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Dernières Infos - Conflit

Pour les fidèles de l'Eglise arménienne, la dimension religieuse du conflit du Haut-Karabakh fait débat

Des Arméniens traversent devant la cathédrale arménienne de Moscou, une des plus grandes églises arméniennes dans le monde, le 4 octobre 2023. Photo ALEXANDER NEMENOV/AFP

Avec ses pelouses parfaitement taillées, ses pavés bien alignés et ses "khatchkars" centenaires -stèles religieuses en pierre typiques de l'Arménie-, l'église Saint-Grégoire-l'Illuminateur de Goris est un havre de paix dans l'effervescence d’une ville prise d'assaut par les réfugiés du Haut-Karabakh.

Une bible à la main, Anouch Minasian est venue demander au père Vardapet Hakobian, vicaire du diocèse de Siounik, la bénédiction pour ses deux filles arrivées de Stepanakert (Khankendi en azerbaïdjanais), chef-lieu de l'enclave arménienne vouée à disparaître.

Anouch n'a plus de nouvelles de son mari, porté disparu après l'explosion d'une station-service près de Stepanakert qui a fait près de 200 morts le 25 septembre. Elle a peu d'espoirs de le retrouver vivant, mais cette perte n'est pas la seule à traumatiser  cette fidèle de 41 ans.

La victoire éclair en septembre de l'Azerbaïdjan, dont 97% des habitants sont musulmans, a jeté sur les routes plus de 100.000 Arméniens du Haut-Karabakh, fuyant une région où leur présence est documentée depuis plus d'un millénaire et qui abrite de nombreux lieux sacrés arméniens.

"Tout est en danger, notre christianisme est en danger", soupire Anouch: "nous devrons nous battre pour sauver ce qui reste". 

Depuis la dissolution de l'URSS et une première guerre entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan qui avait fait plus de 30.000 morts dans les années 1990, Erevan et la plupart des Arméniens accusent Bakou d'oeuvrer à délégitimer la présence arménienne dans le Haut-Karabakh.

Nombre d'Arméniens ont été marqués par le bombardement, à l'automne 2020, de la cathédrale de Choucha, symbole arménien au Karabakh, ou par la destruction méthodique, au début des années 2000, du cimetière médiéval de Djoulfa et de ses milliers de khatchkars au Nakhitchevan, une bande de terre azerbaïdjanaise nichée entre l'Arménie et l'Iran.

Le père Vardapet Hakobian ne croit pas aux promesses de respect de la culture et des droits des Arméniens de l'Azerbaïdjan, se disant convaincu que Bakou cherche à détruire la présence chrétienne dans cette partie du Caucase. 

"Le monde chrétien doit répondre à ce génocide. S'il ne le fait pas, tout est perdu", lance-t-il, dans un pays dont 97% de la population se réclame de l'Eglise orthodoxe arménienne. 

 L'Iran, allié arménien ?

Quelque 200 km au nord-ouest, le lendemain. A Erevan, la cathédrale Saint-Sarkis fait le plein en cette "journée nationale de prière pour l'Artsakh", le nom arménien du Haut-Karabakh. Pour l'occasion, une relique du saint - sa main droite dans une parure d'argent - a été sortie de la cathédrale d'Etchmiadzine, le siège de l'Église apostolique arménienne.

L'assaut victorieux en 24 heures de l'Azerbaïdjan au Haut-Karabakh a bouleversé les rites: prévue le 1er octobre, la bénédiction du Saint Myron, une cérémonie qui a lieu tous les sept ans et unit les Eglises arméniennes du monde entier, a été reportée.

Yeux rieurs et visage doux, Chahe Haïrepetian, le prêtre de la cathédrale, écarte lui toute dimension religieuse au conflit du Haut-Karabakh. "C'est un conflit territorial, rien de plus", assure-t-il à l'AFP.

Pour justifier sa position, il avance le cas de l'Iran chiite, qui partage une cinquantaine de kilomètres de frontière avec l'Arménie et compte une communauté arménienne de quelques centaines de milliers de membres, libres de pratiquer leur religion.

Se sentant lâchés par la Russie et n’ayant pas confiance dans les paroles de réconfort des pays occidentaux, beaucoup en Arménie considèrent Téhéran comme leur dernier allié fiable.

Téhéran a mis en garde Bakou contre son projet de corridor de Zangezour, qui permettrait à l’Azerbaïdjan d'établir, via l'Arménie, une continuité territoriale jusqu'au Nakhitchevan et à la Turquie. 

Pour l'Iran, l'enjeu est à la fois commercial et géopolitique, avec le souci d'empêcher la Turquie -membre de l’Otan- et l'Azerbaïdjan d'être reliés géographiquement.

"Je suis persuadé que ce conflit n'a pas de racines religieuses. Regardez, ces derniers mois, l'Iran a aidé l'Arménie plus que n'importe quel pays", confirme Edmon Haroutiounian, 35 ans, un fidèle de Saint-Sarkis.

Ce guide touristique qui prie avec ferveur assure que l'Arménie n'a "pas de problème avec l'islam". Il avance pour preuve l'existence d'hommes politiques arméniens dans de nombreux territoires à majorité musulmane, du Liban à la Syrie en passant par l'Asie centrale et la région russe du Tatarstan.

"Notre conflit avec les Turcs et les Azerbaïdjanais est existentiel", ajoute-t-il. "Ce sont eux qui essaient d'en faire un conflit religieux".


Avec ses pelouses parfaitement taillées, ses pavés bien alignés et ses "khatchkars" centenaires -stèles religieuses en pierre typiques de l'Arménie-, l'église Saint-Grégoire-l'Illuminateur de Goris est un havre de paix dans l'effervescence d’une ville prise d'assaut par les réfugiés du Haut-Karabakh.

Une bible à la main, Anouch Minasian est...