Face aux informations contradictoires véhiculées par les médias, l’impression générale au Liban est que le dossier présidentiel tourne dans un cercle vicieux. Même l’interprétation donnée à la fameuse « troisième voie » lancée par l’émissaire français Jean-Yves Le Drian, et reprise par celui du Qatar, est devenue un sujet de querelle. Pour l’opposition, le candidat de la troisième voie serait le chef de l’armée, le général Joseph Aoun, après l’élimination de Sleiman Frangié et Jihad Azour. Et pour certaines composantes du camp adverse, Aoun ferait partie des candidats éliminés au même titre que Frangié.
Aujourd’hui, le débat tourne donc autour de la définition des candidats de la « troisième voie ». Pour certains, le seul candidat sérieux de cette « troisième voie » serait le chef de l’armée qui avance inexorablement vers Baabda et bénéficie d’appuis de plus en plus déclarés, dont celui des Forces libanaises, alors que pour d’autres, il faut chercher ailleurs un candidat qui serait accepté par tous et on parle à ce sujet du directeur de la Sûreté générale par intérim, le général Élias Baïssari. D’autres noms sont aussi avancés, mais celui de Baïssari revient de plus en plus.
Ceux qui misent sur le chef de l’armée estiment que les dernières déclarations de l’émissaire présidentiel français ont consacré les chances de ce dernier en confirmant l’élimination de Frangié et Azour et en laissant entendre qu’il serait le principal candidat de « la troisième voie ». D’autres parties, dont le CPL, estiment au contraire que Joseph Aoun ne peut pas être le candidat de la troisième voie car l’idée de cette voie est justement de choisir un candidat susceptible d’être accepté par toutes les parties, en tout cas qui ne serait pas considéré comme un défi par une partie politique interne (et même externe).
Dans ce tableau politique complexe, des sources proches de certains candidats dits de la troisième voie précisent que la phase actuelle est essentiellement celle de l’élimination de la candidature de Joseph Aoun en même temps que celle de Sleiman Frangié. Pour ces mêmes sources, depuis la séance parlementaire d’élection du 14 juin dernier, Jihad Azour ne serait plus un candidat sérieux, ayant fait le plein avec 59 voix. Pour ces mêmes sources, la confrontation est donc actuellement entre Joseph Aoun et Sleiman Frangié, l’un étant le candidat des parties hostiles au tandem chiite et le second celui de ce camp. Selon cette logique, l’élection de l’une de ces deux personnalités constituerait donc une défaite pour le camp adverse. Ce qui est contraire à la logique des solutions au Liban qui repose toujours sur la fameuse équation « ni vainqueur ni vaincu » et à l’esprit du candidat « de la troisième voie ».
C’est donc en dehors de ces deux candidats qu’il faudrait chercher une personnalité susceptible d’obtenir l’accord du plus grand nombre possible de composantes politiques. Pour que ce scénario se réalise, il faudrait d’abord que les deux camps en conflit soient convaincus qu’aucun d’eux ne peut faire arriver à Baabda son candidat dans le rapport actuel des forces. À ce sujet, les mêmes sources précisent que les 59 voix obtenues par le candidat Jihad Azour lors de la séance du 14 juin ne peuvent pas être considérées comme une assise électorale stable. Azour a en effet obtenu des voix qui ne sont pas automatiquement transférables à une autre personnalité choisie par le camp hostile à Frangié. C’est notamment le cas des voix du bloc parlementaire du Liban fort (CPL). Dans un duel éventuel Sleiman Frangié-Joseph Aoun, il n’est pas dit que le second bénéficiera de toutes les voix obtenues par Jihad Azour. Même chose pour Frangié, qui reste handicapé par l’incapacité d’obtenir les voix d’un camp chrétien de poids, même si Amal et le Hezbollah espèrent pouvoir pousser les acteurs locaux à changer d’avis en les ayant à l’usure. En réalité, tant que le clivage politique restera tel quel, aucun de ces deux candidats ne pourra être élu, toujours selon les sources précitées. C’est à partir de là qu’est née l’idée de « la troisième voie ». Mais pour que cette option puisse se concrétiser, il faudrait d’abord que chacun des deux camps accepte de renoncer à la volonté de briser l’autre. C’est pourquoi tant que les candidats sont proposés par les deux camps, cela signifie que le Liban n’est pas encore proche de la solution.
Pour les sources précitées, c’est donc par là qu’il faudrait commencer et sélectionner des candidats qui correspondent à ce profil de « neutralité positive », après avoir convaincu les parties en présence qu’aucune d’elles ne peut briser l’autre, et même si cela était possible, ce serait un mauvais départ pour le président élu dans de telles conditions.
C’est dans cet esprit que, selon des informations précises, l’émissaire du Qatar aurait évoqué la candidature d’Élias Baïssari. L’idée a été reprise par certaines parties et le nom circule désormais dans les milieux politiques. Selon les explications données par l’émissaire du Qatar, Baïssari aurait un profil militaire et sécuritaire indispensable pour la période actuelle tout en ayant une longue expérience des rouages politiques internes. Pour l’instant, cette idée n’a pas encore été discutée par les différentes parties politiques et les milieux proches de la Sûreté générale préfèrent ne pas en parler. Pour ces milieux, le général Baïssari a trop à faire à gérer les nombreuses responsabilités du service qu’il dirige pour s’occuper d’une candidature éventuelle à la présidence. De toute façon, précisent les mêmes milieux, l’heure de l’élection présidentielle ne semble pas encore avoir sonné, puisque les différentes parties internes continuent à se lancer des accusations réciproques alors que « la troisième voie » ne peut faire son chemin que dans un climat d’apaisement régional, voire international, qui se refléterait sur le plan interne. Ainsi, si la candidature est lancée trop tôt, elle risque de se noyer dans les surenchères politiques. Il vaudrait donc mieux attendre le moment propice. C’est d’ailleurs pourquoi la scène politique est actuellement occupée par ceux qui détiennent le droit de veto. La solution ne viendra que lorsque ceux qui ont le pouvoir de décision descendront dans l’arène.
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