Rechercher
Rechercher

Culture - Récital

« Je suis Libanais, pourquoi ne serais-je pas ici avec vous ? »

C’est à la Silk Factory de Fidar que le pianiste Abdel Rahman el-Bacha a donné un lumineux récital.

« Je suis Libanais, pourquoi ne serais-je pas ici avec vous ? »

Le pianiste Abdel Rahman el-Bacha : « La musique est aussi née dans les moments difficiles. » Photo DR

Quelle indicible joie que de retrouver Abdel Rahman el-Bacha au Liban. « Je suis Libanais, pourquoi ne serais-je pas ici avec vous ? » dit-il avec un naturel désarmant, à l’heure où en cette période si troublée tout n’est que désistements, annulations et reports d’événements culturels.

C’est à la Silk Factory de Fidar que ce lumineux récital s’est tenu, devant un public venu très nombreux et extrêmement attentif (malgré quelques fâcheux applaudissements entre les mouvements), mais ce n’est pas grave, ne boudons pas notre plaisir !

Programme éclectique, oscillant entre pièces du grand répertoire pianistique et œuvres plus confidentielles du patrimoine musical libanais qui est si riche et que l’on n’a pas fini de découvrir.

La première partie s’ouvre sur la Sonate en fa majeur K332 de W. A. Mozart (1756-1791), en trois mouvements, extraite d’un cycle de trois sonates écrites par le compositeur en 1783 alors qu’il venait de s’installer à Vienne. Dès l’attaque le ton est donné. Abdel Rahman el-Bacha est un orfèvre qui cisèle l’œuvre avec une extraordinaire précision tout en gardant intacte sa fraîcheur et sa juvénilité. La musique est évidence, elle coule de source et envahit avec une tendre douceur le cœur et l’esprit.

Lire aussi

Abdel Rahman el-Bacha : La vie est une leçon d’humilité

Puis viennent trois des quatre Impromptus de l’Opus 90 de F. Schubert (1797-1828), considérés comme les œuvres les plus célèbres du compositeur autrichien. Et la vision si personnelle de l’interprète s’offre alors à nous, saisissante, qui nous embarque dans son univers poétique. Toute l’expérience d’une vie vibre et s’exprime dans cette sonorité pleine, signifiante, cette palette de nuances qui toujours s’accorde aux changements d’éclairage harmonique. On gardera longtemps en mémoire la bouleversante confidence et la tristesse sans larme que le pianiste sait si bien exprimer.

La seconde partie commence avec Nostalgie, une œuvre de Toufic el-Bacha (1924-2005), père de Abdel Rahman, compositeur et chef d’orchestre ayant marqué la vie musicale du Liban des années 1950, jusqu’à son décès qui devrait être beaucoup plus connu et valorisé au Liban, car il est l’un des pères fondateurs du dialogue des cultures en musique. En effet, Toufic el-Bacha, ayant reçu une éducation musicale occidentale, fut l’un des premiers à l’avoir mise au service de son âme orientale. Tout d’abord, en introduisant les instruments orientaux dans la formation purement occidentale de l’orchestre symphonique, ce qui dans les années 1950 était totalement novateur, et puis en redonnant aux Mouachahat (poèmes chantés arabo-andalous) leurs lettres de noblesse et un statut de musique savante à part entière, alors qu’au fil des siècles ils avaient été quelque peu dépréciés et considérés comme de la « musiquette ». Il fut en outre l’un des chefs d’orchestre attitrés du Festival international de Baalbeck, y créant de nombreuses œuvres et opérettes dans les années 1960. Nostalgie est l’une des rares pièces pour piano du très riche catalogue de Toufic el-Bacha et elle exprime parfaitement le mélange des langages musicaux qu’il maniait si bien, l’occidental et l’oriental, alternant les moments de grande douceur avec les déchaînements harmoniques.


Le récital se poursuit avec quatre œuvres de Abdel Rahman el-Bacha lui-même, car si l’on connaît parfaitement l’immense interprète virtuose du piano, le compositeur lui est un peu plus en retrait et il est à la tête d’un important catalogue de musique pour piano, de chambre et orchestrale. Prélude oriental, Marie ou la Mort d’un enfant, Romance et Lamma Bada Yatathana, quatre petits chefs d’œuvres de tendresse et de sensibilité dont les sources d’inspiration sont tour à tour la musique arabo-andalouse, la musique romantique ou les tragédies de la vie humaine.

Pour la fin du concert, une apothéose, F. Chopin (1810-1849), évidemment ! N’oublions pas que Abdel Rahman el-Bacha a gravé une intégrale chronologique du compositeur, qui a fait date dans le monde musical occidental. Trois œuvres emblématiques sont au programme, Barcarolle en fa dièse majeur, op 60, Berceuse en ré bémol majeur op 57 et Polonaise en la bémol majeur op. 53 dite « héroïque ». Et ici l’envoûtement nous prend, le parcours est marqué par une atmosphère de continuité habitée, qui plonge au tréfonds de l’âme. La sonorité se dégage, révélant une qualité d’émotion mise à nu par un jeu pénétrant, sans jamais forcer le ton, y compris dans les déchaînements de violence. Et cette impression se poursuit avec Chopin et l’Impromptu-Fantaisie offert en bis à public totalement sous le charme.

Merci, Abdel Rahman el-Bacha, pour ce moment de grâce musicale et si comme vous le dites vous-même « la musique est aussi née dans les moments difficiles », elle fut, lors de ce récital à Fidar, d’un très grand réconfort pour tous ceux qui eurent la chance d’y assister.

Quelle indicible joie que de retrouver Abdel Rahman el-Bacha au Liban. « Je suis Libanais, pourquoi ne serais-je pas ici avec vous ? » dit-il avec un naturel désarmant, à l’heure où en cette période si troublée tout n’est que désistements, annulations et reports d’événements culturels. C’est à la Silk Factory de Fidar que ce lumineux récital s’est tenu, devant un...

commentaires (1)

Et merci Zeina de nous bercer de ton style envoûtant et enivrant, tes mots coulent tels des notes de musique sur un recueil de partitions.

Robert Moumdjian

11 h 06, le 31 octobre 2023

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Et merci Zeina de nous bercer de ton style envoûtant et enivrant, tes mots coulent tels des notes de musique sur un recueil de partitions.

    Robert Moumdjian

    11 h 06, le 31 octobre 2023

Retour en haut