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Dany Laferrière, l’écrivain qui réinvente les livres

Dany Laferrière, l’écrivain qui réinvente les livres

© J.-F. Paga / Grasset

Depuis un certain nombre d’années, depuis Journal d’un écrivain en pyjama peut-être, on a le sentiment que Dany Laferrière invente une autre manière d’écrire, une autre manière de faire des livres. Ses ouvrages prennent des chemins de traverse, font bouger les lignes, n’appartiennent pas clairement à un genre littéraire précis. Mais sans doute a-t-il emprunté ces chemins-là depuis longtemps, mélangeant déjà poésie et roman, essai et autobiographie, fiction et observation du monde dans nombre de ses textes. Plus récemment, il a écrit des romans dessinés, ouvrages qualifiés d’« ovnis littéraires » et dont il tire bonheur et fierté. Autoportrait de Paris avec chat, Vers d’autres rives ou L’Exil vaut le voyage mélangent ses propres dessins et un texte qu’il prend infiniment de plaisir à écrire à la main. Il dit d’ailleurs avoir voulu « prendre le temps de retrouver les mouvements de (sa) main », une main guidée par la mémoire et qui renoue à n’en pas douter avec l’enfant qu’il a été et qu’il porte en lui, sa gestuelle, les objets et les paysages qui n’ont cessé de l’habiter depuis qu’il a été arraché à sa terre. Ce sont de beaux livres, graphiques et colorés, qu’il a « rêvés avant de les écrire ».

Ses deux dernières parutions sont L’Enfant qui regarde et Petit traité du racisme en Amérique, publiés chez Grasset comme l’ensemble de son œuvre. Le premier est une nouvelle d’une cinquantaine de pages à peine, hommage à Gérard Campfort, poète, chroniqueur et professeur de lettres qui a été à l’origine de la vocation littéraire de Laferrière. Dans la nouvelle, il est Monsieur Gérard, ancien professeur d’une école de jeunes filles chez qui le narrateur, un enfant d’un quartier pauvre de Port-au-Prince qui est son voisin, se rend pour des séances de soutien scolaire. Mais le travail scolaire est vite expédié et Monsieur Gérard initie surtout l’enfant à la poésie, la musique, le savoir-vivre et le bon goût. Il a d’autres préoccupations que l’argent et la nourriture, d’ailleurs, il ne mange presque pas. « Il faut voir, quand il écoute Wagner, ses mains osseuses et son corps tendu comme s’il s’apprêtait à bondir sur une proie, pour comprendre que rien n’est concret ni anecdotique chez cet homme. J’irai jusqu’à dire que c’est le seul être abstrait de ma connaissance », dit le jeune narrateur au sujet de ce personnage mystérieux à propos duquel toutes sortes de ragots circulent, le conduisant à mener l’enquête pour élucider l’énigme qui l’entoure. Énigme qui se résoudra de façon saisissante à la toute fin du récit, entre drame et poésie.

Le second ouvrage rassemble une série de textes, brefs le plus souvent, écrits pour traverser « cette longue nuit zébrée de violences, mais aussi de tendresse, des champs de coton du Sud aux usines du Nord » des États-Unis. Et ce faisant, pour dresser un portrait de cette Amérique où se poursuit la tragédie du racisme quotidien : assassinats qui se passent au vu et au su de tous, dans les rues ou les centres commerciaux, mais aussi à l’abri des regards, dans les entreprises ou les salons. Pour ce faire, Laferrière convoque Bessie Smith, la chanteuse de blues à qui le livre est dédié, mais aussi James Baldwin, Eleanor Roosevelt, Toni Morrison et tant d’autres, traçant à leurs côtés un chemin d’espoir. « Je voudrais, écrit-il, remettre de la chair et de la douleur dans cette tragédie qu’est le racisme. » Et plus loin : « Il nous faut intervenir de manière durable et en profondeur. Il faut écrire des livres qui intéressent les jeunes gens. L’autorité du livre se fait en complicité avec le lecteur. » Alors lisons, et espérons avec lui.

L’enfant qui regarde de Dany Laferrière, Grasset, 2022, 64 p.

Petit traité du racisme en Amérique de Dany Laferrière, Grasset, 2023, 256 p.

Depuis un certain nombre d’années, depuis Journal d’un écrivain en pyjama peut-être, on a le sentiment que Dany Laferrière invente une autre manière d’écrire, une autre manière de faire des livres. Ses ouvrages prennent des chemins de traverse, font bouger les lignes, n’appartiennent pas clairement à un genre littéraire précis. Mais sans doute a-t-il emprunté ces chemins-là...

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