Tayr Harfa dans un communiqué le 3 novembre.
Beaucoup de colère
Le système de panneaux solaires comportait deux plates-formes, stratégiquement positionnées pour exploiter efficacement la lumière du soleil. La première, située au sommet d'une montagne, alimentait une pompe qui tirait l'eau de la source « Zarka » (bleu en arabe) vers un réservoir principal. La seconde plate-forme facilitait le pompage de l'eau du réservoir principal vers les réservoirs individuels des ménages.
L'attaque israélienne a visé la première plateforme, détruisant ses 200 panneaux solaires ainsi que la salle de contrôle, et privant les 500 logements du village d'un approvisionnement en eau.
Depuis, le village dépend uniquement de l'électricité sporadique fournie par l'État pour alimenter les pompes à eau. Hussein Ghoul, directeur de l'Office des eaux du Sud-Liban, a déclaré à L'Orient Today que l'Office essayait d'obtenir du diesel pour alimenter la pompe à eau du village afin de fournir de l'eau à ceux qui sont restés sur place et à ceux qui se rendent au village chaque semaine pour contrôler leurs entreprises et leurs mini-exploitations agricoles.
Tayr Harfa n'étant qu'à cinq kilomètres de la frontière, une grande partie de ses habitants ont fui vers des zones plus sûres en raison des bombardements israéliens. « Il faut comprendre la brutalité de l'attaque - l'ennemi veut vous priver de vos droits fondamentaux, de l'eau et de l'électricité », déplore M. Ataya. « C'est excessif, mais ce qui est important, c'est qu'aucune personne n'a été blessée dans cet incident ». « Il y a beaucoup de colère », renchérit Kassem Ghorayeb. D’autant qu’il reste des traites à payer à l'entreprise d'énergie solaire. « C'est un désastre, le village n'a plus d'eau, mais nous nous relèverons. Nous n'avons pas d'autre choix », ajoute-t-il. « Nous avons contacté les autorités et nous prévoyons de collecter à nouveau de l'argent pour le projet, mais la situation est différente aujourd'hui. Qui veut donner 1 000 dollars ? Qui a de l'argent maintenant alors que la situation financière ne cesse d'empirer ? »
L’enseignant a lancé une campagne de financement participatif afin de collecter des fonds pour la reconstruction du projet. Jusqu'à présent, il a recueilli plus de 3 000 dollars, mais en espère 130 000.
L'Autorité des eaux du Liban-Sud, qui contrôle les sources et les puits de la région, avait fourni tout l'équipement nécessaire pour pomper l'eau. M. Ghoul indique que l'autorité de l'eau allait s'adresser aux donateurs, mais qu'il ne fallait pas s'attendre à une reconstruction avant que le conflit frontalier ne s'apaise.
La destruction du projet de panneaux solaires à Tayr Harfa n'est pas un incident isolé. L’aviation israélienne vise régulièrement plusieurs secteurs tout le long de la frontière, affectant les infrastructures essentielles, notamment l'approvisionnement en eau. La station d'eau de Wadi al-Solouki, une installation majeure dans le sud, a également été endommagée, aggravant les pénuries d'eau dans les villages voisins, tels que Mays al-Jabal, déclare M. Ghoul.
L'alimentation électrique de la station a été réparée, mais deux jours plus tard, elle a de nouveau été visée, ajoute-t-il. « L'ennemi israélien ne fait pas de différence entre les infrastructures civiles et militaires. Il bombarde tout, l'énergie solaire, les réservoirs d'eau, les hôpitaux », estime M. Ghoul, qui ajoute que l’Office des eaux a formé un comité d’urgence. « Nous surveillons quotidiennement les zones touchées et nous essayons de leur fournir de l'eau à partir d'une autre source (...)mais cela dépend de la situation sécuritaire sur les routes, surtout près de la frontière. Ali Ataya espère néanmoins que « lorsque la situation reviendra à la normale, le projet sera relancé et qu'il sera meilleur qu'il ne l'était ».
Ce ne sont que les tous premiers fruits destructeurs de la "demi-guerre" (même pas dixième de guerre au regard des capacités militaires engagées de part et d'autre) du Hezbollah. Au moins si maintenant les gens descendent dans la rue ça ne sera plus jamais contre "kellon" mais en premier lieu pour demander à l'armée de faire respecter l'armistice de 1949, qui est la seule solution pour gérer la coexistence avec l'entité sioniste qu'on le veuille ou non, et qui n'implique pas du tout reconnaissance mutuelle comme le ferait un accord de paix déjà signé par moult pays arabes..
14 h 00, le 20 novembre 2023