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Lifestyle - Rencontre

God save the (drag) queen : les confidences de Bassem Feghali

On le dit inaccessible, difficile, retranché… Après plusieurs années d’un silence médiatique assumé, Bassem Feghali revient en exclusivité pour « L’Orient-Le Jour » sur un parcours ponctué de succès, de médisances et d’ambitions glamourisées.

God save the (drag) queen : les confidences de Bassem Feghali

Bassem Feghali, la première et seule drag queen mainstream du monde arabe. Photo DR

Derrière une porte vitrée, une silhouette intrigue les gardes du corps et valets parking réunis autour d’une cabane transformée en loge. À l’intérieur, Bassem Feghali se prépare. Robe verte à sequins, perruque blond platine et talons aiguilles, la tenue rappelle l’univers et l’esthétique rétro-glam du couturier Bob Mackie. De quoi mettre dans l’ambiance. Sa voix fluette chantonne un « Bonjouren, deux bonjours, mais où est passé mon amour ? » Une tradition avant de monter sur scène. Star d’une soirée privée dans la montagne du Kesrouan, en cette fin d’été caniculaire, le temps presse pour Feghali, légèrement en retard. « Je vais m’habiller en Sabah, j’espère que ça va plaire… » lâche-t-il, l’air un brin anxieux. Avant de se glisser dans la peau de la Chahroura qu’il a tant aimée, il se pose sur ce canapé blanc et, du bout de ses longs ongles couleur carmin parfaitement manucurés, répond aux sollicitations de ses admirateurs en ligne. Il faut dire qu’en 25 ans de carrière, il les a vus rester fidèles, patients. Considéré comme une référence pour les artistes queer dans le monde arabe, il refuse d’emblée le qualificatif d’icône. « Moi ? Je ne suis qu’un petit artiste qui s’amuse dans son coin », dit-il en gloussant.

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Au travers de ses performances, de ses imitations recherchées et de ses tenues étudiées au millimètre près, Bassem Feghali a toutefois ouvert la voie à une pop culture plus transgressive, mais a surtout réussi à faire accepter son art dans un Liban conservateur. À la question qu’il a toujours tenté d’esquiver, il répond enfin aujourd’hui. « Bien sûr que je fais du drag ! Je n’ai pas à me justifier d’être une drag queen, c’est quand même évident ! » Enfin…

Enfant prodige, adulte rebelle

En 1996, quand Bassem Feghali fait ses débuts dans Studio el-Fan devant plus d’un million de téléspectateurs, la mode n’est pas aux questions de genre. L’homophobie est banalisée dans les médias et le terme de « drag queen » ne représente rien dans l’inconscient collectif des Libanais. Le jeune homme de 17 ans tire profit de cette apparente ignorance pour introduire une série de personnages féminins devant des membres du jury ébahis par son audace. « Je suis devenu une vedette avec ce télé-crochet, mais je l’ai toujours été dans mon école et dans mon village. Depuis mon éveil au monde, j’assure le show, moi ! » Au premier rang de son éclosion artistique, Simon Asmar et Sabah. Deux figures qui deviennent des mentors, des parents de substitution pour l’adolescent fragile se cachant entre les robes à fleurs et les excentricités des débuts. Après avoir remporté cette édition du célèbre concours de la LBC, Feghali tente tant bien que mal de se faire une place dans le milieu. Mais face au conformisme artistique, « la recette du succès a été difficile à concocter ». Car à l’aube du nouveau millénaire, il joue déjà avec les stéréotypes, assume une féminité flamboyante, ironise et se moque de la masculinité affirmée des hommes dans le monde du divertissement. 

En reprenant les titres, les mimiques et les expressions des stars de la pop panarabe, il se fait un nom et devient l’égérie des cérémonies de récompenses et des concours de chant. « J’ai été invité à me produire partout, mais j’ai aussi refusé beaucoup de projets. Quelqu’un comme moi se doit de faire les bons choix tout le temps, sinon, c’est fini », regrette-t-il. Alors que l’Occident s’ouvre à plus de diversité, Bassem Feghali détaille la cruauté d’un milieu qui a défait la réputation de ses idoles sous ses yeux. Mais l’envie pressante d’allumer une cigarette stoppe la conversation. Pour avoir des noms, il faudra attendre…

Bassem Feghali imagine la Marilyn Monroe des années 2000. Photo DR

De Wadi Chahrour à la Chahroura

« Je ne suis pas obsédé par mon métier, je suis passionné par les personnalités. » En quelques mots, le petit garçon d’un petit village du caza de Baabda devenu reine des écrans définit un état d’esprit qui paraît aujourd’hui quelque peu égratigné par la vie. De Cher à la reine d’Angleterre en passant par ses incontournables, la Sabbouha, Haïfa et Elissa, Bassem Feghali avait carte blanche sur les plateaux des grandes chaînes de télévision privées libanaises. Mais comme tout a un prix, le ton semble avoir baissé d’un cran ces dernières années. Plaintes, menaces, insultes, il a fait face aux tribunaux comme à l’opinion publique peu commode. « Je n’ai jamais voulu blesser une seule personne dans ma vie. Mais quand on veut imiter quelqu’un, l’aspect comique repose sur l’exagération, sur la caricature », s’égosille l’artiste, qui accumule jusqu’au début des années 2010 les apparitions dans les émissions de variétés lui dédiant la case sacrée du prime time.

Pour pénétrer dans les foyers de la ménagère traditionnelle et des oncles catholiques, Bassem Feghali n’apparaît qu’au travers de ses sketchs, ne parle jamais de sa vie privée et se cache derrière l’étiquette cash mais jamais trash de l’humour. Il le sait, un mot de côté et tout peut s’écrouler. Entre chaque propos, des silences s’installent, des moments de réflexion qui durent plusieurs secondes. Ce monde des médias, il en connaît tous les recoins, en étudie tous les aspects et en analyse toutes les failles. « Cet univers m’a fait souffrir. J’ai été la proie de critiques acerbes, injustifiées », confie-t-il. En parlant de ses prestations annulées dans les pays arabes à la fin des années 1990 et des risques que courent certaines salles de spectacle en accueillant un artiste transformiste dans leurs locaux, l’émotion est intense. La douleur toujours présente. En parfait contraste avec les personnalités loufoques et colorées qu’il incarne, Bassem cache derrière ses cils épais et retroussés un visage d’artiste pluriel, fissuré, magnifié par une fébrilité déconcertante. Comme s’il s’excusait presque de prendre de la place.

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Dans cette loge qui sent le Chanel n° 5, des robes amples sur des cintres couleur ocre et la perruque de Sabah prête à être portée parmi les invités. En temps de crise, les événements, les mariages et les concerts sont plus rares. Et ce n’est pas pour déplaire à Feghali. « Je me suis éloigné de Beyrouth, je ne vois plus beaucoup de monde », explique celui qui s’est réinstallé dans son village d’origine, loin des regards aguicheurs. Dans son appartement où la télévision reste éteinte, il s’est créé une bulle « loin des paillettes, loin des ennuis ». 

En contraste avec les codes de la culture drag qu’il s’est réappropriée et a déconstruite de manière à la faire accepter par le grand public, l’engagement n’est pas de mise pour Bassem Feghali. « Bien sûr que je souffre comme tout le monde du climat d’intolérance dans le pays, bien sûr que je vois la vague de terreur arriver, mais je ne joue pas avec la classe politique dirigeante. À quoi bon les titiller ? » rétorque-t-il.

Malgré les frustrations et les doutes, à 45 ans, Bassem Feghali ne veut quitter ni le Liban ni son nid villageois. Loin de la capitale et de ses excès, il ne remonte sur scène que rarement, crise oblige. Ne fait que de très rares apparitions médiatiques, promo oblige. En revendiquant ses silences et ses absences, la plus célèbre des drag queens du pays assume son statut de reine que personne ne reconnaît plus sans son costume. « Une fois la perruque retirée, le maquillage enlevé et la robe au placard, plus personne ne sait qui je suis. Je ne suis qu’une star à mi-temps et c’est très bien comme ça ! »

Derrière une porte vitrée, une silhouette intrigue les gardes du corps et valets parking réunis autour d’une cabane transformée en loge. À l’intérieur, Bassem Feghali se prépare. Robe verte à sequins, perruque blond platine et talons aiguilles, la tenue rappelle l’univers et l’esthétique rétro-glam du couturier Bob Mackie. De quoi mettre dans l’ambiance. Sa voix fluette...
commentaires (1)

Une bonne idée de se retirer dans son village ,et de passer inaperçu. Les temps changent.

Esber

14 h 59, le 08 septembre 2023

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Commentaires (1)

  • Une bonne idée de se retirer dans son village ,et de passer inaperçu. Les temps changent.

    Esber

    14 h 59, le 08 septembre 2023

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