
« Chez Madeleine », une ambiance conviviale et une cuisine appréciée. Photo DR.
« Ce que je demande à mes clients, c’est de me dire si l’un des plats n’est pas bon ; je ne leur demande jamais de mettre un avis favorable sur internet, ça ne sert à rien, et même quand ils me disent qu’ils ont lu tel ou tel élément flatteur en ligne, je les invite à ne pas croire tout ce qu’on raconte et à constater par eux-mêmes », lance d’emblée Madeleine Atallah. Chez elle, les faux-semblants ne sont pas de mise, et elle ne mâche pas ses mots. « Je ne sais pas allumer un ordinateur, mais je suis reconnaissante pour tous ces commentaires positifs sur internet, ils remplacent la publicité. Malgré l’inflation, on est toujours complets. Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien, comme on dit », poursuit la restauratrice, dont le sens de la formule et de l’à-propos est imparable. Selon elle, c’est le contact humain qui fonde le succès de son établissement, ce qui n’est pas difficile à croire, car la tonalité à la fois caustique et sensible de ses paroles, associée à une voix très grave, est à la fois surprenante et plaisante. « Dans ce métier, il faut être proche des gens, sympathiser avec eux, discuter. Parfois ils viennent me saluer en cuisine, et j’apprécie nos relations spontanées. Nous ne sommes pas là uniquement pour faire un service et pour vendre. Je suis flexible dans mon approche, s'ils veulent changer de garniture, s’ils ont des enfants, s’ils ont des soucis financiers, on s’adapte. J’aime les recevoir comme à la maison, et qu’ils se sentent les bienvenus », ajoute Madeleine, qui est arrivée à 23 ans à Boulogne-Billancourt, en 1987, accueillie par des connaissances qui sont devenues sa famille d’adoption.
Un peu du Liban à Paris. Photo DR
La restauration par hasard
Née au Liban, à Adonis plus exactement, Madeleine Atallah a fait des études de publicité, avant de travailler dans le paysagisme, elle aménageait des jardins pour Tropicana, Exotica, puis à son compte. : « J’ai été contrainte de quitter le pays, comme beaucoup de gens, à cause de la guerre. Lorsque j’ai eu l’opportunité de partir, je n’ai pas hésité. Le temps de régulariser mes papiers, j’ai fait du baby-sitting, puis j’ai travaillé dans la publicité. Un jour, je me trouvais dans un restaurant libanais, et le gérant, totalement débordé, était en panique. Je lui ai proposé de l’aider, et j’ai réitéré l’expérience quelques fois car on avait sympathisé. C’est comme ça que j’ai découvert la restauration. J’ai ensuite travaillé dans plusieurs restaurants, parmi lesquels les célèbres bistrots Le Petit Maillot et Le Pouilly-Reuilly, où je voulais apprendre la cuisine française. J’étais curieuse, et sur tous les fronts », confie Madeleine, qui a l’art de saisir les occasions au vol, avec confiance et décontraction. Et puis un jour, en 2006, en face de chez elle, rue de Paris, la chef autodidacte découvre un panneau : « Bail à céder ». Elle décide alors de l’acheter pour ouvrir un restaurant français. Or, la veille de l’ouverture, la personne qui devait travailler avec elle se désiste... Elle se lance alors au pied levé dans la cuisine libanaise. « Pour améliorer mes recettes, j’appelais ma mère et des amis, et nous nous sommes rapidement développés. Nous sommes aujourd’hui une équipe de 10 personnes, avec cinquante couverts et, en moyenne, un service et demi, à midi et le soir. Pourtant, le restaurant est dans un coin très calme, et on peut se demander comment j’ai eu le courage d’ouvrir dans cet endroit », explique Madeleine, dont la clientèle vient de toute la région parisienne, mais aussi du monde de la télévision. « Nous ne sommes pas loin des plateaux de télévision, Harry Roselmack, animateur de l’émission Sept à huit sur TF1, est venu, mais aussi le photographe Yann Arthus-Bertrand ou encore la chef Anne-Sophie Pic… Pendant le tournoi de Roland-Garros de nombreux joueurs de tennis viennent se restaurer chez nous. À Boulogne, je connais plein de monde, je suis chez moi, bien plus qu’au Liban », poursuit Madeleine Atallah avec regret et une pointe d’émotion.
Madeleine « Chez Madeleine », la valeur ajoutée. Photo DR
Histoires de houmous, d’aubergines et de cravates
Même si la mode culinaire actuelle est à la fusion et aux réécritures des plats et saveurs traditionnels, la patronne de Chez Madeleine n’en est pas convaincue. « J’ai essayé de franciser des plats, de les diversifier, mais ça n’a pas trop marché. Ma clientèle, essentiellement française, vient chez moi pour manger des plats typiquement libanais. J’aime bien mettre du kiwi dans le tabboulé ou faire du kebbé au potiron avec des noix, mais il y a toujours quelqu’un d’allergique aux aliments ajoutés, et finalement je suis restée dans la tradition. Falafels et houmous sont les plus demandés, pour le dessert c’est la ossmalieh qui est favorite, je la prépare avec du beurre salé, un délice !»
Ce qui fait le « sel » du restaurant, c’est aussi une manière d’être avec les clients, sans fioritures. « J’aime bien plaisanter et je ne prends pas de gants avec la clientèle. Lorsque Frédéric Mitterrand est arrivé un jour avec des chaussettes de couleurs différentes, je lui ai demandé directement ce qui lui était arrivé ! » raconte-t-elle en riant. Son sens de l’observation affûté lui a parfois joué des tours. Appréciant particulièrement les cravates Hermès, elle les repère directement, et prend l’habitude d’en faire la remarque à l’un de ses clients réguliers, qui, un jour, a emmené sa femme chez Madeleine. Bien mal lui en a pris, l’épouse s’est méprise sur la visée des compliments de la restauratrice et a fait une scène à son mari, en lui demandant comment elle connaissait aussi bien ses cravates !…
Des plats libanais cuisinés avec des recettes classiques et simples. Photo DR
Petites anecdotes
« Il faut être au four et au moulin », déclare plus sérieusement la patronne, qui soigne ses assiettes tout en gardant un œil exercé sur le théâtre du monde qui l’entoure. Ainsi, un autre de ses habitués venait régulièrement avec sa maîtresse, jusqu’au jour où son épouse l’a appelé pendant le repas, pour avoir comme réponse le traditionnel « Je suis en repas d’affaires ». Or le téléphone fut mal raccroché, et « sa femme a participé au dîner, tout en préparant ses valises ! » ajoute Madeleine en riant.
Depuis le Covid, le savoir-vivre semble plus rare selon la chef incisive, qui ne manque pas de le faire remarquer. « Quand un client entre en parlant au téléphone sans me saluer, je lui indique la porte, en précisant qu’il y a aussi deux fenêtres », précise celle qui est parfois sceptique face à la pratique du doggy bag. « Il arrive qu’on me demande de rapporter une cuillère de houmous, ou même de la glace, ce que je refuse catégoriquement. Une fois, une cliente a même souhaité une remise car elle n’avait pas de décoration de persil sur ses aubergines farcies, j’ai failli perdre les quelques grammes de cervelle que j’ai…» poursuit avec humour celle qui souhaite proposer une formule brunch le dimanche, malgré les difficultés d’embauche de personnel en France actuellement. « Pour soulager le restaurant, nous avons ouvert une boutique traiteur, car nous sommes très sollicités par la vente à emporter. Mes neveux ont plein d’idées, et moi, d’ici à quelques années, j’aimerais ouvrir une petite école de cuisine », espère Madeleine, dont l’ingrédient préféré est… la franchise. Et les clients en redemandent.
commentaires (3)
Je reconnais pleinement notre Madeleine dans ses blagues et dans le ton de l’article qui relate bien notre cantine et lieu de prédilection dès que Qq’un a envie de goûter la bonne cuisine libanaise. Madeleine, ne t’arrête pas ET be change pas
Ghanem Anne
08 h 26, le 17 novembre 2023