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Lifestyle - RENCONTRE

Qui est la « seule et unique » diva de Beyrouth ?

Elle est la toute dernière recrue de la scène drag libanaise mais qui a réussi, en deux ans à peine, et à la faveur de son personnage de diva orientale, drolatique, tordante et amoureuse du pas de côté, à cambrioler l’attention d’un public dont on n’aurait jamais pensé qu’il se familiariserait un jour avec l’art du drag. Le 27 juillet, à UFO*, elle lance son premier show Beyond Drag. Rencontre avec une guerrière dont la scène queer libanaise se souviendra…

Qui est la « seule et unique » diva de Beyrouth ?

Diva Beirut, une créature drolatique, taquine, débordante, tordante et doucement tordue. Photo Kifah Balani

Elle arrive au rendez-vous dans une robe tee-shirt moulante couleur bubble gum fabriquée par elle, comme tout ce qu’elle porte d’ailleurs. À son poignet valse un tout petit sac à main. Les ongles sont pointus et à motifs léopard. La barbe est de trois jours et le sourire, un feu d’artifice. Une apparition. De la fenêtre, on voit les voituriers de l’hôtel d’en face interrompre leur conversation à son passage, puis la toiser de la tête aux pieds avec un mélange de consternation et de curiosité. Peut-être même du dégoût. Sauf que Diva Beirut ne cille ou ne se retourne même pas. Débarquant au milieu d’un nuage de parfum sucré ou, soyons plus précis, faisant une entrée à la hauteur de la diva qu’elle est, elle s’étonne presque de la scène dont on vient d’être témoins : « Je ne les ai même pas remarqués. Je ne vois plus ce genre de choses, les regards et les injures, ça me glisse sur la peau. Il y a peu de temps, je suis sortie en drag avant une soirée, un mec à mobylette m’a lancé des yeux meurtriers, et il a dit : "si seulement j’avais mon revolver sur moi"… Quand on vit ça, on devient blindé. » Bien entendu, on a envie de pouvoir comprendre ce que c’est que d’être quasi quotidiennement victime de telles abjections, au seul motif d’être un mec qui fait de l’art en se construisant un alter ego féminin. Mais ce qu’on a surtout envie de comprendre, c’est comment Diva Beirut (Serge Vahe Koukezian, de son véritable nom) n’a jamais plié, parvenant au contraire à épousseter cette infinie barbarie du bout de ses ongles éternellement chatoyants, et enveloppant ces blessures de paillettes, d’humour et de la vie en personnes qui caractérisent son (double) drag. Tout cela en étant la toute dernière recrue de la scène drag libanaise à avoir réussi à attirer sur elle, à raison, et en deux ans à peine, tous les projecteurs.

Sabah réincarnée. Photo Mo Abdouni pour le « New York Times »

Un drag de Lady Gaga… à la paroisse du village

Pour remonter à la source de cette personnalité haute en couleur et plus grande que nature, il conviendrait de revenir sur l’enfance de Serge Koukezian, passée à Bickfaya, dans le Metn. « C’est très simple, dès l’âge de cinq ans, tout le monde savait que j’étais gay. C’est quelque chose que j’ai imposé à mon insu, et de surcroît au sein d’une famille chrétienne plutôt sur le versant conservateur des choses. Je savais que je préférais les garçons, que j’aimais dès lors m’habiller en fille, mais je n’avais pas le vocabulaire, les mots, pour comprendre ce que cela signifiait. C’est pour ça que je bataillerai toute ma vie pour une éducation plus progressive dans les écoles. Pour que plus personne ne traverse ce que moi et la plupart des homosexuels du Liban avons traversé », raconte, avec un flegme à clouer tous les becs homophobes, celui qui connaîtra donc très tôt les doigts pointés sur lui, le harcèlement à répétitions, l’homophobie crasse et les murmures moqueurs des gens de son école et de son entourage.

« C’est très étrange, parce qu’à y repenser, d’un côté je suis passé par une période d’angoisse profonde, d’insécurité ; d’autant plus qu’être gay, féminin, gros, et avec un appétit pour le drag, dans un environnement rigide comme le mien, ce n’est vraiment pas une partie de plaisir. Et d’un autre, je ne sais pas comment j’étais si criard et si fier. » Très tôt donc, et en l’ignorant, Serge Koukezian rassemble deux mondes qu’a priori rien ne pourrait rapprocher. Il cultive une certaine dualité, brouille les frontières entre les deux faces de sa personnalité, qui ne sont pas sans évoquer sa vie actuelle, quelque part entre Serge et Diva. D’une part, il intègre les Chevaliers du seigneur de la paroisse de son village, il officie à la messe, chante à la chorale, et d’un autre il a le courage, la folie peut-être, d’aller jusqu’à interpréter Bad Romance de Lady Gaga… lors d’une fête religieuse à Bickfaya ! Une puissance que même empilées, toutes les masculinités traditionnelles toxiques de ce pays ne pourraient pas égaler. « Tout le monde s’est plié à cette évidence parce qu’en dépit de tout ce que je pouvais endurer, ma détermination n’a jamais bougé. Et très vite, je me suis rendu compte que je me foutais complètement des labels de genre. Être il, elle, iel ou ielle, tout cela avait peu d’importance pour moi. Dès lors et jusqu’à présent, j’ai choisi d’être une diva et de vivre comme telle », explique celle pour qui le terme drag ne se réduit pas à un travesti en talons et orné de strass et de mascara, mais englobe en réalité une forme d’expression artistique réjouissante : celle de créer, et de toutes pièces, un double inversé féminin. « Dès mon adolescence je me suis mis à confectionner mes vêtements, mes perruques, à ajuster ma voix, mes mouvements, mes chorégraphies, mon état d’esprit et la philosophie pour correspondre à ce double que j’ai créé », raconte Serge.

À 18 ans, il découvre Beyrouth, alors qu’il intègre le Collège artistique de la mode moderne pour des études en stylisme. Pour son projet de diplôme, il s’imagine en Cléopâtre réinventée, un personnage fantasmé dont il imagine tout, jusqu’aux talons taille 44 « que mon père m’a fabriqués, dans l’atelier de chaussures de mon grand-père. Il avait aussi réalisé ma perruque. C’était la plus belle preuve d’amour, et surtout la promesse qu’en s’imposant, on peut faire avancer les choses », sourit Diva Beirut. Remportant le premier prix, la diva naissante se fait remarquer par le chorégraphe Hadi Awada qui, « m’a ouvert les portes sur un monde que je ne connaissais que très peu. Il m’a montré la série Pose, et m’a initié à l’art du drag ». En mai 2018, Awada encourage Diva Beirut à faire ses premiers pas dans la stratosphère drag libanaise.

« J'ai choisi d’être une diva et de vivre comme telle. » Photo Tarek Moukaddem

S’aimer soi-même, en dépit de tout

Et de nuancer : « Contrairement à beaucoup de queens libanaises, je ne connaissais pas les codes du milieu. Mon éduction, ce n’était pas Cher ou Madonna mais plutôt Haïfa Wehbé, Najwa Karam, Elissa et leurs crépages de chignons. Bassem Féghali reste une énorme inspiration pour moi, même si je regrette qu’il n’assume toujours pas le terme de drag queen. Il aurait vraiment pu faire avancer les choses… »

En mai 2018, Diva Beirut fait sa première apparition, explosive qui plus est, au sein d’un Grand Ball drag. Amoureuse des excès, peur de rien, au milieu de sa performance, elle fait tomber son corset, libérant sa poitrine, le scandale. « C’était peu de temps après la controverse des deux filles qui s’étaient embrassées à Disco Banana, provoquant la fermeture de l’établissement. On m’avait fait descendre de la scène et disqualifiée, mon cœur s’était cassé. Mais encore une fois, je n’avais pas plié », martèle-t-elle. Mais très vite, Diva Beirut se relèvera et participera à un drag show au Bardot. L’effondrement économique de 2019, la crise sanitaire de 2020 puis la double explosion d’août 2020 viennent interrompre la montée en puissance de Diva Beirut qui revient au-devant de la scène dès 2021, plus impétueuse et volcanique que jamais. À la faveur du show Kteer Wow qu’elle coréalise avec son acolyte Hoedy, mais aussi de ses apparitions solo, Diva Beirut pose les fondations de son personnage drag : celles d’une diva orientale, une créature drolatique, taquine, débordante, tordante et doucement tordue, « jamais parfaite et conseillant à tout le monde de ne jamais l’être », parfois un peu maladroite, mais se fichant totalement de l’idée d’un idéal, avec un sens de l’autodérision juste éblouissant. « Ce personnage de diva m’a permis de me découvrir et surtout de m’aimer-moi-même. Si j’avais un slogan pour lequel je manifesterais toute ma vie, c’est de s’aimer soi-même, malgré tout. C’est dur mais c’est la clef. » Au fil de ses performances, chacune plus XXL, plus magnétique que la précédente, tantôt parodiant les élections de Miss Liban, tantôt sortant d’un frigo avec un plateau de kebbé en guise de couvre-chef, tantôt sur la (devenue virale) danse Toka Toka à l’occasion de la Coupe du monde de foot en 2022, tantôt en Sabah version atomique, beaucoup sur TikTok et Instagram, Diva Beirut cambriole l’attention, faisant affluer 500 personnes pour le Kteer Wow de Noël 2022. À tel point qu’elle est invitée en 2023 à se produire à l’Institut du monde arabe « où les drag queens de Ru Paul France m’ont reconnue ! » puis la même année avec Hoedy à Barcelone et avec Andréa à Tunis. Ce qui frappe, chez Diva Beirut, c’est qu’elle trouve le moyen de ramener dans le giron du drag un public dont on n’aurait jamais pensé qu’il se familiariserait avec ce monde. « J’ai eu des politiciens, des bourgeoises d’Achrafieh, des filles qui me sollicitent pour des conseils en maquillage, des hétéros alpha qui viennent se prendre en photo avec moi lors de mes événements privés. Et j’ai des clients de tous bords quand il s’agit des costumes et des pièces que je conçois, parallèlement à mon activité drag. C’est cela même l’essence de mon message : ouvrir les portes de la bulle drag et queer en profitant du fait que je me suis fait aimer », se réjouit-elle.

À juste titre, Diva Beirut proposera dès ce soir, à UFO, son premier show, Beyond Drag (par-delà le drag) entièrement conçu par elle, sous le thème Supernova. « Ça s’appelle Beyond Drag parce que ce projet est justement sous-tendu par l’idée, l’ambition, de pousser l’idée de drag par-delà les idées préconçues. De mêler l’art du drag à l’art dans sa conception plus globale. Dans Beyond Drag, qui se déroulera mensuellement sous un thème spécifique, il y aura des performances de lip sync, de comédie, mais aussi de la place aux nouveaux talents de la scène drag », conclut Diva Beirut, avant de repartir rire au nez de ceux qui pensent la blesser, et de parsemer sur Beyrouth, du bout de ses ongles irisés, les paillettes de l’incontestable queen qu’elle est.

*Beyond Drag, le 27 Juillet 2023, dès 20h30, à UFO Beirut, Route Maritime, Dora. Pour les réservations : +961 79 149 009.

Elle arrive au rendez-vous dans une robe tee-shirt moulante couleur bubble gum fabriquée par elle, comme tout ce qu’elle porte d’ailleurs. À son poignet valse un tout petit sac à main. Les ongles sont pointus et à motifs léopard. La barbe est de trois jours et le sourire, un feu d’artifice. Une apparition. De la fenêtre, on voit les voituriers de l’hôtel d’en face interrompre...
commentaires (15)

Vive la liberté!

Wow

13 h 53, le 30 juillet 2023

Tous les commentaires

Commentaires (15)

  • Vive la liberté!

    Wow

    13 h 53, le 30 juillet 2023

  • Viva la diva!

    Murad Mazen

    23 h 42, le 27 juillet 2023

  • Merci Gilles Khoury! Très belle plume!

    CHAHINE Omaya

    17 h 05, le 27 juillet 2023

  • Honte à l'olj !

    Tania

    16 h 31, le 27 juillet 2023

  • LGBTQ+ OU UNIQUEMENT LE + ? OU C,EST LA HONTEUSE CENSURE QUI S,ACHARNE UNIQUEMENT SUR LES LIBRES EXPRESSIONS DES ABONNES... ET PUBLIE LES OBSCENITES ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 38, le 27 juillet 2023

  • La bataille gagnée, c est beau.

    Marie Claude

    11 h 45, le 27 juillet 2023

  • Photo vulgaire et inesthétique

    Lecteur excédé par la censure

    11 h 38, le 27 juillet 2023

  • Photo vulgaire …

    Lecteur excédé par la censure

    11 h 37, le 27 juillet 2023

  • Certaines photos de cet article sont: "provocatrices et obscènes"...mots figurant dans votre CHARTE DE MODERATION ! Désolée, L'OLJ !!! Irène Saïd

    Irene Said

    10 h 38, le 27 juillet 2023

  • Courageux(se)

    Souheil Mansour

    08 h 27, le 27 juillet 2023

  • Bravo pour cet audace et cette transparence ..dans un pays aux ouvertures si minimes..helas...de nos jours ...Mon admiration pour vous Diva Beyrouth

    Monique Haddad

    08 h 12, le 27 juillet 2023

  • Une madone vraiment

    M.E

    00 h 51, le 27 juillet 2023

  • Un peu d’ouverture d’esprit ne ferait pas de mal à certains libanais.

    Tabet

    21 h 18, le 26 juillet 2023

  • Vous classez ceci dans quoi? Cul..ture? franchement... Lorsque les lecteurs commentent alors que c'est de loin plus soft...Vous censurez... En revanche, le robinet LGBQ+ est ouvert à 2000%, à toutes les sauces .Tant mieux pour vous si aimez....!!!! c'est votre choix ...On respecte même si nous n'aimons pas trop les abus de ces articles qui vont dans ce sens...Bonne journée/ fin de journée.

    LE FRANCOPHONE

    18 h 51, le 26 juillet 2023

  • Vous nous censurez mais vous publier ce genre de photos ?

    Tania

    18 h 22, le 26 juillet 2023

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