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Moyen-Orient - ÉCLAIRAGE

Soudan : Burhane prépare le terrain pour la période post-conflit

Le chef des forces armées a effectué une tournée régionale, ouvrant la voie à une évolution de sa stratégie dans le conflit.

Soudan : Burhane prépare le terrain pour la période post-conflit

Abdel Fattah el-Burhane accueilli par Abdel Fattah el-Sissi à el-Alamein, le 29 août 2023. Photo AFP

Il a tourné en victoire une sortie de Khartoum présentée comme de justesse, qui se serait déroulée sous le feu ennemi, à bord d’une embarcation fluviale sur le Nil. Après s’être cantonné pendant plusieurs mois dans le quartier général des forces armées soudanaises, son commandant Abdel Fattah el-Burhane est parvenu à se rendre mardi 29 août en Égypte, où il a été reçu par son principal allié, le président Abdel Fattah el-Sissi, dans la ville d’el-Alamein. Ce déplacement hors de l’enceinte de la capitale soudanaise était le premier depuis le début du conflit qui l’oppose aux Forces de soutien rapide (FSR) de Mohammad Hamdane Dagalo, dit Hemetti, le 15 avril. « Ce que Burhane a tenté de faire, avec un certain succès, c’est de présenter sa sortie comme une sorte de victoire. Sur les plans interne et externe bien sûr, en Égypte et potentiellement dans d’autres pays de la région », estime Kholood Khair, fondatrice du groupe de réflexion Confluence Advisory basé à Khartoum. Le chef de l’État égyptien, dont il est proche, l’a en effet reçu comme il recevrait un homologue, accordant à leur entrevue une importante couverture médiatique.


Visiter ses partenaires pour répondre à son rival

Car passé la frontière, le commandant en chef soudanais a choisi de troquer son uniforme militaire pour se donner des allures de chef d’État. Juste après sa sortie de Khartoum, le 28 août, alors qu’il venait à peine de rejoindre la ville côtière de Port-Soudan, Burhane se montrait pourtant belliqueux devant une foule de soldats qui l’acclamait : « Nous ne faisons aucun compromis avec les traîtres. Aucun accord n’est possible avec ceux qui ont trahi le peuple soudanais. » Suite à cette visite chez son allié égyptien, le chef de l’armée régulière soudanaise a pris ce lundi la direction du Soudan du Sud, médiateur traditionnel pour son voisin depuis son indépendance en 2011.

Cette minitournée diplomatique intervient quelques jours après que les États-Unis ont jeté l’opprobre sur les deux chefs de guerre via une publication de leur ambassadeur au Soudan sur son compte X (anciennement Twitter) : « Les belligérants ont montré leur incapacité à gouverner, ils doivent désormais mettre fin au conflit et transférer le pouvoir à un gouvernement civil de transition. » L’appel à un abandon de leurs prétentions lancé envers Hemetti et Burhane a vraisemblablement incité les deux hommes à présenter des gages de bonne volonté à la communauté internationale. Deux jours après la déclaration du diplomate américain, le commandant des FSR présentait pour sa part ses « 10 points » pour une sortie du conflit et la construction d’un « nouvel État ». Il a depuis réitéré sa tentative de se poser en homme d’État, en affichant l’ouverture de son camp au rassemblement de tous les Soudanais, même ceux servant pour l’armée nationale, ainsi qu’en démentant toute possession d’armes lourdes, comme le rapporte le quotidien saoudien Asharq al-Awsat.

Une adresse à l’international 

Car dans les faits, la confrontation entre les deux anciens alliés, qui se déchirent après avoir renversé ensemble un gouvernement civil-militaire de transition en 2021, se poursuit sans qu’aucun camp ne parvienne à prendre le dessus sur le terrain. Les combats ont en outre déjà occasionné la mort de plusieurs milliers de civils, un chiffre largement sous-estimé selon les ONG, et contraint plusieurs millions de Soudanais à l’exil, selon les Nations unies. Sur le terrain, l’armée soudanaise s’est retirée du Darfour dans un revers évident, tandis que la capitale Khartoum continue d’être disputée, donnant lieu à de violents affrontements responsables de nombreuses pertes civiles. L’est du pays, qui borde la mer Rouge, demeure essentiellement sous le contrôle des troupes régulières du Soudan, à l’image de la ville de Port-Soudan.

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Dans ce contexte d’enlisement du conflit sur le terrain militaire, les forces armées à Khartoum se sont tournées vers leur allié égyptien dans l’espoir de changer la donne. « Burhane a besoin de plus de soutien militaire pour continuer à se battre et pour sécuriser les corridors d’approvisionnement. C’était vraisemblablement une priorité en Égypte », explique Anette Hoffmann, chercheuse à l’institut Clingendael. Le Caire apporte en effet un soutien logistique aux forces armées soudanaises depuis les années du dictateur déchu Omar el-Bachir. Désormais, c’est le général Burhane, proche de Abdel Fattah el-Sissi, qui bénéficie de cette collaboration. Mais le chef de l’armée soudanaise pourrait aller chercher du soutien plus loin. « Burhane voudra sûrement des garanties de sécurité ainsi que la reconnaissance de sa position de chef de facto de l’État soudanais », avance Kholood Khair. Dans cette perspective, certains médias ont évoqué une éventuelle tournée régionale qui le conduirait notamment au Qatar, où résident des partisans de l’ancien régime, mais aussi en Arabie saoudite, qui tente depuis le début du conflit de se poser en médiateur et travaille avec les États-Unis à l’obtention d’un cessez-le-feu, voire aux Émirats arabes unis (EAU).


Les intérêts des puissances régionales

Abou Dhabi soutient pourtant le chef des forces paramilitaires. « Les Émirats ont beaucoup investi dans l’ennemi juré de Burhane. Ils hébergent le principal compte bancaire des FSR, facilitent ses réseaux financiers et auraient livré du matériel et des armes via la Libye et le Tchad », souligne Anette Hoffmann. Si leur volonté d’intercéder pour faciliter une sortie de crise reste incertaine, la fédération émiratie aurait pourtant intérêt à entretenir des canaux de communication avec l’armée de Khartoum. « Les Émiratis souhaitent obtenir un deal portuaire pour la mer Rouge, ils ont notamment des vues sur une zone située à 200 km au nord de Port-Soudan », indique Kholood Khair, en référence à une région sous contrôle de l’armée régulière. Selon un des scénarios avancés par la chercheuse, l’extraction risquée du général Burhane de la capitale soudanaise aurait été rendue possible en vertu d’un accord conclu avec les Émiratis, voire avec les Saoudiens. Le général de l’armée aurait ainsi obtenu des garanties sécuritaires pour un passage sans difficulté en échange d’un engagement à entamer des pourparlers et à œuvrer pour une détente.

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À son retour du Soudan du Sud lundi, Abdel Fattah el-Burhane a rejoint Port-Soudan, où il reste en sécurité. Un début d’installation au plus long terme ? « Il est de plus en plus probable que Burhane établisse une capitale administrative ou une nouvelle capitale à Port-Soudan, laissant Khartoum et tout ce qui se trouve à l’ouest de celle-ci aux FSR, y compris le Darfour, prédit Kholood Khair. Nous aurons alors le même scénario qu’en Libye, avec deux gouvernements, deux États à l’intérieur d’un même pays. » Déjà, les forces paramilitaires semblent vouloir instaurer une sorte de gouvernance pour gérer les zones sous leur contrôle. Une solution qui laisse pourtant envisager une instabilité future, loin d’une sortie de crise idéale pour les acteurs régionaux et internationaux impliqués.

Il a tourné en victoire une sortie de Khartoum présentée comme de justesse, qui se serait déroulée sous le feu ennemi, à bord d’une embarcation fluviale sur le Nil. Après s’être cantonné pendant plusieurs mois dans le quartier général des forces armées soudanaises, son commandant Abdel Fattah el-Burhane est parvenu à se rendre mardi 29 août en Égypte, où il a été reçu par...

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