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Permis de vol


À la veille de la crise financière qui s’est abattue sur le Liban, l’on pouvait voir, sur CNN, l’un des artisans les plus notoires du désastre affirmer, avec autant de fatuité que d’inconscience, qu’il était tout à fait possible de conduire un État sans pour cela s’encombrer d’un quelconque budget. Le conduire droit vers l’abîme, avait-il omis préciser.

On n’était pas encore remis de son ébahissement que l’on découvrait avec quelle insolente désinvolture, quel mépris des conséquences, une mafia politique vissée aux commandes pouvait vous plumer et désosser tout un pays à coups de détournements de fonds publics, d’adjudications bidon, de commissions et autres fraudes sans nulle crainte d’encourir les foudres de la justice. De cette sauvage razzia sur les deniers publics, étalée sur plusieurs décennies, le volet le plus criant demeure ces dizaines de milliards de dollars engloutis dans le toujours comateux secteur de l’électricité ; notre fanfaron de la CNN n’y est d’ailleurs pas pour rien.

Pour autant, on n’avait pas encore tout vu. Car voici maintenant que l’on envisage de couvrir d’une bien mince pellicule de légalité une nouvelle et intolérable atteinte aux biens des gens, ou de ce qu’il en reste. Comme tout le monde ne sait que trop bien, les dépôts en banque des citoyens sont déjà placés en résidence forcée, et même étroitement surveillée, puisque leurs propriétaires légitimes ne peuvent y avoir accès qu’au compte-gouttes. D’être confiés à la garde de la banque centrale – au titre de réserves obligatoires et donc intouchables – ne leur a pas épargné pourtant plus d’un viol, commis par un État en faillite. Le long règne du gouverneur Salamé ayant pris fin, un quarteron de vice-gouverneurs a pris la relève, mais non sans s’être fait prier. Dans une conférence de presse lundi, ces dignes hauts fonctionnaires désavouaient les pratiques du prédécesseur, mais c’était franchement un tantinet trop tard. Par la bouche de leur doyen, ils ont dit leur vertueuse répugnance à financer l’État en puisant à leur tour dans les intouchables réserves, sauf…

Sauf, eurêka, si un cadre réglementaire était trouvé pour une telle indélicatesse ; sauf si les pouvoirs exécutif et législatif, autrement dit les ténors de l’establishment politique, se mouillaient eux aussi dans une telle arnaque, s’ils devenaient complices du crime. Or il ne faut pas nécessairement être un spécialiste de la finance pour le constater : outre leur caractère des plus iniques, ces ponctions prétendument ponctuelles dans les dépôts bancaires risquent de n’être qu’un coup d’épée dans l’eau, quand bien même celui-ci aurait fait un véritable carnage économique. Théoriquement remboursables, de telles avances en devises ont bien peu de chances d’être restituées par un État insolvable, et de surcroît filou, même s’il devait écraser le peuple sous une avalanche de taxes et impôts. Elles n’auront d’autre effet que d’alourdir un déficit budgétaire déjà considérable et de heurter de front les exigences de rigueur que pose le Fonds monétaire international pour aider au redressement du pays.

Pour avoir le droit de voler (le terme étant pris ici dans son sens le plus noble), les aviateurs sont tenus de décrocher un brevet de pilote. Pour neutraliser les méchants espions, James Bond lui-même a besoin d’une licence de tuer, sous peine d’embarrasser le gouvernement de Sa Gracieuse Majesté. C’est un permis similaire que réclame en somme la néo-BDL pour achever de dépouiller les déposants. Mais qui donc s’en chargera ? Dès hier, le Premier ministre balançait la braise ardente au Parlement, l’invitant à prendre les devants en élaborant une proposition de loi adéquate, auquel cas on verrait les élus du peuple donner le signal de l’assaut final contre les intérêts du même peuple.

Et nous, pauvres naïfs qui, entre combats interpalestiniens dans le camp de Aïn el-Héloué et bombes à retardement plantées dans les camps de déplacés syriens, croyions avoir atteint le comble de l’absurde !

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

À la veille de la crise financière qui s’est abattue sur le Liban, l’on pouvait voir, sur CNN, l’un des artisans les plus notoires du désastre affirmer, avec autant de fatuité que d’inconscience, qu’il était tout à fait possible de conduire un État sans pour cela s’encombrer d’un quelconque budget. Le conduire droit vers l’abîme, avait-il omis préciser.
On n’était pas...