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Lifestyle - Rencontre

Lady Madonna ou l'incarnation heureuse du kitsch libanais

Pour célébrer les 50 ans d’une carrière marquée par les hauts enivrants et les bas déboussolants, Lady Madonna invite « L’Orient-Le Jour » chez elle pour partager une « raqwé » de café noir et quelques souvenirs…  

Lady Madonna ou l'incarnation heureuse du kitsch libanais

Lady Madonna chez elle à Adonis. Photo Mohammad Yassine

Au bas d’un vieil immeuble d’Adonis dans le Kesrouan, une place de parking réservée à la diva du quartier. « Espace de la Lady » peut-on lire sur une pancarte scotchée à une barre de fer qui tient à peine. Deux étages plus haut, il n’est pas même 10 heures que cette dernière est déjà toute apprêtée. En robe rose bonbon assortie à son chapeau fleuri et ses baskets aux plumes blanches et fuchsia, elle prépare le café d’une main et compose le numéro du furn de l’autre. Les manakiche qu’elle a commandés tardent à arriver. « Ici, c’est votre maison ! » martèle-t-elle avec bienveillance en essayant de faire sortir son chat, Tita, sur le balcon. Dans ce salon qui semble figé dans les années 1980, des boas violets pendent du plafond, des plumeaux colorés encerclent une statue de sainte Rafqa, une Bible est ouverte sous les guirlandes rouges de Noël et des photos sont accrochées partout. Celles avec des ex-présidents, des petits enfants, des chanteurs oubliés et des proches qu’elle ne voit plus. Au centre de ce joyeux et kitschissime chaos, une chanteuse populaire, célébrée mais aussi contestée, se tient fière, des paillettes plein les paupières. Une fois sa troisième cigarette écrasée dans son cendrier en plastique bleu azur, elle se repoudre le nez une dernière fois. « Bienvenue chez Madonna mes amours ! Allez, la caméra est prête ? »

La Lady, au gré du temps, fête ses 50 ans de carrière cette année. Photo DR/ Montage L'OLJ

Madonna, l’originale

Dans cet appartement où les souvenirs s’entassent et se dessinent dans chaque détail, l’artiste aux facettes plus nombreuses qu’une boule de disco se confie sur ses débuts « flamboyants » sur les planches. Dès 12 ans, dans des petites pièces de théâtre, puis en 1975 avec Ziad Rahbani qui devient son mentor dans la profession. Alors que la Madonna américaine n'était même pas encore arrivée à New York, la Libanaise faisait déjà des siennes sur scène, entre Samy Clark et Majida el-Roumi. Pour ses beaux yeux noisette, le fils de Feyrouz lui écrira des chansons qui deviendront des standards populaires et lui laissera reprendre les rôles de son illustre mère avec les mêmes costumes et scénographies dans Nazle Srour et dans Mayss el-Rim.


« Ziad est un fou, comme moi ! Un fou d’art et de musique », lâche la Lady en réajustant son collant. Mais aux rumeurs qui la disait secrètement en couple avec le célèbre compositeur, elle ne répondra que par un sourcil levé : il va falloir passer à autre chose… Cinq ans après ce « coup de foudre artistique », Alexandra de son vrai prénom se réinvente dans le monde de la nuit. Du Night Fever en 1980 au Crésus trois ans plus tard, elle énumère « ces endroits où toute la haute sphère sociopolitique se retrouve pour danser et applaudir une star naissante ». En pleine guerre, à l’heure où les gloires du passé s'évaporent dans un silence souvent contraint, Lady Madonna crée un personnage camp – cette esthétique qui joue sur l’exagération et le grotesque – avant l’heure. Les tabloïds de l’époque en tireront profit. « On me prenait pour quelqu’un de sulfureux, pour une femme facile ! Moi, la petite fille des églises ! » s’exclame celle qui invoque la grâce du Seigneur toutes les trois phrases avec sa voix éraillée de grande fumeuse…

Mais les ragots n’effacent pas une discographie éclectique. Dans Leila Helwa, son plus gros succès au sortir de l’année 1990, elle chante la fête, la nuit et les excès. Avec Madonna et Bachir, une génération qu’elle dit désenchantée et avec Khedni Ya Habibi, une lettre d’amour entachée de larmes sur fond de sonorités rahbaniennes. De ce parcours jalonné par les succès commerciaux et les navets cinématographiques entre Le Caire et Beyrouth, elle ne perd pas le fil. Jusqu’au moment où sonne cet interphone qu’elle pensait débranché. « Mais qui vient me déranger ? Cut ! »

Fière de ses trophées comme de ses guirlandes. Photo Mohammad Yassine

Madame la députée 

À peine la porte ouverte, elle invite sa voisine du bas à une mankouché. Ébahie par cet univers de strass et de paillettes, l'infirmière qui s’est liée d'amitié avec la chanteuse, l'écoute de loin, l’air fasciné par le name-dropping en cours. Fifi Abdou, Nagwa Fouad, Amr Diab, la Madonna panarabe les as tous connus. Tous côtoyés. « Et puis quoi ? On est des êtres humains comme vous ! », précise-t-elle avec une aisance déconcertante. De la génération d’artistes qui a suivi la sienne, elle ne semble pourtant pas convaincue. Si elle dit encourager « ces petits nouveaux », elle n'hésite pourtant pas à les remettre gentiment à leur place. « Qu’ils fassent ce qu’ils veulent, mais qu’ils n’oublient pas leurs aînés. Je ne suis ni jalouse, ni envieuse, je suis Madonna ! C’est eux qui m’ont copié et pas l’inverse ». Décolletés, jupes courtes et robes mi-longues, la Donna assume une féminité qui fera d’elle la paria des cercles médiatiques libanais entre la fin de la décennie 80 et le début de la suivante. En sapin de Noël pour une émission du 24 décembre, en costume militaire blanc moulant pour la fête de l’Indépendance, la chanteuse assume son exubérance qu’elle confond avec de l’originalité. Jusqu'à parfois devenir une caricature d’elle-même. Mais elle reste si bankable qu’elle est appelée à se présenter aux législatives de 1992 sur la liste de la famille Murr dans le Metn. Après une courte période de réflexion, elle refuse. Ses tailleurs rouges sont trop beaux pour ce Parlement soporifique. La Cicciolina libanaise, elle ne le sera pas.

La Barbie de Jal-el-Dib

D’une anecdote à l’autre, de ses années américaines où elle aurait pu devenir la star d’un film avec Omar Sharif, à ses performances dans la capitale égyptienne qui feront d’elle une « attraction locale », Madonna montre quelques signes de fatigue. La chaleur est écrasante. Les paillettes qu’elle avait sur les yeux se diluent peu à peu. Mais qu’importe, elle a encore des histoires à raconter. Entre deux gorgées d’eau, elle tient à saluer son coiffeur, son neveu, la personne qui lui a perdu son Murex d’or et la troupe de danse Caracalla qu’elle rêve toujours d'intégrer… à 62 ans. « Mais regardez, je suis bien ! » s’esclaffe-t-elle en jurant n’avoir jamais eu recours à la chirurgie esthétique. « Pas de botox ni rien. Juste de l’eau, du savon et la grâce de Dieu mon chéri. » 

Mais il faudra plus que la bonté de son créateur pour « sortir ce pays de sa misère », dit-elle, épuisée, presque ruinée après que les banques lui ont pris ses quelques économies. Comme quoi, elle est comme tout le monde. Pour survivre, elle ne refuse ni mariage ni petite fête de village. L’époque où Élie Saab et Nicolas Jebran l’habillaient pour 20 000 dollars paraît bien loin. 

Dans ce monde où la célébrité n'est plus qu’accessoire, la petite fille du Metn devenue première vraie show-girl du monde arabe s’accroche à cette bulle glitter faite de désillusions et de rêves inachevés. Après une dernière chaffé de son café turc, Madonna s’excuse de devoir écourter l’entretien. Le personnage de diva s’efface soudain. Car dans ce même salon, entre les guirlandes et les pots de fleurs artificielles, se trouve sa mère alitée, sous oxygène. « Je fais tout pour elle. Je me lève la nuit, je lui prépare à manger, je l’aide à se redresser », confie-t-elle la larme à l'œil. Devant maman, elle n’est plus la grande Madonna, mais simplement la petite Alexandra.

Au bas d’un vieil immeuble d’Adonis dans le Kesrouan, une place de parking réservée à la diva du quartier. « Espace de la Lady » peut-on lire sur une pancarte scotchée à une barre de fer qui tient à peine. Deux étages plus haut, il n’est pas même 10 heures que cette dernière est déjà toute apprêtée. En robe rose bonbon assortie à son chapeau fleuri et ses baskets...
commentaires (8)

Un article clé qui se lit avec un faible sourire mouillé d'une larme nostalgique...

Wlek Sanferlou

16 h 26, le 26 août 2023

Tous les commentaires

Commentaires (8)

  • Un article clé qui se lit avec un faible sourire mouillé d'une larme nostalgique...

    Wlek Sanferlou

    16 h 26, le 26 août 2023

  • Merci Karl Richa pour ce temoignage. En effet elle a brillé de tous ses feux, mais la vie ne l'a pas épargné. Destin. Question: Peut-elle encore donner aujourd'hui?

    Massabki Alice

    07 h 52, le 26 août 2023

  • La pluralité de notre circonscription dans toute sa splendeur. Elle est vraiment remarquable

    Zampano

    20 h 10, le 25 août 2023

  • ET CE N,EST PAS QUE JE NE SUIS PAS UN DE SES ADMIRATEURS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    18 h 57, le 25 août 2023

  • Je l'ai toujours trouvé attachante

    Charbel Moussalem

    18 h 17, le 25 août 2023

  • Thank you for the article OLJ. I’m sorry to learn that Lady Madonna is a heavy smoker. I wish her a long life.

    Mireille Kang

    17 h 14, le 25 août 2023

  • SETT MADONA MA BYEMCHI ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 09, le 25 août 2023

  • J'adore cette artiste! et enfin l'olj elitiste s'interesse a nos artistes populaires. vous avez rate Melhem Barakat...incultes

    Elementaire

    10 h 58, le 25 août 2023

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