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Sport - REPORTAGE

Malgré les temps qui courent, Beyrouth valait bien un marathon

La 21e édition du marathon de Beyrouth s’est déroulée ce dimanche dans les rues de la capitale libanaise. Une respiration plus que nécessaire pour ses plus de 12 000 participants dans le contexte anxiogène des dernières semaines.

Malgré les temps qui courent, Beyrouth valait bien un marathon

Les coureurs et coureuses au départ de l’édition 2023 du marathon de Beyrouth. Crédit photo Beirut Marathon

Il est bientôt 9h30 lorsque Abdallah franchit à bout de souffle la ligne d’arrivée. Sous la pression de l’acide lactique qui pétrifie ses jambes, le trentenaire n’a d’autre choix que de s’effondrer contre la barrière. Mais entre les profondes expirations et les grosses gouttes de sueur qui assaillissent son visage, se dessine progressivement le soulagement du devoir accompli. « Tu l’as fait ! » lui lance Rana, son épouse, qui vient à sa rencontre en tenant Myriam par la main, la petite dernière d’à peine deux ans, suivie de ses deux frères, Bassam et Haitham. Arrivée la veille de Tripoli, la famille partage la joie d’Abdallah qui, pour la première fois, a bouclé le marathon de Beyrouth sous la barre symbolique des trois heures. Une performance réalisée à 58 secondes près : « J’ai longtemps cru que je serais trop court, mais j’ai tout donné dans les derniers kilomètres. Je voulais que ma femme et mes enfants soient fiers de moi à l’arrivée », confie cet employé de compagnie d’assurances.

Les membres de « The Crew » posant à l'arrivée du marathon de Beyrouth 2023. Photo issue du compte Instagram de The Crew


Quelques mètres plus loin, c’est au tour de Moussa d’en finir. En brandissant une écharpe aux couleurs du drapeau libanais, ce comédien et professeur d’anglais d’origine syrienne vient d’accomplir un défi non moins ambitieux, celui de courir un semi-marathon seulement cinq mois après s’être converti à l’activité physique : « J’ai eu une prise de conscience, j’en avais marre d’être essoufflé dès que je me mettais à courir, raconte ce jeune homme de 21 ans. Alors, j'ai rejoint The Crew, une communauté de sportifs qui accueille des coureurs de tout âge et de tout niveau et me voilà aujourd’hui. Courir 21 kilomètres, c'était inimaginable pour moi. »

« Ça nous fait énormément de bien d’être ici »

Arrivés au bout d’eux-mêmes, Abdallah, Moussa et les quelque 12 000 participants alignés au départ des différentes courses de cette édition 2023 du marathon de Beyrouth sont toutefois arrivés loin derrière celles et ceux qui se sont mêlés à la lutte pour les podiums. La course entre favoris a d’ailleurs donné lieu à des performances inégalées lors des vingt éditions précédentes, au premier rang desquels se dresse l’Éthiopien Gadissa Tafa Dekeba, vainqueur du marathon masculin en 2 heures 10 minutes et 34 secondes, devant son compatriote Gojjam Belaynieh Aya et le Kényan Rotich Mitei John. Un record de l’épreuve qu’a également décroché Mulugojam Birhan Ambi dans la course féminine, qu’elle a remportée en 2h 27 min 48 sec, devant ses compatriotes Gete Dukale Robe et Asmare Beyene Assefa.


Mulugojam Birhan Ambi (g.), vainqueure du marathon féminin, posant aux côtés de May Khalil, la fondatrice et présidente du marathon de Beyrouth. Crédit Photo Beirut Marathon


Comme chaque année, le marathon de Beyrouth est avant tout une occasion de rassembler tous les Libanais, peu importe leur confession et leur statut social, tout en offrant une parenthèse enchantée dans un quotidien de plus en plus pesant. Un sentiment renforcé par l’anxiété qui règne depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza, avec la crainte que les tensions croissantes au Liban-Sud se propagent dans le reste du pays. « J’avais très peur qu’ils doivent encore annuler cette édition, déclare Céline, qui vient pour sa part de terminer les 10 kilomètres. On avait déjà été privé de marathon à cause de la thawra puis du coronavirus (en 2019 et 2020, ndlr). J’ai été soulagée lorsqu’on a su que l’événement serait maintenu. »

« C’était l’année la plus difficile sur le plan organisationnel, avoue Soraya, Barbir, directrice du Marathon de Beyrouth. Depuis le début des événements à Gaza, nous avons fait au moins une réunion par semaine avec toute l’équipe pour faire le point. Le maintien de l’événement a été remis en question jusque dans les derniers jours, mais nous sommes fiers d’avoir pris cette décision car il était clair que les gens avaient encore plus besoin de cette bouffée d’oxygène que les autres années », se réjouit-elle.

Ce choix a également ravi les nombreux membres de la FINUL qui ont pris part aux différentes courses : « Ça nous fait énormément de bien d’être ici, assure Mario, un des soldats italiens de la force onusienne en train de se désaltérer avec plusieurs collègues près d’un stand dédié à une marque de bière. On a longtemps cru que la course ne pourrait pas avoir lieu, mais comme les tensions restent localisées au Sud pour l’instant, c’est bien que le reste du pays puisse continuer à fonctionner normalement », ajoute-t-il, lui qui sera à nouveau déployé cette semaine aux abords de la frontière avec son régiment.

Semblant de normalité

Mais cette guerre qui ne dit pas son nom dans le sud du Liban a tout de même eu son lot d’effets indésirables. « À l’exception de quelques coureurs de la région, notamment de Jordanie, d’Irak ou d’Égypte, tous les coureurs étrangers ont annulé, déplore-t-elle. Heureusement, les coureurs d’élite ont maintenu leur venue, mais cela s’est joué jusqu’à la dernière minute. » Des désistements en cascade qui se sont forcément fait ressentir sur le volume final de participants : « On attendait 18 500 personnes, précise Soraya Barnir. Finalement, on en a comptabilisé 12 000 environ, comme l’année dernière. » Un chiffre auquel il faut ajouter 2500 bénévoles et contractuels mobilisés tout au long de l’événement.

En raison de l’annulation de son vol, Marc Bouffioux fait partie des nombreux coureurs ayant dû renoncer à leur escapade beyrouthine. Chose que le retour forcé de sa fille, contrainte de rentrer provisoirement en Belgique, avait déjà largement compromis. Mais cela n’a pas empêché ce coureur originaire de Charleroi d’effectuer depuis les bords de la Meuse, son propre marathon qu’il avait bien l’intention de parcourir coûte que coûte. « Tout était parfaitement organisé, il n’y avait qu’à élaborer mon propre tracé sur Google Maps puis rentrer le code de la distance que l’on souhaitait parcourir sur l’application pour lancer la course, détaille Marc Bouffioux. Je suis un peu triste de ne pas avoir pu courir ce marathon sur place, mais heureux tout de même d’avoir pu le faire et d’avoir, à mon humble mesure, soutenu le Liban dans ces temps difficiles. »

Marc Bouffioux courant le marathon de Beyrouth depuis les bords de la Meuse, en Belgique. Photo fournie par Marc Bouffioux

Au sein de cette légèreté ambiante, le risque de guerre qui plane un peu plus chaque jour sur le pays du Cèdre se ferait presque oublier. Seuls les quelques keffiehs et drapeaux palestiniens brandis ici-et-là par certains coureurs et coureuses font office de piqûre de rappel. Un geste de solidarité avec les victimes de Gaza auquel s’est joint May Khalil, la fondatrice et présidente du marathon de Beyrouth dans son discours à la tribune. « On a dû modifier toutes les animations festives que nous avions initialement prévues, précise Soraya Barbir. Il était important pour nous de montrer que nous avions une pensée pour les victimes à Gaza et au Liban-Sud. Nous voulions transmettre un message de paix en conformité avec les valeurs que nous défendons, tout en essayant de rester neutre. »

Courir, même les yeux bandés

Ce semblant de normalité s’est en tout cas largement fait sentir le long du parcours qui sillonne les rues de la capitale depuis la Corniche. Surtout pour Rabih, courant les yeux bandés aux côtés de Mary qui l’oriente et l’encourage à l’autre bout de la corde, nouée au niveau de leurs bassins respectifs. Comme les cinq autres membres de l’équipe « Blind with Vision » alignés au départ en compagnie de leurs guides, Rabih a parcouru sans discontinuer les 42,195 km malgré sa cécité. Un marathon de plus pour le premier coureur libanais de l’histoire à avoir terminé un marathon, lui dont la course à pied a changé sa vie en 2017 « Lorsque j’ai rencontré Rabih, il m’avait dit que son rêve était de courir un marathon, décrit Mary, son entraîneure. Depuis, il en court dès qu’il en a l’occasion. Puis j’ai dévidé de créer une véritable structure pour venir en aide à d’autres personnes malvoyantes et faire de la course une passion qui les pousse au quotidien. »

Rabih al-Jammal (g.) courant aux côtés de Mary Kleyaani lors du marathon de Beyrouth. Crédit Photo Beirut Marathon

Pour parachever le bilan de cette 21e édition, voici les résultats des différentes épreuves. Dans le classement des coureurs libanais, c’est Saleh Zeaiter qui, comme l’année dernière, a décroché la première place en 2h 30 min et 43 sec devant Omar Abo Hamad et Tony Hanna, tandis que Kathia Rached l’emportait en 3h 12 min et 19 sec devant Nada Jisr et Aline Merheb. « Nous sommes d’autant plus fiers d’être parvenus à maintenir cet événement dans de telles circonstances. Je pense que nous avons tous pris une bouffée d’oxygène dont nous avions bien besoin », conclut Soraya Barbir.

Autres résultats :

– Semi-marathon masculin

1. Salem Atallah (Égypte)

2. Mohammad Kdouh (armée libanaise)

3. Bilal Awada (armée libanaise)


– Semi-marathon féminin

1. Nesrine Njeim (Liban)

2. Hanoia Adak Hanoia (Soudan)

3. Marie-Thérèse Murray (Liban)


– 10 km masculin

1. Mohammad Abdullah Ma (Irak)

2. Ali Reda Kenaan (Liban)

3. Hussein Issam Mohammad (Irak)


– 10 km féminin

1. Bryony Steyn (Grande-Bretagne)

2. Joan Makary (Liban)

3. Nada el-Kurdi (Liban)


– Semi-marathon masculin (déficients visuels)

1. Hussein Mhanna (Liban)

2. Hassan Hamieh (Liban)

3. Nasser Ballout (Liban)


– Semi-marathon féminin (déficients visuels)

1. Zahraa Kaadoun (Liban).


– Athlètes paralympiques masculins

– Fauteuil roulant

1. Youssef Mawla.

– Cyclisme à main (handbike)

1. Ahmad el Ghoul

2. Ahmad Shebli

2. Jamal Sousi

Il est bientôt 9h30 lorsque Abdallah franchit à bout de souffle la ligne d’arrivée. Sous la pression de l’acide lactique qui pétrifie ses jambes, le trentenaire n’a d’autre choix que de s’effondrer contre la barrière. Mais entre les profondes expirations et les grosses gouttes de sueur qui assaillissent son visage, se dessine progressivement le soulagement du devoir accompli. « Tu...

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