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Les Gazaouis à la mer !

Du haut des tribunes officielles comme sur les plateaux de la télé et sur les réseaux sociaux, il est très souvent question, en ce moment, de la vieille hantise de l’anéantissement qu’aurait ravivée en Israël la sanglante opération Déluge d’al-Aqsa. Cet intense battage peut paraître légitime à la seule et instinctive évocation des horreurs de l’Holocauste. Il est bien moins innocent cependant quand il prétend justifier – et non plus seulement expliquer – la barbarie du châtiment infligé à l’entière population civile de Gaza en riposte aux atrocités du 7 octobre. Barbarie d’autant plus impardonnable qu’elle est exercée par un État possédant une des armées les plus puissantes de la région ; un État détenant même l’arme nucléaire ; et, comme si tout cela n’était pas encore assez, un État farouchement protégé par la première superpuissance mondiale.


Les Juifs à la mer : force est de reconnaître qu’un slogan aussi stupide qu’infâme a longtemps flétri, en la plombant copieusement, la propagande officielle arabe, aidant en réalité Israël à amasser un formidable capital de sympathie et de sollicitude internationales. Il a meublé les harangues d’un Ahmad Choukeyri, premier chef d’une OLP naissante, de même que les vociférations radiophoniques de la Voix des Arabes. Et si les représentants légitimes des Palestiniens ont fini par franchir le Rubicon en reconnaissant le droit d’Israël à l’existence, l’outrancier appel est désormais du ressort quasiment exclusif de l’Iran et de ses protégés : un Iran qui a dessaisi les Arabes de leur cause première à seule fin d’étendre son hégémonie, un Iran qui, lors de sa longue guerre avec l’Irak, ne dédaigna guère pourtant les munitions et pièces de rechange que lui offrait l’État hébreu …


Or l’insensé déni a changé de camp ; plus exactement, il n’a fait, au fond, que réintégrer son camp d’origine. Une terre sans peuple, soutenaient déjà en effet les fondateurs du sionisme, assimilant ainsi à des non-êtres d’innombrables générations d’habitants de la Palestine. Depuis le grand transfert démographique de 1948, on n’a cessé de perfectionner le processus en le rendant plus scientifique, plus systématique, plus cynique, Benjamin Netanyahu ayant surpassé en la matière tous ses prédécesseurs. Non content de fouler aux pieds les accords d’Oslo, il ne cesse de cribler d’implantations juives la Cisjordanie, il couvre les meurtrières agressions des colons ; il trouve même moyen, pas plus tard que le mois dernier, de claironner l’obsolescence de la question palestinienne, laquelle, jubile-t-il, n’est plus à même de bloquer l’acceptation d’Israël par les Arabes.


Brutalement démenti par les faits, voici donc Netanyahu qui massacre à tour de bras du Palestinien, qui assiège, bombarde sans répit, affame les encagés de Gaza. Ceux qui en réchappent, il a essayé (autre emprunt à la barbarie) de les déporter, de les refouler sinon dans les flots de la Méditerranée, dans cette mer de sable et de caillasse qu’est le Sinaï égyptien. Il en ferait volontiers de même d’ailleurs du reste des Palestiniens, actuellement objets de rafles monstres et autres agressions, en leur imposant, comme en rêvent les partisans du Grand Israël, un saut en masse vers l’autre côté du fleuve Jourdain.

Le plus affligeant reste toutefois l’indifférence, le laisser-faire, la partiale tolérance – ou, dans les cas les plus extrêmes, la complicité – dont bénéficie, auprès des démocraties occidentales, la sanglante furia israélienne. Pour naturelle, normale, prévisible que fût l’horreur suscitée par les exactions commises par le Hamas, ces pays ont failli en effet à l’obligation de considérer d’un regard équilibré le dantesque affrontement de deux peuples se retrouvant paradoxalement dans une même hantise d’extermination. Nombre d’entre eux ont cru se donner bonne conscience en se bornant à œuvrer à l’acheminement d’une aide humanitaire à Gaza.

Joe Biden est venu mercredi en Israël et a ouvert en grand à celui-ci son arsenal et son coffre-fort bourré de dollars. S’il a bien conseillé aux Israéliens de ne pas se laisser consumer par la rage, ce n’était visiblement pas par compassion pour les Palestiniens : c’était seulement pour épargner à ses alliés ces déboires que provoque tout dérèglement et que les Américains eux-mêmes ont expérimentés au Vietnam, en Afghanistan et en Irak. Quant à son timide plaidoyer pour la solution des deux États, il tenait davantage du vœu pieux que de la ferme conviction. Mais que dire enfin de la promesse, faite cette fois à son propre peuple, d’une Amérique gagnant en sécurité si elle s’unit sans hésiter autour d’Israël et de l’Ukraine ? Davantage en sécurité vraiment, les militaires américains stationnés en plus d’un pays du Moyen-Orient et voués à des attaques par drones ou par roquettes, telles celles survenues hier même en Irak et en Syrie ? En sécurité accrue, les ambassades et citoyens US dans un monde arabe bouillonnant de manifestations pour Gaza ? Sécurité en hausse pour la France qui connaît soudain une inquiétante recrudescence des actes terroristes ?

En se jetant de la sorte aux pieds du lobby israélien, la momie vivante de la Maison-Blanche, en quête néanmoins d’une réélection, ne fait pas que compromettre gravement ses alliés de l’OTAN. Ce sont surtout les peuples arabes les plus authentiquement épris de paix et de progrès qu’elle semble livrer froidement à l’aventurisme des extrémistes.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Du haut des tribunes officielles comme sur les plateaux de la télé et sur les réseaux sociaux, il est très souvent question, en ce moment, de la vieille hantise de l’anéantissement qu’aurait ravivée en Israël la sanglante opération Déluge d’al-Aqsa. Cet intense battage peut paraître légitime à la seule et instinctive évocation des horreurs de l’Holocauste. Il est bien moins...