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Lifestyle - Patrimoine

La mémoire de Gaza sous une pluie de bombes

L’héritage historique sera-t-il une victime collatérale de la guerre israélienne contre le Hamas ?

La mémoire de Gaza sous une pluie de bombes

Une équipe d’archéologues travaille sur le site d’un cimetière datant de l’ère romaine découvert à Beit Lahia, au nord de la bande de Gaza, le 23 septembre 2023. Mahmud Hams/AFP

L’enclave palestinienne regorge de sites archéologiques exceptionnels. Malgré le blocus israélien en vigueur et le manque de moyens, les Gazaouis et différentes équipes internationales travaillaient au quotidien jusqu’au 7 octobre à exhumer et à préserver des trésors millénaires. « Oui, nous avons œuvré à Gaza pendant 25 ans », a indiqué à L’Orient-Le Jour le père Jean-Baptiste Humbert, chef de mission de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem, une institution unique au Proche-Orient qui mène depuis 120 ans des recherches dans les textes et sur le terrain. « Gaza était une espèce de petit paradis pour l’archéologue, avec de nombreux sites, souvent très bien préservés, et une population intelligente, respectueuse de l’archéologie. Nous avons sauvé des sites, nous les avons restaurés avec l’aide enthousiaste de la jeunesse locale, nous les avons ouverts au public. Nous avons sauvé une documentation archéologique considérable, hélas entreposée en pleine ville. Eh bien ! il faut accepter l’idée que tout soit détruit et qu’il ne reste rien de vingt-cinq ans de travail acharné. Les seigneurs de la guerre ignorent le mot patrimoine », déplore-t-il.

La statuette découverte à Gaza de la tête de la déesse cananéenne Anat, coiffée d’une couronne de serpent. Photo AFP

Les pierres de Fadel

L’ancienne Gaza (Tell Haruba) a été dans l’Antiquité le foyer de diverses civilisations et constituait un pôle stratégique sur la route côtière reliant l’Égypte et le pays de Canaan. La zone regorge de vestiges allant de l’âge du bronze aux époques islamique et ottomane, en passant par les Romains et les croisades. S’étirant sur environ 55 km du nord au sud, couvrant une superficie de 363 km2, la bande de Gaza, un territoire exigu et pauvre, est bordée par la Méditerranée, l’Égypte et l’occupant Israël. Les accords signés par le passé avec ce dernier avaient permis la rétrocession aux Palestiniens de certains territoires, permettant ainsi une autonomie non seulement politique mais également culturelle. De ce fait, les fouilles archéologiques relèvent des compétences du département palestinien des Antiquités en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, qui malgré les maigres moyens dont il dispose a pris en charge un héritage monumental pour assurer sa conservation, sa sauvegarde et son étude scientifique.

Aujourd’hui, les bombardements de l’armée israélienne prennent en étau les vestiges d’une église byzantine édifiée dans la seconde partie du Ve siècle à Jabaliya, située à un kilomètre de la frontière. Un site réputé pour ses 400 m2 de pavements de mosaïques aux motifs animaliers et floraux d’une finesse exceptionnelle et ses 17 médaillons, ovales ou rectangulaires, entourant des inscriptions écrites en grec ancien. Des noms d’évêques, de prêtres, de bienfaiteurs ainsi que des prières sont ainsi rédigés et datés. « Ce sont les plus beaux sols en mosaïque découverts à Gaza, tant par la qualité de la représentation graphique que par la complexité de la géométrie », a déclaré l’archéologue français René Elter à l’agence Reuters. Avec le monastère Saint-Hilarion, l’un des plus vieux de la Terre sainte et le plus grand du Proche-Orient, qui figure depuis deux ans sur la liste indicative de l’Unesco des sites dignes d’être inscrits au Patrimoine mondial, il s’agit des deux monuments de culte chrétiens accessibles au public dans l’enclave palestinienne.

Mosaïque de l’ère byzantine découverte à Bureij, dans la bande de Gaza. Photo AFP

La ville cananéenne dévoilée

L’histoire de Gaza, autrefois riche et prospère, remonte à l’âge du bronze, 3 500 ans avant notre ère, quand les premiers pharaons établirent des échanges entre l’Afrique et la Palestine. Longtemps sous domination égyptienne, elle fut l’une des cinq grandes villes des Philistins, ces peuples de la mer qui s’installèrent au XIIe siècle avant J-C sur la côte méditerranéenne, au sud du pays de Canaan. Elle vit passer les Assyriens, les Babyloniens, les Perses, les Grecs et les Romains. Selon certains étymologistes, l’origine du nom « Gaza » viendrait du mot « azaz » qui signifie « fort », « puissant » dans plusieurs langues sémitiques. Pour d’autres, il dérive du persan « ganj », « trésor ». Souvent assiégée, parfois annexée, Gaza réussit à maintenir son statut de puissante cité commerçante. Débouché de la route de l’encens venu de l’océan Indien, la ville était célèbre pour ses jardins et ses puits. Tous les empires y ont laissé des traces : des sarcophages anthropomorphes en terre cuite, d’inspiration égyptienne (XIIIe siècle avant J-C), des poteries philistines (XIIe siècle avant J-C), des céramiques grecques (VIe siècle avant J-C), des monnaies romaines, des mosaïques byzantines ont ainsi été retrouvés. Un coup de pelleteuse a par exemple suffi à faire ressurgir un cimetière romain (Ier siècle avant J-C-IIe siècle de notre ère) renfermant 134 tombes, dont un nombre à la structure pyramidale, ainsi que deux cercueils en plomb, l’un orné de grappes de raisin et l’autre de dauphins nageant. « C’est la première nécropole romaine complète mise au jour à Gaza », déclarait en septembre dernier l’archéologue palestinien Fadel el-Otol à l’AFP. Il se trouve aujourd’hui « sous les bombes avec sa nombreuse famille », nous signale frère Jean-Michel de Tarragon de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem. Son collègue, l’architecte-archéologue français René Elter, qui a codirigé le programme d’études archéologiques de préservation et de mise en valeur du site Tell Oum el-Amr, est également coincé à Gaza. Pour la petite histoire, le 26 juin 2022, l’AFP rapporte qu’enfant, Fadel al-Otol, cherchait des cailloux pour les lancer sur les militaires (israéliens). « Aujourd’hui, je cherche des pierres pour prouver aux militaires que nous avons une grande histoire. » Aujourd’hui, à quoi rêve-t-il ? « Que nous fassions toutes les fouilles sur tous les sites de Gaza et qu’ils soient tous accessibles au public, afin de montrer l’histoire et la culture de Gaza au monde entier (…). » 

Grâce à la découverte en 1998 du site de Tell es-Sakan, les archéologues ont pu attester qu’une cité cananéenne fortifiée fut occupée sans discontinuer de -3 200 à -2 000 sur l’actuelle bande de Gaza. Une partie de ce site « unique », selon l’archéologue palestinien Moaïn Sadeq, et « peut-être la seule cité cananéenne fortifiée du sud de la Palestine », a été détruite au profit d’un projet immobilier. « Les structures des habitations antiques, des pans de rempart ont été démolis. Le mobilier (les objets) a été emporté avec le déblai », dit-il.

Une étudiante palestinienne travaille sur le site archéologique de Saint-Hilarion, dans le centre de la bande de Gaza, le 7 mars 2023. Majdi Fathi/Nurphoto via AFP

Le passé dans les caves

Dans le conflit en cours, tout peut arriver. Des bombes peuvent s’abattre sur la statue d’Anat, à titre d’exemple. Taillée dans de la pierre calcaire, vieille de plus de 4 500 ans, c’est-à-dire du début de l’âge du bronze, la sculpture de 22 centimètres représente le visage d’une des principales figures de la mythologie cananéenne, la déesse Anat, coiffée de sa tiare reptilienne, attribut qui lui est associé. Lors de sa découverte dans la localité d’al-Qarara près de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, la BBC a fait savoir que la sculpture allait être exposée à Qasr al-Bacha (le musée national du Palais du pacha), un bâtiment historique d’époques mamelouke et ottomane et l’un des rares musées publics de Gaza. D’autres musées, privés, ont aussi été aménagés en nombre dans les caves des habitations. D’après un reportage de RFI datant de 2016, on y trouve des objets vieux de parfois 3 000 ans, des sculptures des époques grecque ou romaine, des poteries du temps des pharaons ou encore des outils de l’époque ottomane. Ahmad el-Barsh, directeur général des Antiquités et du patrimoine culturel du ministère, aurait déclaré à al-Monitor que le ministère visite et enregistre les musées privés et tient un inventaire de tous les éléments archéologiques affichés. Leurs propriétaires n’ont pas le droit de vendre ou de disposer d’aucun des éléments affichés sans coordination avec le ministère. « Ces objets sont la propriété de l’État. Ils doivent être préservés. »

Malheureusement, en temps de conflit, très peu de sites et d’artefacts sont épargnés, comme cela a déjà été vu en Syrie, en Irak, au Yémen, en Libye ou ailleurs. Nous pouvons d’ores et déjà mesurer l’ampleur de la catastrophe culturelle à venir. La protection du patrimoine dans les guerres n’est pas une priorité.

L’enclave palestinienne regorge de sites archéologiques exceptionnels. Malgré le blocus israélien en vigueur et le manque de moyens, les Gazaouis et différentes équipes internationales travaillaient au quotidien jusqu’au 7 octobre à exhumer et à préserver des trésors millénaires. « Oui, nous avons œuvré à Gaza pendant 25 ans », a indiqué à L’Orient-Le...

commentaires (2)

C'est bien triste cette situation. L'homme et le patrimoine sont en destruction

Eva Eshak

06 h 29, le 17 octobre 2023

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Commentaires (2)

  • C'est bien triste cette situation. L'homme et le patrimoine sont en destruction

    Eva Eshak

    06 h 29, le 17 octobre 2023

  • Les crimes de guerre sont des violations graves du droit international humanitaire qui s'applique pendant les conflits armés, qu'ils soient internationaux ou non internationaux. Les attaques contre des biens culturels et religieux protégés font partie de ces crimes. Il est important de noter que ces crimes de guerre sont énoncés dans divers traités internationaux, notamment les Conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels, ainsi que dans le Statut de la Cour pénale internationale (CPI). Les personnes accusées de crimes de guerre peuvent être traduites en justice devant des tribunaux nationaux ou internationaux, comme la CPI.

    Klam Antoine

    03 h 21, le 17 octobre 2023

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