Rechercher
Rechercher

Soporifiques urgences

Avouons-le, il peut arriver à un peu tout le monde de remettre à plus tard ce qui peut être fait tout de suite : fâcheuse tendance pouvant se systématiser, et qui porte le vilain nom de procrastination. Les psychologues n’en font guère pour autant une maladie, un cas véritablement pathologique. Voilà qui est plutôt rassurant pour les milliards d’humains plus ou moins atteints de ce travers et qui fuient toute corvée comme la peste, soit parce qu’ils ne savent pas par où commencer, soit tout bêtement parce qu’ils ne se sentent pas de taille à accomplir la tâche. On tremble d’effroi en revanche quand ces indécrottables adeptes du boukra (demain) ne sont autre que les gouvernants ayant charge de millions d’âmes et tenus de parer à toutes les urgences. Ces dirigeants criminellement assoupis, la pathologie, trop vite mise hors de cause, devrait les conduire à l’asile ; la justice, si seulement elle existait encore, les vouerait carrément à la prison.

Il y a déjà douze ans que déferlent, vague après vague, sur notre pays, de pitoyables cohortes de citoyens syriens fuyant leur pays ravagé par la guerre. Ils sont loin toutefois de répondre tous au statut de réfugié que leur a accordé la communauté onusienne : laquelle vient généreusement à leur aide et n’envisage leur retour dans leurs foyers que s’il est volontaire et sûr ; ce n’est évidemment pas demain la veille, et c’est évidemment tant pis pour le pays-hôte qui croule déjà sous une cascade de crises. Or doublement catastrophique s’est avéré le recours à ce fatidique terme de volontaire. Car d’une part, nombre de ces déplacés, qui le pourraient fort bien pourtant, ne sont pas trop pressés de retrouver la mère patrie, aussi longtemps qu’ils perçoivent les subsides onusiens. Et surtout, la même et funeste clause a fait le buzz en Syrie même ; elle a suscité des vocations en masse, elle a donné naissance à des légions de faux réfugiés se portant volontaires, eux, pour aller tenter leur chance dans ce far west libanais où l’on peut tout trouver, sauf le règne de la loi.


Il y a des mois que le flux ne cesse de grossir, les migrants empruntant tous les jours, par milliers, les quelque 150 voies de passage illégales criblant la frontière. Particulièrement inquiétant est l’âge moyen caractérisant les vagues les plus récentes, ce qui en fait un vivier potentiel de chair à canon. Or, pour que le pouvoir politique consente enfin à s’en émouvoir et manifester quelque signe de vie, il aura fallu que les responsables sécuritaires, littéralement débordés, sonnent le tocsin. Le Liban fait face à une menace proprement existentielle, a solennellement averti lundi le commandant de l’armée ; par deux fois néanmoins – et là est le scandale –, on se sera employé à étouffer son angoissé et angoissant cri d’alarme. Pour l’histoire comme pour être bien compris de tous, le chef de la troupe croyait s’adresser à un Conseil des ministres réuni dans les règles ; or faute du quorum requis (les Excellences absentes ayant apparemment d’autres chats à fouetter), c’est seulement devant une banale concertation ministérielle qu’il lui a été donné de s’exprimer. Suprême avanie, les propos du général Joseph Aoun, un des candidats les plus sérieux à la présidence de la République, finissaient par être rayés du procès-verbal de la séance.

Tout se passe en définitive comme si les mesquins coups bas échangés tout au long de ce scrutin en panne prenaient le pas sur l’extrême gravité de la situation. Comme si de décréter hier un train de mesures qui s’imposaient depuis des années déjà pouvait suffire au gouvernement – démissionnaire à plus d’un égard – pour l’absoudre de sa léthargie et lui donner bonne conscience. Comme si la décision d’envoyer une délégation ministérielle à Damas avait quelque chance de porter le régime baassiste à arrêter d’exporter à tour de bras des réfugiés, de miner ainsi le Liban en usant sciemment, cette fois, de la bombe à retardement démographique. La bombe à répétition, quant à elle, est laissée aux bons soins des Palestiniens qui s’entre-tuent périodiquement dans le camp de réfugiés de Aïn el-Heloué. Et pour finir, la superbombe, celle que serait une guerre avec Israël, demeure aux mains du Hezbollah et de ses patrons iraniens.

Assis sur ces trois volcans, notre pays ne manque pas, on le voit, de menaces existentielles : les moindres n’étant pas d’ailleurs la déliquescence de l’État, la neutralisation de la justice et l’irrémédiable nullité des chefs politiques. Ce n’est pourtant pas en censurant outrageusement le commandant de l’armée que l’on aura réussi à noyer le poisson.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Avouons-le, il peut arriver à un peu tout le monde de remettre à plus tard ce qui peut être fait tout de suite : fâcheuse tendance pouvant se systématiser, et qui porte le vilain nom de procrastination. Les psychologues n’en font guère pour autant une maladie, un cas véritablement pathologique. Voilà qui est plutôt rassurant pour les milliards d’humains plus ou moins atteints de...