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Nos Lecteurs ont la Parole

Ad hoc

 « L’humanité devra mettre un terme à la guerre, ou la guerre mettra un terme à l’humanité », J.F. Kennedy.

On commençait à s’y faire. On avait rangé les chocs des dernières années dans des tiroirs. On les avait remplacés par des souvenirs tout neufs. Plus gais, plus doux, plus colorés. On recommençait à sortir, on allait au cinéma, au restaurant, au théâtre, les uns chez les autres. On avait repris le goût du voyage, de l’insouciance pourtant timide. On replongeait tête détachée dans des bouquins. On cuisinait en écoutant de la musique. Certains heureux s’étaient accordés à la nouvelle dollarisation de la monnaie, on commençait même à refaire des plans, oui, des projets de futur. On avait quasi digéré les maux d’avant, pardonné à la destinée, embrassé la providence. La vie, après s’être arrêtée, avait repris son cours de notre côté du monde. On ne le sait que trop. Habiter à Beyrouth, c’est signer un contrat encombré de clauses exceptionnelles, c’est consentir à vivre dans le conditionnel, c’est accepter d’exister entre des parenthèses de douceur qui s’incrustent dans une réalité incertaine et risquée. C’est évoluer dans une ville qui a des airs de miracle. Nous sommes trop habitués à côtoyer le risque pour nous affoler, mais bon sang, ce que nous en avons assez ! Voilà qu’il faut à nouveau nous préparer à fuir. Une manœuvre qu’à force de pratiquer, nous savons aborder. Comme rodés à l’exercice. Passeport, argent en cash, bijoux de valeur, plein d’essence, médicaments essentiels et strict nécessaire d’habits. Tout tient déjà dans un seul sac posé à l’entrée de chez nous. Les chaussures ont quitté leur placard pour camper sur le pas de la porte. Près du sac. Les privilégiés vérifient qu’ils sont bien inscrits auprès de leurs ambassades. Au cas où il y aurait des évacuations, ils seront retracés. Nous prenons aussi soin de ne pas causer de bruit parasite dans nos appartements, comme celui du climatiseur ou du frigidaire, du sèche-cheveux ou de la chaudière. Il ne faut pas qu’il masque celui des avions tueurs ou des drones infidèles si jamais ils venaient à voler au-dessus de nos têtes. Il ne faut pas le confondre avec une probable détonation. Il faut pouvoir entendre clairement ce que nous dit la rue. À l’entrée d’un supermarché de Beyrouth cet après-midi, la tension est palpable. Les gens sont loin dans leur tête, troublés dans leur cœur. Les regards discrets. Une mère nerveuse hurle sur son fils assis dans le caddie. Le gamin tentait seulement d’attraper un biscuit. Personne ne l’a blâmée, en fait, tout le monde l’a comprise. Nous sommes plusieurs jours après le début de la guerre entre Israël et la Palestine. Nous regardons avec horreur, écœurement, colère, impuissance des enfants, des jeunes, des innocents se faire assassiner par centaines tous les jours au nom de dieux qu’ils ne connaissent même pas. Leurs ailes coupées avant même qu’elles n’aient poussé. C’est vrai, nous avons peur. À Beyrouth, on dit : « El-harb aal bab. » Elle est à nos portes, tout près de chez nous, mais personne n’en veut, de cette guerre ! Le mot paix semble avoir été oublié, radié, proscrit, rayé des valeurs humaines dans cette partie du globe. L’humanité, quant à elle, gommée par des bipèdes avides et abjects qui se méprisent sans se connaître pour leurs religions, leurs opinions politiques, leurs races, et se permettent de voler impunément la chose la plus précieuse qui soit, la vie. Être avec l’un ou contre l’autre, se réjouir des morts d’un camp et des vivants de l’autre, supplier pour la victoire à gauche et la défaite à droite, ou vice versa. À quoi ça sert ? Il n’y a qu’une seule route à prendre, une prière, si utopique soit-elle, à adresser, et c’est celle de la paix, de la cohabitation pacifique, de l’entente, du respect, de la fraternité, de l’amour ! Je peux vous assurer qu’aujourd’hui, il n’y a que ma fille, la musique, quelques écrivains et la quiétude de la nature qui arrivent à me consoler de faire partie de cette engeance d’êtres tordus et déformés que sont les hommes.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

 « L’humanité devra mettre un terme à la guerre, ou la guerre mettra un terme à l’humanité », J.F. Kennedy.On commençait à s’y faire. On avait rangé les chocs des dernières années dans des tiroirs. On les avait remplacés par des souvenirs tout neufs. Plus gais, plus doux, plus colorés. On recommençait à sortir, on allait au cinéma, au restaurant, au...

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