Critiques littéraires Correspondance

Ponge-Sollers, une amitié littéraire

La correspondance Francis Ponge-Philippe Sollers, publiée chez Gallimard, dévoile le fort lien d’amitié qui aura uni durant plus de quinze ans deux hommes épris de littérature, partageant les mêmes jugements critiques et une grande complicité intellectuelle. Jusqu’à ce que la politique s’en mêle…

Ponge-Sollers, une amitié littéraire

D.R.

C’est en mars 1957 que Philippe Joyaux qui prendra le pseudonyme de Sollers traverse le boulevard Raspail pour aller écouter Francis Ponge enseigner à l’Alliance française. Sollers est alors un jeune homme plein d’ambition, prompt à révolutionner la littérature et ses pratiques, Ponge est à l’époque « placardisé » par Paulhan chez Gallimard.

Dès leur première rencontre, les deux hommes s’accordent sur des goûts et des dégoûts communs : révérence pour Mallarmé en littérature, Poussin en peinture, Rameau en musique ; répulsion envers l’engagement sartrien, le sabir du nouveau roman quand il est porté par Robbe-Grillet et les mondanités du milieu germanopratin que Sollers feint de ne pas observer.

Dès que Sollers pose ses valises au Seuil pour y fonder la revue Tel Quel, Ponge s’active auprès de Mauriac pour soutenir cette entreprise. Pour Francis Ponge qui a su réinventer le surréalisme et manier la langue comme personne en donnant chaque mot à goûter dans son étrange sonorité et sa polysémie, l’heure est au repli. Marginalisé, cherchant une ascèse qui confine à la pauvreté, le poète s’éloigne du monde. La rencontre de Sollers, si attentif et admiratif de son parcours et de son exigence poétique, lui redonne foi en la littérature.

Dès 1957, des lettres sont échangées, des rencontres ont lieu au jardin du Luxembourg, un vrai lien amical – et non pas filial – se crée. Les deux hommes apprennent à s’apprivoiser.

Les premiers jets de leur correspondance font de suite état d’une admiration réciproque. Tous deux disent partager le même goût de la solitude. Maître mot des deux auteurs, c’est uniquement dans cette solitude, c’est-à-dire en se positionnant seul contre le monde, que la création littéraire peut enfanter une forme authentique. Ainsi, en juillet 1961, alors que Sollers s’apprête à publier Le Parc qui va diviser la critique, Ponge lui apporte son fidèle soutien par ces mots : « J’espère que vous êtes sûr au moins d’avoir réussi là une très grande chose, une composition enchantée. Moi, en tout cas, j’en suis sûr. Vous n’avez vis-à-vis de vous-même et de tous autres qu’à rester fervent de votre propre parti. » En janvier 1962, lisant la Société du génie et le Grand Recueil de Ponge, Sollers écrit à son ami : « L’admirable est là, dans la disparition élocutoire de Francis Ponge. Pas étonnant si les contemporains se retrouvent muets. »

Ce compagnonnage littéraire conduira Sollers à composer un Francis Ponge chez Seghers et à enregistrer des entretiens radiophoniques Francis Ponge avec Philippe Sollers. Tout porte à croire que les deux amis vont rester longtemps sur la même longueur d’onde d’autant que l’on s’invite les uns chez autres : les Ponge visitent Philippe Sollers à l’île de Ré ; Sollers les rejoint dans leur mas de Provence. Philippe Sollers confie à Dominique Rollin : « Les Ponge ont l’air ravis d’être là. Lui, je l’aime vraiment beaucoup, et il y a entre nous un tel accord de nature (donc d’esprit) que toute conversation, tout rapport, glissent, légers dans une zone de ‘‘cela va de soi’’ continuels. »

Au fil du temps, leur correspondance qui se fait moins affectée révèle davantage les souffrances personnelles de chacun : l’asthme aggravé chez Sollers qui l’oblige souvent à la quarantaine, les soucis de santé d’Odette, la femme de Ponge, qui préoccupe fortement le poète. C’est à nu que les deux hommes se livrent, en toute simplicité et en toute confiance. Les questions de roman, de genre, de théories littéraires ne sont presque jamais évoquées dans leurs échanges.

Entre 1965 et 1966 Francis Ponge fait deux séjours aux États-Unis pour un cycle de conférences données à Columbia. Il n’hésite pas à louer devant le public américain celui qui, à ses yeux, incarne la nouvelle avant-garde littéraire française, son ami Philippe Sollers.

Reste qu’au détour de 1968, leurs chemins vont commencer à bifurquer. Déjà, lors des événements d’Algérie, Ponge a soutenu des positions gaulliennes, ce qui a rendu défiante la petite bande de Tel Quel. Encore davantage par la suite son soutien à Pompidou ! De son côté, Ponge conchie le langage marxiste, les théories linguistiques et la vulgate lacanienne à l’œuvre dans les parutions de Tel Quel. Il fait sévèrement le reproche à Sollers de ce « ronron poétique ».

Voici que la question politique s’est immiscée entre les deux hommes. Elle les éloignera progressivement et inéluctablement l’un de l’autre.

Comme le soulignent dans leur préface Didier Alexandre et Pauline Flepp qui ont établi l’édition critique de ce volume : « La fin de la correspondance entre Ponge et Sollers laisse une sensation étrange, comme un goût d’inachevé. » Reste un magnifique témoignage sur la société littéraire de cette époque et « la rencontre élective de deux curieuses solitudes ».

Correspondance 1957-1982 de Francis Ponge et Philippe Sollers, édition présentée, établie et annotée par Didier Alexandre et Pauline Flepp, Gallimard, 2023, 528 p.

C’est en mars 1957 que Philippe Joyaux qui prendra le pseudonyme de Sollers traverse le boulevard Raspail pour aller écouter Francis Ponge enseigner à l’Alliance française. Sollers est alors un jeune homme plein d’ambition, prompt à révolutionner la littérature et ses pratiques, Ponge est à l’époque « placardisé » par Paulhan chez Gallimard.Dès leur première rencontre,...
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