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Idées - Point de vue

Crise économique : cessons de perdre du temps dans des débats stériles

Crise économique : cessons de perdre du temps dans des débats stériles

Le Grand Sérail de Beyrouth, siège du gouvernement libanais. Photo Wikimedia Commons

Alors que le débat public se focalise sur les discussions, dialogues et réunions en cours autour de l’élection présidentielle, cette actualité, aussi importante soit-elle, tend à éclipser la possibilité de mener sérieusement un dialogue économique loin du populisme, de la démagogie et de la recherche de coupables afin de mettre le Liban sur la voie de la reprise. Et il est regrettable que lorsqu’elles ont lieu, les discussions économiques s’égarent dans des problématiques qui demeurent bien loin des questions centrales posées par la crise actuelle. Ces discussions peuvent être classées en plusieurs catégories, bien qu’elles soient liées entre elles.

Polémiquer sur le passé…

La première consiste à prioriser une réforme politique globale, certains considérant que sans cette dernière, les tentatives de sortir de l’effondrement économique et financier sont vaines. S’il est indéniable que le Liban est aux prises avec une crise politique profondément enracinée, notamment dans sa dimension confessionnelle, chaque partie prétend détenir la vérité ultime tout en nourrissant des soupçons sur les intentions de l’autre. Si nous devons sans aucun doute nous efforcer de parvenir à une compréhension globale des principales questions litigieuses, nous ne pouvons pas reporter indéfiniment les réformes économiques, étant donné le coût élevé de l’attente et les conditions de vie désastreuses qu’endurent la majorité des Libanais.

Un deuxième groupe, qui n’est pas fondamentalement différent du premier, affirme que le Liban a toujours échoué à adopter des politiques économiques saines, malgré la promulgation de nombreuses lois et la formulation de multiples plans de réforme dans le passé. Il affirme par conséquent que quel que soit le projet, il ne verra pas le jour. Si le premier constat est juste et explique en partie cette crise sans précédent, cela ne doit pas nous empêcher de prendre des mesures immédiates tout en tirant les leçons de nos erreurs. Si nous ne le faisons pas, nous risquons d’avoir des regrets à l’avenir et d’aggraver encore la crise.

Un troisième groupe excelle à faire des promesses creuses et illusoires par le biais d’apparitions dans les médias. Chaque faction proclame avoir à cœur les intérêts de la population, mais sait bien que ses propositions sont irréalisables de la manière dont elle les présente. Cela ouvre la voie à une compétition rhétorique et médiatique exacerbée sous couvert de servir le peuple. Pour y remédier, nous avons besoin d’un bloc réformateur inclusif au Parlement, ce qui modifiera sans aucun doute la nature des débats parlementaires et revigorera le processus de réforme économique.

Un autre groupe est constitué d’un mélange d’analystes en vue et de « nouveaux économistes » qui adaptent leur discours selon les circonstances et nous inondent de théories et d’analyses que l’on peut au mieux qualifier de trompeuses pour servir leur propre agenda. Par exemple, en prétendant s’opposer au programme de réforme économique du gouvernement pour « sauver les dépôts » (or c’est exactement l’un des objectifs de la réforme) mais sans tenir compte de la réalité du trou financier (estimé à plus de trois fois le PIB) ou de la nécessité de prendre en compte les besoins budgétaires urgents de l’État et la soutenabilité de la dette publique. Ou encore en clamant que le Liban n’a pas besoin d’un soutien financier étranger. Or, même certains hommes politiques qui semblaient dignes de confiance pour promouvoir les réformes écoutent ces nouveaux « experts » et leurs théories dépourvues de logique.

… compromettre l’avenir

D’autres encore comptent sur le temps pour résoudre tous les problèmes, en supposant que les gens finiront par « s’habituer » à la nouvelle situation sans se soulever. Bien que cette théorie comporte une part de vérité, la détérioration économique persistante et le besoin de la population d’assurer ses besoins humains les plus fondamentaux conduiront inévitablement à des troubles sociaux susceptibles de dégénérer en chaos, surtout que les dirigeants politico-confessionnels vivent dans l’opulence alors que leurs électeurs luttent pour subvenir aux besoins de leurs familles.

Certains misent par ailleurs sur les futures ressources en hydrocarbures pour sortir le Liban de sa crise multiforme. Cependant, une telle dépendance à l’égard de ressources encore inconnues doit s’accompagner de politiques saines, que la richesse gazière se matérialise (comme nous l’espérons tous) ou non. Nous devons établir les fondements politiques nécessaires pour garantir que toute richesse future, si elle est découverte, soit utilisée au bénéfice de tous. D’autant qu’en l’absence d’un accord de restructuration de la dette extérieure, les créanciers pourraient réclamer, via des litiges devant les tribunaux internationaux, une priorité sur les futures ressources en gaz et en pétrole. Il est donc urgent de restructurer la dette et d’améliorer notre situation financière par la mise en œuvre du programme de réforme proposé l’an dernier par le gouvernement.

Enfin, malgré quelques voix fortes au sein du gouvernement pour soutenir ce plan, le manque d’enthousiasme de certains ministres – y compris ceux qui ont participé à sa préparation – est évident lorsqu’ils discutent de la situation financière du pays et lorsqu’ils s’opposent à certaines politiques adoptées dans le cadre du plan. Or nous devons tous nous efforcer d’en expliquer et d’en clarifier le contenu et d’orienter le débat avec toutes les parties prenantes vers des solutions efficaces.Malgré les circonstances difficiles et le débat confus de certains décideurs politiques, la solution à la crise économique est à portée de main, bien qu’elle soit difficile à trouver étant donné les discussions en cours au Liban, et les conditions et interconnexions qui font qu’il est difficile de résoudre tous les problèmes existants en même temps. Comme en mathématiques, lorsque le nombre de variables dépasse le nombre d’équations, il devient impossible de trouver une solution. Lorsque les fils de la solution s’entremêlent, la priorité doit être donnée aux questions urgentes qui ne peuvent être reportées. Pour ces raisons, nous devons tous aborder ces questions de manière logique et scientifique, et mettre en place une cellule de crise pour discuter calmement et de manière ciblée afin de trouver des solutions à la crise économique profonde que nous traversons actuellement.

La responsabilité nous incombe à tous, du gouvernement au Parlement, aux autorités monétaires, aux syndicats, aux leaders d’opinion, au public libanais dans son ensemble et aux médias. Si toutes les factions politiques et les acteurs de la vie publique restent campés sur leurs positions et lient toute solution économique à des actions préalables difficilement réalisables dans un délai raisonnable, le coût de l’inaction sera extrêmement élevé. Continuer à ignorer la gravité de la situation actuelle et ses conséquences, s’opposer sur le passé et le présent risque de nous faire perdre l’avenir.

Par Saadé CHAMI

Vice-président sortant du Conseil des ministres

Alors que le débat public se focalise sur les discussions, dialogues et réunions en cours autour de l’élection présidentielle, cette actualité, aussi importante soit-elle, tend à éclipser la possibilité de mener sérieusement un dialogue économique loin du populisme, de la démagogie et de la recherche de coupables afin de mettre le Liban sur la voie de la reprise. Et il est regrettable que lorsqu’elles ont lieu, les discussions économiques s’égarent dans des problématiques qui demeurent bien loin des questions centrales posées par la crise actuelle. Ces discussions peuvent être classées en plusieurs catégories, bien qu’elles soient liées entre elles.Polémiquer sur le passé…La première consiste à prioriser une réforme politique globale, certains considérant que sans cette dernière, les tentatives de...
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