« Nous sommes en guerre », déclarait le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu après l’attaque inédite du Hamas, le 7 octobre. Depuis, le gouvernement israélien l’a illustré en bombardant massivement la bande de Gaza, faisant des centaines de morts et plusieurs milliers de blessés.
Après la riposte massive et face à la volatilité de la situation, la Banque d'Israël a déclaré lundi vendre 30 milliards de dollars de devises sur le marché libre pour protéger sa monnaie, le shekel, plus 15 milliards de dollars prêts à être utilisés par le biais de produits dérivés. Cette enveloppe pèse près du quart des réserves totales de devises détenues par la Banque centrale.
Le gouvernement israélien a également annoncé, mardi, l’émission de nouveaux titres de dette pour lever des fonds auprès de la diaspora israélienne afin de financer la guerre contre le Hamas. Enfin mercredi, la secrétaire d’État au Trésor américain, Janet Yellen, a affirmé que le soutien des Etats-Unis à l’Ukraine et Israël, tous deux engagés dans des conflits, restent « les priorités absolues » de Washington, lors d’une conférence de presse à Marrakech, en marge des réunions annuelles du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale (BM).
Ces annonces n’ont pour l’instant pas inversé le cours du shekel, qui évoluait entre 0,25 et 0,26 dollar sur les marchés internationaux, soit un des niveaux les plus bas de ces huit dernières années. En y regardant de plus près, la monnaie israélienne était en train de flotter à un niveau à peine plus haut trois jours avant que le Hamas ne lance son offensive, signe que le baromètre israélien n’était pas forcément au beau fixe.
Trajectoire baissière
Même en 2022, alors que l’État hébreu figurait parmi les meilleurs élèves de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) de la période post-Covid, les premiers signes d’un ralentissement commençaient à se profiler, sur fond de hausse des taux d’intérêts décrétée par la Banque centrale pour lutter contre l’inflation. Le shekel avait d’ailleurs déjà commencé à s’engager dans une trajectoire baissière qui s’est poursuivie depuis.
Ces signes avant-coureurs n’avaient d’ailleurs pas échappé au FMI. Dans son dernier rapport sur l’économie israélienne réalisé dans le cadre de ses évaluations périodiques des États membres, l’organisation avait écrit en juin dernier que l’activité économique de l’État hébreu allait « décélérer » en 2023, en affichant une croissance de 2,5 % au lieu de 6,5 % en 2022.
Le FMI avait alors attribué ce ralentissement à la « baisse du pouvoir d’achat des ménages », l’inflation étant en hausse de 4 à 5 % depuis plusieurs mois. En mars dernier, une note du service économique de l’Ambassade de France en Israël sur l’économie du pays indiquait que les autorités pensaient revenir à des niveaux plus faibles en 2023 (soit 3 ou 4 %) mais que la baisse du shekel pouvait « remettre cet objectif en question ». Le niveau modéré d'inflation cache une autre réalité : le coût de la vie en Israël est 38 % élevé que la moyenne des pays de l'OCDE, selon une récente étude de l'organisation qui place l'économie israélienne en première position des pays les plus chers, devant la Suisse.
Économie à deux vitesses
Autre point faible, « la réduction des investissements des entreprises », qui s’est prolongée depuis (-63 % sur les trois premiers trimestres en glissement annuel) selon les derniers chiffres du Start-up nation policy institute (SNPI). Certes, le pays est un exportateur majeur dans le secteur high Tech, technologies civile et militaire confondues, en profitant notamment de la demande durant la crise du Covid. Mais si l'État hébreu a pu valoriser le marché, qui comptait pour 15 % de son PIB selon la même note, il n’est pas épargné par la crise mondiale du secteur. Alors que le marché comptait 10 % des emplois nationaux en 2022, « l’emploi ralentit nettement dans ce secteur prospère », constatait encore le Trésor français.
Les experts du FMI ne disaient pas autre chose en estimant, de leur côté, que « le marché du travail devrait rester tendu et le taux de chômage (qui gravite autour de 4%, un niveau extrêmement bas) devrait augmenter légèrement ». Le marché de l’emploi en Israël est, de plus, particulièrement déséquilibré. Dans une étude publiée en juin sur ce sujet, l’OCDE évoque une « économie à deux vitesses (…) qui aggrave les disparités sur le marché du travail avec, d'un côté, un secteur technologique hautement productif offrant des emplois bien rémunérés, et de l’autre, les secteurs traditionnels à faible productivité qui emploient la majorité de la main-d’œuvre dans des professions où les salaires sont généralement plus faibles ».
Le contexte politique israélien n’a pas, non plus, aidé. L’arrivée au pouvoir fin 2022 du gouvernement de Benyamin Netanyahou, extrémiste de droite, conservateur et religieux, fait partie des facteurs qui inquiètent les entreprises et les investisseurs dans le domaine de l’High Tech, dont les politiques de recrutement sont généralement assez ouvertes.
Forces et talon d’Achille
Malgré leurs réserves, les experts du FMI ou ceux de l’OCDE reconnaissent que l'économie iqraélienne reste malgér tout robuste. Le pays a notamment bien encaissé les conséquences de la hausse des cours de l’énergie dans le sillage de la guerre en Ukraine en 2022, principalement en raison de son secteur gazier offshore qu’il développe au pas de course, avec un troisième gazoduc sous-marin dans les tuyaux. En 2022, Israël assurait déjà respectivement 80 % et 10 % des besoins en gaz de la Jordanie et de l’Égypte. Les performances du pays au niveau du commerce extérieur resteront « solides », ce qui permet au FMI d'anticiper un regain de croissance dès 2024 avec un PIB en hausse de 3,8 %,
Mais le talon d’Achille de l’économie Israélienne réside sans doute dans sa forte dépendance aux aides américaines qui lui permet de limiter ses dépenses dans ce secteur. Depuis un accord datant de 2016, le gouvernement américain alloue une enveloppe globale de 38 milliards de dollars d’aide militaire sur dix ans. Cela représente donc 3,8 milliards de dollars par an jusqu’en 2028, soit tout de même près de 10 % des recettes budgétaires de l’État israélien en 2022, autant d’argent que le gouvernement israélien peut se permettre de dépenser ailleurs. Compilant des chiffres publiés par le gouvernement américain, le magazine d’actualité US News a calculé à au moins 260 milliards de dollars l’enveloppe totale d’aides militaires et financières versées par les États-Unis à Israël depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce qui fait plus de 3 milliards de dollars par an depuis près de 80 ans.