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Sport - Reportage

Voyage en ciel irakien : les sports aériens reprennent leur envol

Malgré le manque de moyens et de soutien des autorités, la pratique des sports aériens se développe en Irak grâce à l’audace d’une poignée de passionnés.

Voyage en ciel irakien : les sports aériens reprennent leur envol

Des parachutistes dans le ciel de Bagdad. Photo fournie par Ahmed Wajdi

Fin avril 2023, sur la route de Bagdad, un convoi achemine en musique un petit groupe d’hommes et une femme, à quelque 350 kilomètres de la capitale irakienne pour participer, le lendemain, au Mossoul Spring Festival, un événement qui n’avait plus eu droit de cité depuis l’invasion de la coalition internationale menée par les États-Unis en 2003 jusqu’à sa première réédition en 2018.

En quête de sensations fortes, ces amateurs de « sports aériens » – parachutisme, parapente, paratrike (sorte de tricycle porté par une voile de parapente) et paramoteur (parapente à moteur) – ont le choix des grands espaces. Des montagnes verdoyantes du Kurdistan aux vastes plaines mordorées de l'Irak central, ce sera cette fois les étendues désertiques de Mossoul. Proches du but, leur hâte d’arriver leur ferait presque oublier l’incertitude de pouvoir sauter depuis le ciel de Mossoul, l’absence de réponse de la part des autorités concernées rendant incertaine l’issue d’une si longue traversée.

Ahmed, jeune Bagdadi de 27 ans, explique la situation du parachutisme dans le pays à ses deux invités chinois et français venus en Irak à l’occasion du festival : « La pratique du parachutisme en Irak n’existe plus officiellement. Avant 2003, il y avait des formations, des règles de sécurité et des moniteurs qui encadraient la pratique, mais après l’invasion, tout a changé : les avions ont été réquisitionnés par les Américains et les formateurs ont fini par vieillir, perdre leurs qualifications, ou bien ils ont tout simplement arrêté. »

À présent, il faut tout réinventer, compter sur l’audace et le grain de folie d’une trentaine de parachutistes civils, hommes et femmes, pour s’essayer à sauter depuis la plateforme d’un hélicoptère que l’armée irakienne accepte parfois de partager. Sans formation initiale, l’expérience se fait sur le tas, par la pratique, l’instinct du moment et les quelques connaissances du siècle en la matière, « presque » comme aux débuts du parachutisme il y a deux cents ans.

Les dangers des premiers sauts

Ahmed avait 17 ans lors de son premier saut, il s’en souvient encore très bien : « Je l’ai fait seul, sans instructeur. Je n’avais pas vraiment peur, mais j’étais stressé et surtout très excité parce que c’était quelque chose de complètement nouveau. Normalement, il y a quelqu’un au sol qui nous guide par radio pour piloter la voile. Là, j’ai fait tout, tout seul. » Il en rigole avec ses amis et prévient : « Vous verrez, les gens que nous allons rencontrer ont tous des histoires folles à raconter. »

Quelque 200 sauts plus tard, Ahmed ne manque pas de vidéos capturant ses exploits et ses prises de risque. Sur l’une d’elles, dans le ciel de Bagdad, le jeune homme dérive à plusieurs centaines de mètres à vol d’oiseau du point de rendez-vous pour l’atterrissage. Sous lui, une myriade de toits-terrasses, abîmés et ornés de nombreuses paraboles, forment une chaîne irrégulière de petits carrés juxtaposés suivant une alternance des hauteurs rendant presque impossible l’identification d’une zone dégagée pour atterrir.

Bagdad vue du ciel. Photo fournie par Ahmed Wajdi

« Le vent était trop fort et nous a poussés très loin au-dessus de la ville. On était obligés de trouver un endroit pour se poser en essayant d’éviter les câbles électriques », raconte-t-il. Ce jour-là, Ahmed s’en sortira avec une fracture de la cheville, rapidement aidé par une quinzaine d’Irakiens ayant suivi les voilures dans le ciel poussiéreux de la capitale. Un de ses amis, lui, a buté contre un mur en essayant de viser un petit carré d’espace libre dans le méli-mélo des lignes à haute tension, en réchappant par miracle.

La petite équipe s’en amuse, certaines vidéos sont d’ailleurs visionnables sur YouTube et Instagram. « Dans de pareilles conditions, raconte Ahmed, un seul saut équivaut à l’expérience d’une dizaine de sauts dans un autre pays où toutes les mesures de sécurité sont présentes. On peut s’adapter à tout maintenant, on a déjà connu le pire. »

Des conditions défavorables pour la pratique

Sur la terre ferme, le convoi arrive enfin à l’aéro-club de Mossoul, accueilli par une bonne vingtaine de parachutistes et parapentistes installés dans le bureau principal, les vapeurs des cigarettes électroniques embaumant la pièce d’un résineux parfum de myrte. Les préparatifs vont bon train pour lancer le festival, une des rares occasions leur permettant de performer sous le regard ébahi des Mossouliotes et des officiels du pays, presque tous présents pour l’occasion. Plusieurs Irakiennes parapentistes participent aussi à l'événement ; les femmes sont en effet, bien que modestement, de plus en plus présentes dans le milieu des sports aériens en Irak.

L'aéro-club de Bagdad, créé en 1933, devant un hélicoptère militaire. Photo fournie par Ahmed Wajdi

Une équipe féminine de parachutisme a ainsi vu le jour, composée de quelques « sautantes » militaires et civiles dont les formateurs sont d’ailleurs très fiers. C’est le cas de Toona, une des premières femmes en Irak à s’être lancée dans le parachutisme et qui, aujourd’hui, fait partie d’une petite équipe féminine composée de sept personnes. Bien qu’elles restent une minorité, elles encouragent toutefois et illustrent la capacité et la légitimité des femmes à prendre part à des sports originellement conçus, ici comme ailleurs, comme des catalyseurs des « qualités viriles ».

Pour Ahmed, l’enjeu est grand. Il est temps de demander au gouverneur de Mossoul, Najm al-Joubouri, qui attend les sportifs dans un restaurant privatisé en amont des festivités, l’autorisation de monter dans l’hélicoptère qui survolera le lendemain l’immense foule mobilisée pour le festival. Mais l’enthousiasme de l’équipe ne suffira pas à convaincre. Ahmed, dans sa déception, n’est pas étonné : « Ni le ministère de la Jeunesse et des Sports ni les gens ne s'intéressent vraiment aux sports ici, à part au football. » Il poursuit : « Nous étions presque quarante civils dans les années 2000 à nous être lancés dans le parachutisme. Aujourd’hui, nous ne sommes plus que vingt dans tout le pays, les autres ont fini par arrêter, c’était trop compliqué. »

Un parachute de fortune datant de 1989. Photo d'Adèle Audouy

L’État irakien ne fournit, en effet, aucune subvention à un secteur qui ne lui semble pas assez « stratégique », malgré les tentatives des plus investis dans le domaine pour faire reconnaître leurs activités et bénéficier ainsi de soutien pour l’achat de matériel, de la mise à disposition d’avions pour les parachutistes et de la codification de formations qui permettraient de rendre accessible la pratique au plus grand nombre, en toute sécurité. Jusqu’à présent, en effet, c’est à l’étranger qu’il faut partir pour obtenir une certification de compétence et se procurer le matériel par ses propres moyens.

C’est ainsi qu’Ahmed achète son matériel auprès d’un club de parapente basé au Liban, à Jounié, où travaille Habib Mono, qui connaît bien le potentiel de l’Irak dans ce domaine et s’y rend fréquemment lors des rencontres sportives aériennes régionales de parapente, comme à Koya en mai dernier, une ville située sur les hauteurs d’Erbil, capitale du Kurdistan irakien.

Mais quand le matériel vient à manquer, il faut faire avec les moyens du bord : lors du festival de Mossoul, c’est avec un parachute datant de 1989 qu’un sautant est monté dans l’hélicoptère, bien que la durée de vie d’un parachute n’excède généralement pas dix ans. En raison de l’absence de volonté du gouvernement irakien pour favoriser ces sports, la Air Sports Federation, une association nationale, constitue le seul soutien pour les pratiquants.

Le parapente et le paratrike, des sports aériens en vogue

Les ambitions et espoirs restent pourtant de mise : à l’avenir, Ahmed et ses camarades souhaitent pouvoir élargir le cercle encore intime des parachutistes sportifs en Irak et pouvoir ainsi organiser des championnats locaux comme internationaux, créant de la sorte un point de rencontre en Irak ouvert aux passionnés du monde entier, une initiative quasi unique dans la région.

Si le parachutisme nécessite des moyens très spécifiques, la pratique du parapente et du paramoteur continue cependant son développement, pas à pas, mais plus activement. Les réseaux sociaux contribuent à faire de ces sports des activités en vogue par la diffusion de vidéos donnant à voir, depuis le ciel, des paysages exceptionnels. Dans le Kurdistan irakien en particulier, les montagnes offrent les conditions idéales pour la pratique du parapente sans compter le spectacle esthétique d’un paysage panoramique à couper le souffle. Un « petit paradis en Irak » comme aime à le rappeler un parachutiste mossouliote.

Activité prisée également, le paratrike, une sorte de petite moto dotée d’une hélice et d’un système de propulsion, permet de décoller de n’importe quelle surface à peu près plate et s’élever haut dans les airs en quelques secondes seulement. Le « captain Hussein », originaire de Bagdad et présent pour le festival de Mossoul cette année, en a fait sa spécialité. Il organise aujourd’hui des baptêmes de l’air en tandem aux portes de la capitale, une expérience unique en Irak pour les amateurs d’expériences insolites sans formation. Hussein est ainsi devenu une icône dans le domaine, avec plus de 300 000 abonnés sur son compte TikTok et dont les vidéos engrangent des dizaines de milliers de vues.

Les invités d’Ahmed ne se feront pas prier. De retour à Bagdad, Hussein leur donne rendez-vous aux premières lueurs du jour pour ne pas subir les effets des perturbations atmosphériques caractéristiques des saisons chaudes. Le soleil se lève à peine au-dessus des grandes plaines qui entourent Bagdad. Une vingtaine de minutes suffisent à détacher le paratrike de sa remorque, tester le moteur, faire tourner l’hélice. Tout est fin prêt. L’engin, auquel une voilure de parapente est accrochée, s’élance depuis un terrain vague situé à l’entrée de la capitale pour monter dans le ciel sous une puissance de poussée telle que seulement quelques dizaines de secondes suffisent pour atteindre deux cents mètres d’altitude. L’expérience est magique, le bruit du moteur ronronnant et la voile au-dessus frémissant dans le ciel matinal. Le pilote et son équipier survolent le Tigre, au carrefour entre la vaste étendue urbaine et les plaines alluviales alentour. La déconvenue de Mossoul est déjà oubliée pour les deux étrangers : le ciel irakien valait largement le détour.

Fin avril 2023, sur la route de Bagdad, un convoi achemine en musique un petit groupe d’hommes et une femme, à quelque 350 kilomètres de la capitale irakienne pour participer, le lendemain, au Mossoul Spring Festival, un événement qui n’avait plus eu droit de cité depuis l’invasion de la coalition internationale menée par les États-Unis en 2003 jusqu’à sa première réédition en...

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