Historien de l’art, gestionnaire de patrimoine, Henry Dakak s’était aussi rêvé cinéaste. Mais l’usine familiale le tente tout autant, formidable terrain de jeu pour le créatif tout terrain qu’il est à chaque instant. C’est là qu’il fabrique ses objets poétiques dont les plus réussis se retrouvent dans les présentoirs de sa boutique cabinet de curiosités, rue Abdel Wahab, à Achrafieh.
Cette nouvelle collection part d’un triste constat du designer : « Au fil des ans, Beyrouth est devenue une cité de béton. Adieu les arbres, les jardins spacieux autour de belles maisons traditionnelles remplacées par des gratte-ciel gris… Il n’y a plus d’oiseaux en ville ni de gazouillis. On en arrive à installer des machines qui émettent des chants d’oiseaux. » Mais pour Henry Dakak, les oiseaux ce sont aussi ces êtres libres, ces voyageurs sans frontières qui partent et reviennent quand il leur sied. Ils ne sont pas sans rappeler les membres des familles libanaises disloquées, qui livrent l’un des leurs chaque fois que s’ouvre l’enfer ou que le large appelle. Les maisons se vident ? Le créateur remplace les absences par des sculptures d’oiseaux : « J’ai voulu créer des oiseaux qui redonnent vie à chaque intérieur. »
Dans le prolongement de sa ligne inspirée du « Cœur de Beyrouth », Henry Dakak , gueule d’ange, regard océan, ouvre sa volière fantasmée et laisse les créatures ailées se poser en liberté, là où cela leur chante. « J’ai posé mon oiseau d’abord sur un meuble, puis sur un arbre, là où il construit son nid. Jamais je ne le mettrai en cage, jamais je ne me permettrai de le défigurer ! Bien au contraire, je le traite avec respect. Il est en bronze, en cuivre, en argent ou plaqué or et même traité à la feuille d’or ! Depuis quelque temps, je travaille avec de la résine, ce qui me permet de voir mon univers d’oiseaux en couleurs », confie le créateur. Et ses oiseaux s’animent. Pour peu, on les entendrait gazouiller à nouveau, lancer leurs trilles dans les salles à manger où les conversations accusent désormais d’inhabituelles sourdines. Pour eux, il sculpte des arbres, des branches, de grands nids, des vasques où ils peuvent se regrouper, bavards et heureux.
« Le Cœur de Beyrouth » est une création d’après-guerre, explique Dakak. « L’oiseau, gardien de la ville, aspire à la paix et l’objet emblématique de cette ligne est un bougeoir », souligne-t-il. Centres de table, contrepoints posés en bouts de canapés, ces objets portent des noms simples et évocateurs : « Les oiseaux amoureux » se balancent, tranquilles, en attendant de mieux se connaitre. « « Fly me to the moon » illustre l’aspiration ultime de l’oiseau qui veut toucher la lune, énumère le designer qui poursuit : « Birds on blue planet » représente la réunion d’une famille dans sa bulle… « Birds on Center planet » est également conçu pour faire partie du quotidien familial. « Oiseaux sur une branche » est une sculpture qui rend hommage à ces petites bêtes sympathiques. « X files » montre la curiosité des oiseaux tout en adressant un clin d’œil à l’intellect humain. »
Enfin, « Le retour de l’hirondelle exprime le retour au bercail, un peu comme tous ces jeunes Libanais expatriés qui reviennent à la moindre occasion au pays. Chaque objet que je crée a son histoire à raconter, puisque ce sont les histoires qui se forment dans ma tête qui me permettent de visionner les prochains invités de ma vitrine », raconte Dakak qui, on l’aura compris, prend prétexte de son enseigne, HDD Jr., pour mettre en scène le cinéma qu’il se fait pour remplir les pointillés qui s’alignent dans son pays qui alterne guerres et crises, euphories et séparations.
merveilleux!
01 h 37, le 11 septembre 2023