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Otages d’État, État otage


Cela arrive si rarement dans ce monde de brutes qu’il faut bien applaudir à tout happy-end, et c’est le cas de cet échange de prisonniers concrétisé lundi entre les États-Unis et l’Iran. Une chose menant à une autre, on peut raisonnablement en escompter en effet des progrès sur le dossier du nucléaire iranien, et aussi une baisse des tensions dans notre turbulente partie du monde. De voir toutefois les gros requins conclure de substantiels marchés, même s’ils n’en sont pas encore à échanger les politesses, a aussi de quoi troubler, et même inquiéter, les petits poissons.


Mais tout d’abord, ces dix Iraniens et Irano-Américains libérés en mode chassé-croisé, était-ce bien tous des prisonniers ou, plus exactement, des otages ? La frontière n’a cessé de se diluer durant ces dernières décennies, des gouvernements ayant pris les choses en main en lieu et place des groupes armés qu’ils parrainaient. Ainsi est entré dans le vocabulaire le concept d’otage d’État ; obnubilés par la chasse aux espions ou prétendus tels, l’Iran, la Russie, la Chine et le Venezuela passent aujourd’hui pour les spécialistes du genre, ce qui ne les empêche guère, bien sûr, de retourner l’accusation aux Américains. La politique intérieure s’en mêlant, voilà cependant que Joe Biden, résolu à ressusciter l’accord sur le nucléaire dénoncé par son prédécesseur Donald Trump, a bien du mal à défendre ce deal passé avec la République islamique. Pour ses détracteurs, toute négociation, surtout si elle est menée à bonne fin, ne peut qu’encourager les preneurs d’otages à récidiver. Et même si le président US continue de brandir la menace de nouvelles sanctions contre Téhéran ; même si l’Oncle Sam n’a pas déboursé un seul cent dans la transaction, ne faisant après tout que restituer son bien à l’Iran sous la forme de six milliards de dollars gelés, les contestataires doutent que cette fabuleuse somme servira uniquement à soulager les épreuves de la population iranienne.


Mais laissons donc Joe Biden à ses tracas domestiques. Davantage que pour d’autres peuples, c’est de trop pesante manière que sonne à notre oreille de Libanais le mot, par trop familier, d’otage. Innombrables sont les enlèvements d’innocents citoyens qui ont jalonné quinze années de guerre dite civile. De nombreux diplomates et journalistes ont été capturés, incarcérés dans d’horribles conditions et parfois exécutés, à moins que la Syrie ou l’Iran aient fini par les tirer miraculeusement de leur chapeau, récoltant du coup les remerciements émus des gouvernements étrangers. Ce qui a changé, c’est que le pays tout entier fait désormais figure de prisonnier. Ses diverses institutions se trouvent noyautées, ou alors neutralisées, par le Hezbollah, au point qu’il n’est même plus en mesure de se doter d’un président de la République.

À l’ère des otages d’État, c’est un État otage qu’est aujourd’hui le Liban. Or un otage, on s’emploie à lui redonner sa liberté, on s’acharne à lui prodiguer réconfort et espérance, à lui prouver qu’il n’est pas un simple jeton, une vulgaire monnaie d’échange dans le cadre des grands bazars dont le Proche et le Moyen-Orient sont actuellement l’enjeu. Tout cela, les puissances amies y sont d’autant plus tenues qu’elles se réclament des grandes démocraties occidentales. Ce serait un comble si le Liban terre et peuple – durement pénalisé déjà par ses propres gouvernants – devait de surcroît payer pour eux.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Cela arrive si rarement dans ce monde de brutes qu’il faut bien applaudir à tout happy-end, et c’est le cas de cet échange de prisonniers concrétisé lundi entre les États-Unis et l’Iran. Une chose menant à une autre, on peut raisonnablement en escompter en effet des progrès sur le dossier du nucléaire iranien, et aussi une baisse des tensions dans notre turbulente partie...