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Qu’Einstein leur explique !

Doux réveil, serait-on tenté de s’exclamer à l’adresse de la communauté internationale, si seulement la douceur avait encore droit de cité dans le monde de violence sans frontières où nous vivons. Car il aura fallu plus de quatre semaines de massacres méthodiques de civils à Gaza, de bombardements incessants n’épargnant ni hôpitaux ni ambulances, ni même lieux de refuge onusiens, pour qu’un frémissement de vie vienne enfin secouer les somnolentes consciences des puissants ; pour que des fissures commencent à apparaître dans la carapace de soutiens étrangers octroyée à Benjamin Netanyahu.


Et encore, consciences serait sans doute trop dire, trop présumer des principes moraux dont se parent les alliés inconditionnels d’Israël. Car ce n’est pas par pure compassion pour la population civile de Gaza que Joe Biden a imposé à un Benjamin Netanyahu hier encore intraitable ces pauses dans les combats qui, à défaut de cessez-le-feu, permettent aux misérables cohortes humaines de gagner à pied des régions à peine plus sûres. C’est sous la pression d’une part notable de sa propre opinion publique, des manifestations monstres, de la fièvre qui enflamme les grandes universités américaines, et des sondages défavorables, que le candidat à sa propre réélection s’associe en outre à une négociation sur la libération des otages détenus par le Hamas. En France où les tensions ethnico-religieuses atteignent la cote d’alerte, Emmanuel Macron ne se borne pas à réunir à l’Élysée, pour l’aide à Gaza, le gotha mondial de l’action humanitaire : au terme d’une longue période de flottement il se résout, lui – et l’Europe avec lui–, à prononcer le mot tabou de cessez-le-feu. Et, pour couronner le tout, on voit les mondes arabe et islamique s’aviser de meubler ce week-end d’un joli doublé de conférences au sommet.


Plus extraordinaire encore, voilà qu’avant même d’avoir paré au plus urgent en stoppant l’hémorragie, l’on a déjà entrepris de débattre de l’après-Gaza en pleine réunion du G7. Réoccuper cette turbulente bande de terrain dont Ariel Sharon n’était que trop heureux de se débarrasser en 2005 ? Netanyahu se l’était promis mais il a dû y renoncer publiquement, suite à un veto américain. Idem pour l’idée de recaser ailleurs (mais où donc ?) les deux millions de Gazaouis. Installer alors sur le champ de ruines fumantes le gouvernement palestinien de Ramallah ? Le transbahuter sur place dans les fourgons de l’armée israélienne achèverait de le discréditer en en faisant carrément un pâle collaborateur. Et si enfin le retour à la solution des deux États commande absolument l’émergence d’une nouvelle direction palestinienne vierge de tout radicalisme, le simple bon sens n’exige-t-il pas, en contrepartie, un Israël délivré de l’outrecuidante emprise des tenants du Grand Israël ?


C’est là en fait que l’on touche au fond du problème car il ne faut pas que la fumée des incendies de Gaza dissimule ce qui se passe entre-temps à l’autre bout de l’infortunée Palestine. C’est là que doit enfin voler en éclats le plus scandaleux des tabous, celui-là même que nul gouvernement occidental n’ose briser, de peur d’essuyer l’infamante accusation d’antisémitisme. Passe encore qu’Israël, aboutissement d’un problématique projet de colonisation juive de la Palestine, soit reconnu du gros de la planète, et même désormais de nombre de gouvernements arabes. Le problème est qu’Israël n’a jamais renoncé à sa vocation de colonisateur, qu’il ne craint même pas de l’afficher. En témoigne la prolifération des implantations en Cisjordanie occupée et des crimes perpétrés par les colons contre la population arabe avec la bénédiction et le concours actif de l’armée israélienne.


À son tour, ce tabou induit un scandale non moins révoltant, celui du droit à la légitime défense abusivement décerné à un colonisateur occupant qui s’est emparé par la force des territoires d’autrui et qui continue, à ce jour, à en harceler, persécuter et déposséder les populations. C’est une défonce on ne peut plus illégitime qu’on a plutôt là, un sanguinaire délire dopé à la soif de vengeance et à la viscérale boulimie d’expansion territoriale. Cette sorte de junkies, on ne leur concède pas, par lâcheté ou par basse complicité, ce genre précis de licence légale. Absoudre donc Netanyahu du massacre délibéré de Gaza revient, surtout pour les pays européens qui ont eu à endurer l’occupation hitlérienne, à comprendre a posteriori (sinon à les justifier, ce qui serait un comble !) les barbares représailles collectives dont celle-ci se rendait coupable pour neutraliser toute résistance.


C’est aux amis d’Israël qui ont volé à son secours le 7 octobre qu’il appartient de lever ces mortelles ambiguïtés, et cela dans l’intérêt bien compris de tous les peuples de la région. Qu’il s’agisse de pauses dans les bombardements, d’otages ou encore de plans tirés sur la comète quant à l’avenir de la Palestine, ces puissances ne font, pour leur l’heure, qu’essayer de rattraper un calendrier effeuillé en pure perte : perte de précieuses vies humaines, bien sûr, mais perte aussi d’opportunités telles celles que peuvent parfois offrir les plus explosives des crises. Or il faut maintenant aller plus loin. Et surtout plus vite, de plus en plus vite, faute de quoi on aurait condamné la région tout entière à mille ans d’éruptions.


L’humanité doit à Albert Einstein la découverte de la relativité du temps : de son élasticité, autrement dit, de sa capacité à se dilater sous certaines conditions. Le physicien de génie serait effaré de voir quel piètre usage en font ceux qui gouvernent le monde.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Doux réveil, serait-on tenté de s’exclamer à l’adresse de la communauté internationale, si seulement la douceur avait encore droit de cité dans le monde de violence sans frontières où nous vivons. Car il aura fallu plus de quatre semaines de massacres méthodiques de civils à Gaza, de bombardements incessants n’épargnant ni hôpitaux ni ambulances, ni même lieux de...