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Monde - Éclairage

Aux États-Unis, la communauté juive prise entre deux feux

Si l’attaque du 7 octobre a provoqué un élan de solidarité avec Israël, une partie de la communauté juive américaine veut faire entendre sa voix en faveur d’un cessez-le-feu et contre l’occupation.


Aux États-Unis, la communauté juive prise entre deux feux

Des militants juifs américains organisent une manifestation en faveur d’un cessez-le-feu à Gaza dans le Cannon House Office Building, à Washington, DC, le 18 octobre 2023. Photo AFP

Aux abords de la Maison-Blanche, à Washington, quelques militants arborent des pancartes aux messages explicites : « Non à la guerre, non à l’apartheid », « Les juifs pour un cessez-le-feu maintenant ». Au centre de la scène, une jeune femme aux cheveux courts et frisés livre un discours passionné. Dans le ton de sa voix, la tristesse se mêle à la colère. Elle s'appelle Eva Borgwardt. Elle est directrice politique au sein du groupe militant juif anti-occupation If Not Now 

« Notre judaïsme nous a amenés ici. Pas seulement nos valeurs juives fondamentales, mais aussi notre histoire, lance-t-elle. La rhétorique du gouvernement israélien est génocidaire. (...) Cela signifie qu’à travers notre deuil, nous devons prendre la parole car nous savons où mène le fait de qualifier des humains d’animaux alors que l’on parle de bombarder toute une population. »  Nous sommes le 16 octobre 2023.  Depuis neuf jours, les projecteurs du monde sont braqués sur Israël. L’assaut spectaculaire mené par le Hamas en territoire israélien – qui a fait 1 400 morts et des centaines d’otages – bouleverse les opinions publiques occidentales et donne lieu à une succession de déclarations de la part de leurs gouvernants. Résolument, ils affirment leur soutien inconditionnel à l'État hébreu. L’opération rappelle à leurs yeux celles qu’ils ont subies à domicile, à l’image du 11-Septembre ou des attentats du Bataclan. Et l’évocation de l’attaque comme le plus grand massacre de juifs depuis la Shoah ravive, sur un continent européen qui a pensé et mis en œuvre le génocide, une mémoire douloureuse. Dans ces circonstances, l’émotion prend le pas sur tout le reste. Et peu d’importance est accordée aux sorties brutales des officiels à Tel-Aviv appelant à raser Gaza, opposant « les enfants de la lumière » israéliens aux « enfants des ténèbres » palestiniens ou appuyant la légitimité d’une épuration ethnique dans le nord de l’enclave. Mais pour Eva Bordwardt, l'aide militaire massive apportée par Joe Biden à l'Etat hébreu est « insondable et incompréhensible ».

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Sa voix a beau être minoritaire au sein de la communauté juive américaine, elle est non négligeable. En témoigne le sit-in organisé deux jours plus tard par le groupe Jewish Voice for Peace dans un bâtiment du Congrès. Des centaines de personnes y ont participé avant d’être arrêtées pour rassemblement illégal. Objectif ? Exhorter la Maison Blanche et les élus à user de leur pouvoir pour « arrêter le financement de l’occupation et mettre fin à un génocide potentiel », en référence au déluge de feu particulièrement meurtrier qui s’abat sur Gaza : plus de 5000 morts, un million de déplacés.

« Les juifs américains qui s’organisent contre les bombardements à Gaza sont une minorité. Même parmi les libéraux qui dénoncent d’ordinaire l’occupation israélienne et Netanyahu, il existe aujourd’hui une réticence à critiquer la réponse israélienne étant donné la brutalité de l’attaque du Hamas. Il y a un effet de “ralliement autour du drapeau”, souligne Alex Kane, journaliste pour le magazine progressiste Jewish Currents. Mais il existe des organisations marquées à gauche comme Jewish Voice for Peace et If not Now qui vont à contre-courant de l’opinion majoritaire et appellent à un cessez-le-feu. Cela est significatif dans le sens où elles s’engagent sur ce sujet alors qu’elles affrontent une pression immense et des réactions hostiles. »

Apartheid

Cette mobilisation d’une partie de la communauté juive n’est pas anodine, à plus forte raison dans le contexte présent où chaque critique de l’État hébreu est perçue comme une forme de traîtrise. Elle dit quelque chose d’une dynamique à l’œuvre depuis de nombreuses années dans un pays abritant le plus grand nombre de juifs au monde après Israël, dont Washington est le premier soutien financier. Selon un rapport du Congrès datant du mois de mars, près de 260 milliards de dollars ont été alloués à l’État hébreu entre 1946 et 2023 et plus de 50 % de ce budget est destiné à l’aide militaire. À quoi s’ajoute le poids du lobby pro-israélien dans la vie politique américaine, en particulier de l’Aipac qui, généreusement doté, consacre sa mission à la défense farouche des relations israélo-américaines. S’il a longtemps cherché à consolider un appui bipartisan à l’État hébreu, s’il a toujours financé indirectement des candidats issus des deux grands partis US – démocrate et républicain –, il s’est, au cours des législatives de mi-mandat 2022, pourvu d’un super PAC, un organisme destiné au financement direct de campagnes politiques d’envergure. Et dans ce cadre-là, il a presque systématiquement encouragé les candidats trumpistes les plus chevronnés. Un choix qui s’inscrit pleinement dans la stratégie américaine du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. « Netanyahu fait cette observation simple : Aux États-Unis, j’ai environ 20 millions de chrétiens évangélistes qui m’adorent, puis j’ai 5 à 6 millions de juifs dont la majorité ne m’aiment pas et qui passent leur temps à se plaindre », expliquait en novembre 2018 à L’OLJ Yehudah Mirsky, professeur au département d’études juives et proche-orientales de l’Université américaine Brandeis.

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Derrière cet activisme, les craintes suscitées par l’érosion progressive de l’image d’Israël au sein de la base du Parti démocrate et l’ancrage d’un discours de plus en plus véhément contre l’occupation au sein de son aile gauche. Certes, l’establishment traditionnel du parti reste profondément attaché à l’alliance israélo-américaine. Le profil de l’actuel locataire de la Maison-Blanche, Joe Biden, l’illustre parfaitement. Jeudi dernier, il a demandé au Congrès 14,3 milliards de dollars pour Israël, dont 10,6 en armement. Et selon la base de données Open Secrets reprise par Reuters, Biden a été, au cours de ses 36 années au Sénat, « le plus grand bénéficiaire de dons de groupes pro-israéliens dans l’histoire de la Chambre, avec 4,2 millions de dollars ».

Mais d’autres chiffres parlent d’eux-mêmes. D’après un sondage Gallup publié en avril 2023, pour la première fois, les électeurs démocrates expriment plus de sympathie pour les Palestiniens (49 %) que pour les Israéliens (38 %). Or la communauté juive américaine vote à plus de 70 % pour les démocrates. Et si elle tend à être en général plus favorable à Israël que la moyenne des sympathisants du parti, elle est, elle aussi, traversée par la remise en question du soutien sans faille de Washington à l’État hébreu. Du moins était-ce le cas avant le 7 octobre. Dans un sondage conduit en 2021 par le Jewish Electorate Institute, 58 % des sondés déclaraient ainsi être en faveur d’une restriction de l’aide US à Israël afin que celui-ci ne consacre pas la somme à l’expansion des colonies en Cisjordanie. 25 % se disaient en accord avec l’idée qu’« Israël est un État d’apartheid » tandis que 22 % approuvaient l’affirmation selon laquelle Israël « commettait un génocide » contre les Palestiniens.

Un revirement antisioniste ? Pas vraiment. Plutôt l’expression du malaise grandissant d’une grande partie des juifs libéraux et progressistes américains face à l’extrême-droitisation du paysage politique israélien et au projet d’annexion de la Cisjordanie. Car, in fine, 62 % des sondés se disaient attachés à Israël, un chiffre qui monte à 81 % chez les juifs conservateurs et à 90 % chez les juifs orthodoxes. Surtout, 87 % des personnes interrogées répondaient par l’affirmative à la question : « Pensez-vous qu’une personne peut être critique des politiques du gouvernement israélien tout en étant pro-Israël ? »

De l’indifférence à l’inconditionnalité

Souvent présentées comme solides et inébranlables, les relations diverses que les juifs américains ont pu entretenir avec le sionisme et Israël ont, en réalité, fluctué au cours du temps. Les tendances actuelles s’inscrivent dans une longue histoire. C’est ce qu’explique le professeur en études moyen-orientales à la New York University Zachary Lockman, dans un entretien accordé au magazine Merip en novembre 2022. Dans les années 1880, les premières vagues d’immigration d’Europe centrale et orientale vers les États-Unis sont peu sensibles aux sirènes de la Terre sainte. Les balbutiements du projet sioniste ne leur parlent pas. « Le mouvement sioniste a compris – à la fin des années 1930 et au début des années 1940 – que ses relations avec la Grande-Bretagne étaient en train de se décomposer, que les États-Unis émergeraient comme une superpuissance et qu’il devait rallier du soutien là-bas », explique l’historien. Après la Seconde Guerre mondiale et l’horreur de la Shoah, le sionisme gagne en popularité. Mais dans les années 50, le sentiment d’appartenance à Israël reste relativement lointain. Et ce n’est qu’après 1967 que le véritable bouleversement identitaire a lieu. « De nombreux juifs américains (pas tous) ont compris la crise qui a conduit à la guerre de juin 1967 comme une nouvelle menace d’anéantissement, entraînant une explosion de soutien et de dons. La victoire israélienne, qui a été comprise comme un miracle, a produit un élan de sympathie et de connexion plus profond que ce qui avait précédé », note Zachary Lockman. Cette identification progressive à Israël a été, en parallèle, accompagnée au sommet par une croissance exponentielle des liens militaires, financiers et diplomatiques entre les deux pays. « Toute la question du terrorisme devient centrale à partir des années 1970. Des gens comme le jeune Benjamin Netanyahu – futur Premier ministre d’Israël – ont joué un rôle de premier plan dans cette entreprise consistant à présenter le terrorisme comme une menace musulmane à la fois pour Israël et les États-Unis. Cela a fourni un élément émotionnel et moral à l’alliance géostratégique entre les deux pays », écrit Zachary Lockman.

Inversion

Au sein de la communauté juive américaine, deux tendances sont à la hausse aujourd’hui. Le courant orthodoxe d’une part et la désaffiliation religieuse de l’autre. Or les juifs non religieux sont, en moyenne, très marqués à gauche et plus engagés sur les questions de justice sociale. Toute une partie de la jeunesse s’est politisée au contact du mouvement Black Lives Matter qui, au mitan des années 2010, a replacé le combat antiraciste au cœur des débats publics et connecté sa lutte à celle des Palestiniens. D’autant que dans le sillage du 11-Septembre, les États-Unis et Israël ont développé un programme d’échange de « bonnes pratiques » dans la surveillance de masse, le profilage racial et la répression des manifestations.

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Mais si les voix juives critiques d’Israël se sont faites plus nombreuses et plus virulentes au cours de la décennie passée, s’il existe au sein de la jeunesse juive américaine une frange plus détachée de l’État hébreu que ses parents, l’attaque du 7 octobre a semé une forme de psychose, y compris dans les rangs antisionistes. Comment défendre le droit à la résistance des Palestiniens contre l’occupation tout en exprimant sa peur, sa douleur ou son deuil ? Comment comprendre la fierté ou l’espoir exprimés par des Palestiniens devant cette inversion momentanée des rôles – devant le spectacle d’une forteresse israélienne assiégée de toutes parts – et pleurer ses morts ? « Je sais que j’ai beaucoup d’amis (...) qui se demandent comment ils peuvent faire partie d’une gauche qui semble considérer la mort d’Israéliens comme un élément nécessaire, voire souhaitable, de la libération palestinienne. Mais ce que nous rappelle l’Exode (référence au récit biblique, NDLR), c’est que la déshumanisation nécessaire pour opprimer et occuper un autre peuple déshumanise toujours l’oppresseur à son tour. Pour les personnes qui ont l’impression que leur douleur est dévalorisée, c’est parce qu’elle l’est ; et cette dévalorisation est elle-même une caractéristique du cycle de diminution de la valeur de la vie humaine », écrivait le 12 octobre Arielle Angel, rédactrice en chef à Jewish Currents

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12 h 09, le 24 octobre 2023

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Commentaires (2)

  • DERNIERES NOUVELLES : IDF SAID TO CARRY OUT STRIKES NEAR PAIR OF HOSPITALS IN GAZA. QUAND DETRUITS LA PROPAGANDE ISRAELO/OCCIDENTALE LES ATTRIBUERAIENT A DES ROQUETTES DEFECTUEUSES DE HAMAS ET AUTRES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 09, le 24 octobre 2023

  • Bravo .. mais a t on checker quel lobby les fait bouger ?! lol

    Bery tus

    20 h 10, le 23 octobre 2023

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