Je me suis abstenu de longues années d’écrire à propos de la situation politique et économique, convaincu qu’écrire ou ne pas écrire ne ferait aucune différence dans un pays où la population et ses dirigeants élus semblent cloîtrés dans un déni organisé de réalité. Je prends la plume aujourd’hui pour partager mes convictions et décortiquer de nombreux concepts, à mon avis erronés, qui circulent aujourd’hui, propagés par certains médias locaux aux intérêts discutables et à la moralité douteuse. J’écris pour ceux et celles qui aimeraient bien entendre et lire quelques évidences, même si certaines de mes idées peuvent être perçues comme crues.
- Non, les dépôts en banque ne reviendront jamais, et celui qui dit le contraire pourrait berner les autres sciemment. Déjà, le mot « revenir » est peu approprié. À vrai dire, sur les quatre dernières années, vos dépôts ont été gelés avec 0 % d’intérêts. Et cela va se poursuivre, bien évidemment. Donc, quand bien même vos dépôts « reviendraient » dans 10 ou 15 ans (par exemple) avec la même valeur nominative, vous aurez subi un haircut de 40 % et 52 % respectivement (à considérer un taux d’intérêt annuel de 5 % à titre d’exemple). Les hommes peuvent mentir, les chiffres non. Il va sans dire que ces calculs ne prennent pas en compte les haircuts qui ont été acceptés en retirant une partie des dépôts en livres libanaises aux taux de change inférieurs au marché. Je tiens aussi à rappeler que pendant que beaucoup de politiciens montaient au créneau pour défendre les dépôts en banque, ils dépensaient l’argent des déposants sur des politiques subventionnelles largement coûteuses et non appropriées. En parallèle, les prêts souscrits aux particuliers et aux entreprises n’étaient pas remboursés en dollars frais.
- Non, il n’est actuellement pas opportun d’investir au Liban malgré l’effondrement, et non, les prix de l’immobilier n’ont pas retrouvé ceux de 2018. L’investissement au Liban a souvent consisté en un investissement dans l’immobilier, et la plupart du temps pour une longue durée. Aujourd’hui, cet investissement peut se faire principalement avec de l’argent liquide qui ne saurait être accepté par un autre secteur, et surtout par aucun secteur bancaire dans le monde. Cela contribue à maintenir les prix élevés, surtout pour le haut de gamme. Investir dans l’immobilier sur 10-20 ans serait miser sur le Liban sur le long terme, ce qui n’est pas nécessairement judicieux au vu de la direction que le pays prend avec cette classe politique. Bien que nous voyions parfois les prix de 2018 affichés sur des postes d’immobilier promotionnels, cela reste sans fondement matériel, économique et rationnel. Bien sûr, l’élection d’un président ou la formation d’un nouveau gouvernement ne changeraient pas la donne de façon significative (cela relève plutôt d’une utopie d’ailleurs).
- Oui, il est (bien sûr) possible d’investir dans d’autres pays. Le monde regorge d’opportunités d’investissement, pour tous les âges et pour tous les goûts du risque, et il n’est pas nécessaire d’être un doctorant en finance pour s’y mettre. Comme cas concret, il est bon de se souvenir que les taux d’intérêt ont augmenté de façon significative dans le monde ces deux dernières années, entraînés par des politiques monétaires restrictives. Cela pourrait offrir des perspectives intéressantes et simples à certains qui voudraient investir leur argent avec un risque limité.
- Non, il n’y a pas de blocus international imposé au Liban. Cette idée est entretenue par plusieurs membres de la classe politique dans le but de susciter une émotion et de rejeter la responsabilité de l’effondrement économique sur d’autres pays lointains et inconnus. Au contraire, beaucoup de pays ont tenté d’aider le Liban, mais cela passe avant par un accord avec le FMI et l’implémentation de réformes nécessaires, ce que manifestement nous refusons de faire.
- Non, il n’est pas absolument nécessaire de préserver notre monnaie nationale. Il est bon de se souvenir qu’une monnaie nationale est au service de l’économie et de la société, et non l’inverse. Autrement dit, nous n’avons pas à entretenir cette monnaie contre vents et marées. En théorie, la monnaie a trois utilités : intermédiaire des échanges (pour payer), unité de compte (pour compter) et réserve de valeur (pour être stockée). « Payer » s’applique surtout pour le paiement de salaires, et pas pour assurer des biens et des services. Cela sert surtout comme outil pour soi-disant « amortir » l’effondrement économique et faire payer le prix de cet effondrement aux travailleurs. Cela sert aussi au gouvernement libanais pour fuir ses responsabilités vis-à-vis de ses salariés. « Compter » : qui d’entre nous compte ou raisonne encore en livres libanaises ?
Ou estime un bien ou un service en livres ? « Stocker » : qui d’entre nous stocke une partie de son argent en livres libanaises pour ses besoins futurs (quand il sera plus âgé ou aura des scolarités à payer) ?
- Oui, nous devons payer nos impôts en dollars. Je tiens à rappeler qu’en 2018, le gouvernement libanais dépensait 16,4 milliards de dollars. Ce nombre a diminué jusqu’à un milliard de dollars depuis l’effondrement. Le budget de 2024 prévoit des dépenses de l’ordre de 3 milliards de dollars à peu près, soit cinq fois moins qu’en 2018. Si on veut retrouver un semblant d’État, similaire à celui que nous avions en 2018, il faudrait que l’État (tout corrompu qu’il soit) puisse retrouver une partie de ses capacités financières. Et il faudrait aussi que les institutions de l’État (toutes corrompues qu’elles soient) puissent ne pas être exposées aux fluctuations extrêmes de la monnaie nationale. Sans quoi la qualité des services publics (tout corrompus qu’ils soient) serait fortement exposée aux fluctuations, parfois aléatoires, de la monnaie nationale.
Il va sans dire que la lutte contre la corruption devrait être menée de façon systématique et sérieuse, ce qui ne sera pas le cas avec la classe politique actuelle qui nous gouverne.
Et à bon lecteur, salut.
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commentaires (1)
Pas de service public, plus rien qui fonctionne donc oui l'impôt doit absolument au moins suffire pour embaucher les éventuels fous talentueux qui penseraient s'y engager ...
M.E
00 h 42, le 26 septembre 2023