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Culture - Lorient Des Ecrivains

Qui vole la terre, vole les « falafels »

Il y a dans « L'Étoile de la mer » d' Élias Khoury, - Éditeur Actes Sud - l’évocation d’une réalité sensible de la diversité palestinienne, d’une forme de rêve ou de cauchemar palestinien de l’intérieur.

Qui vole la terre, vole les « falafels »

Le romancier Élias Khoury. Photo DR

Le destin des Palestiniens tout au long de la seconde moitié du XXe habite l’œuvre du romancier libanais Élias Khoury. L’Étoile de la mer (deuxième volume et donc centre de la trilogie des Enfants du ghetto dont la première partie, Je m’appelle Adam, est parue en français en 2018) poursuit l’exploration de cette obsession, en racontant cette fois-ci la jeunesse de son protagoniste, Adam Dannoun, l’« enfant du ghetto » de Lydda, palestinien né en 1947.

Adam Dannoun parcourt la ville de Haïfa comme on lit un livre – la littérature est au cœur de sa vie. Mais, et c’est là le génie du personnage, Adam étudie, à l’université, et à la suite d’un malentendu sur le sens du mot ghetto, la littérature hébraïque. Adam, au nom de premier homme, devient un être mixte, les langues vivent en lui et le modèlent – autant les romans d’Amos Oz que ceux d’Émile Habibi. Dans L’Étoile de la mer, « la terrasse de Dieu qui surplombe la blanche colombe baignant dans l’eau que nous appelons Haïfa », est un jeu de mots et d’ombres. Comme le note Élias Khoury dans son préambule, le pronom personnel, en arabe, se dit damir, la conscience. Adam est une conscience multiple, construite avec la glaise de la poésie. Adam, depuis son exil new-yorkais, raconte sa propre histoire avec la conscience de l’absent – littéralement damir el gha’eb, la troisième personne du singulier. Adam, comme aux origines de la poésie arabe, se lamente sur les ruines, sur les campements abandonnés des mu’allaqat d’Imroul Qeys et Tarafa ibn el-Abd ; Adam vit une histoire d’amour presque comme un poème de Mahmoud Darwich ; Adam pense que « la vie est la somme des ruines humaines dans divers lieux ». Adam vit la métaphore comme Palestine et la Palestine comme métaphore. Il y a dans L’Étoile de la mer l’évocation d’une réalité sensible de la diversité palestinienne, d’une forme de rêve ou de cauchemar palestinien de l’intérieur – les descriptions de la vie matérielle, du plaisir des sens, de la chair, des plats traditionnels ou non participent de cette mixité, de ces identités floutées. Adam devient ainsi vendeur de sandwiches et développe sa recette très particulière d’omelette aux falafels, façon de « récupérer » les falafels qui sont aujourd’hui perçus comme le plat national israélien, ce qui nous vaut, dans L’Étoile de la mer, cette phrase qu’on aurait envie d’inscrire sur un drapeau : « Il est très facile, pour celui qui vole la terre, de voler les falafels. »


Le ghetto de Lod n’est pas le ghetto de Varsovie

Même les histoires, les récits se mêlent inexorablement, par les mots. Stella Maris développe les liens entre Shoah et Nakba, entre catastrophes juives et palestiniennes : mais sont-elles du même ordre ? Est-il possible de les juxtaposer, de passer de l’une à l’autre ?

Profitant d’un voyage organisé pour les étudiants, Adam Dannoun part pour Varsovie ; il visite le musée du Ghetto, se rend à Auschwitz. Les atrocités des ghettos, l’indicible violence de l’extermination le frappent de plein fouet. Il ressent à la fois la douleur de son imposture (Adam n’est pas Juif) et la souffrance des disparus. Où se rencontrent les violences, comment communiquent les douleurs ? L’Étoile de la mer ne craint pas les rapprochements – mais les rapprochements ne sont pas des comparaisons. Le ghetto de Lod n’est pas le ghetto de Varsovie. Adam, en Pologne, se rend aussi à Lodz, où, en compagnie de son professeur, il a la chance de s’entretenir avec Marek Edelman, un des chefs de l’insurrection du ghetto de Varsovie, et l’un des 40 survivants qui réussirent à s’enfuir par les égouts au cours de l’incendie qui mit fin au ghetto et au soulèvement. Marek Edelman, devenu cardiologue de renom en Pologne, fidèle aux idées du Bund, laïque et opposé à l’émigration vers la Palestine, n’a non seulement jamais souhaité émigrer en Israël, mais a à plusieurs reprises affiché son soutien à la cause palestinienne. Adam, à travers les récits de l’insurrection du ghetto de Varsovie, découvre de quelle façon les victimes avaient tenté de défendre l’honneur de leur mort. C’est pour Adam la leçon du combattant du ghetto : il faut mépriser l’histoire pour sauvegarder l’honneur des victimes. Le point de contact entre le ghetto de la Shoah et celui de la Nakba, leur terrible connexion, c’est la mort ; la mort et la nécessité d’honorer les morts. Le destin d’Adam (comme, a posteriori, la vision qu’il a de celui de son père) sera transformé par cette rencontre capitale quant au sens de l’héroïsme et de la lutte.

Les enfants du ghetto, la trilogie romanesque dont L’Étoile de la mer est le centre, prend alors tout son sens. Pour Adam, le lieu de l’enfermement, le ghetto, qui est aussi celui de la naissance, est encore autour de lui, en lui ; il va lui falloir le quitter, advenir, réaliser son destin, en sortir par le combat ou par la mort. Élias Khoury nous projette dans une Nakba interminable, une catastrophe de chaque instant qui pousse, au fil de la seconde moitié du siècle, ses personnages vers l’inexorable de l’exil, l’appel de cette mer que l’on ne voit que trop depuis les hauteurs de Stella Maris.

Le destin des Palestiniens tout au long de la seconde moitié du XXe habite l’œuvre du romancier libanais Élias Khoury. L’Étoile de la mer (deuxième volume et donc centre de la trilogie des Enfants du ghetto dont la première partie, Je m’appelle Adam, est parue en français en 2018) poursuit l’exploration de cette obsession, en racontant cette fois-ci la jeunesse de son...

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