À quoi Jean-Yves Le Drian doit-il s’attendre à son retour en septembre ? L’optimisme affiché côté français au lendemain du second séjour de l’émissaire spécial de l’Élysée pour le Liban à Beyrouth, la semaine dernière, pourrait vite disparaître. Et pour cause : une bonne partie des protagonistes locaux, notamment ceux de l’opposition, ne semble pas très enthousiaste quant à la dernière proposition de solution présentée par l’ancien ministre des Affaires étrangères. Ce dernier a proposé un rendez-vous en septembre pour des concertations politiques élargies exclusivement axées sur le profil du futur président de la République et ses priorités. Une proposition bénéficiant de l’aval du groupe des Cinq impliqués dans le dossier libanais (France, États-Unis, Arabie saoudite, Égypte, Qatar) réunis à Doha le 17 juillet. La proposition de M. Le Drian est « la dernière chance » offerte aux Libanais pour sortir de l’impasse actuelle, et certains pays membres du groupe des Cinq agitent le spectre du recours aux sanctions si la nouvelle initiative est mise en échec. Mais cette menace, aussi sérieuse soit-elle, ne semble pas cacher certaines appréhensions de l’opposition, qui souhaite obtenir des réponses claires de la part de M. Le Drian avant de participer aux concertations.
C’est ce son de cloche qui prévaut dans les milieux de l’opposition ces derniers jours. « Plusieurs points doivent encore être clarifiés, aussi bien dans la forme que dans le fond », souligne à L’Orient-Le Jour un député opposant qui a souhaité garder l’anonymat. « Il s’agit du lieu de la tenue de la rencontre interlibanaise prévue en septembre ainsi que des participants» , dit-il, soulignant que ces points figureront, entre autres, dans une lettre officielle qui pourrait être adressée à M. Le Drian dans les prochains jours.
Dans le fond, le susdit parlementaire évoque certaines questions jugées fondamentales : « Faut-il accepter de consacrer les pratiques qui négligent les dispositions de la Constitution et favorisent le consensus aux dépens de la démocratie ? » se demande le député dans ce qui semble être une critique à l’appel de Jean-Yves Le Drian à s’entendre sur le profil du président et son programme, dans la mesure où une telle démarche devrait mener à une entente préalable autour du nom du prochain chef de l’État. Un point que partagent les Forces libanaises, un des premiers partis à se montrer hostiles à un dialogue avec le camp adverse autour de l’échéance présidentielle. « Nous avons déjà fait notre devoir. Nous avons longuement étudié le profil et le programme du président. Et c’est sur cette base que nous avons décidé de soutenir Michel Moawad (député de Zghorta) avant de passer à Jihad Azour (ancien ministre des Finances et actuel haut responsable au sein du Fonds monétaire international) », déclare le porte-parole des FL Charles Jabbour. « C’est surtout par respect pour les efforts de l’émissaire français que nous examinons la proposition. Surtout que nous avons encore le temps avant de dire notre dernier mot. Mais je ne pense pas que nous allons lâcher Jihad Azour, au moins jusqu’au retour de l’émissaire français », poursuit M. Jabbour.
« Oui, mais pour quoi faire ? »
Comprendre : en attendant les réponses de Jean-Yves Le Drian et ses garanties, évoquées samedi soir par Waddah Sadek (député beyrouthin de la contestation), l’opposition ne compte faire aucune concession. Surtout pas face à un Hezbollah attaché à son candidat Sleiman Frangié, qui fait face à un veto chrétien de taille tant de la part des adversaires du parti chiite que de la part de son allié chrétien Gebran Bassil, avec qui il vient de rouvrir les canaux du dialogue dans la perspective de la présidentielle. « Ils (le Hezbollah et ses satellites) oublient que nous avons déjà fait une importante concession en retirant Michel Moawad et en proposant Jihad Azour, perçu comme un candidat consensuel », rappelle un haut responsable Kataëb qui a requis l’anonymat. «Dialoguer ? Oui, mais pour quoi faire ? Comment va-t-on dialoguer ? Autour de quoi si les ténors du Hezbollah continuent de pousser pour nous convaincre de soutenir Sleiman Frangié ? » s’interroge ce même responsable partisan. « Nous n’avons pas changé de position. Et nous ne changerons pas », a affirmé le chef du groupe parlementaire du Hezbollah Mohammad Raad vendredi matin. Faut-il en déduire que la formation de Samy Gemayel manquera au rendez-vous de septembre ? Le susdit responsable Kataëb s’abstient, à ce stade, de trancher la question. « Surtout que plusieurs pays amis s’activent pour résoudre la crise actuelle. » « Mais nous allons poursuivre nos concertations avec le reste des opposants », assure-t-il.
Parmi ces « partenaires », figure bien entendu le Parti socialiste progressiste, dont le nouveau chef Taymour Joumblatt a affirmé devant l’envoyé spécial de l’Élysée la nécessité d’un dialogue autour d’un candidat consensuel à la tête de l’État, à en croire Hadi Aboul Hosn, député PSP de Baabda. « Notre position est claire. Nous voulons une entente autour d’un candidat qui garantirait le respect de l’accord de Taëf et lancerait le processus de réformes », dit-il, appelant à « l’abandon des positions rigides ». Une allusion à peine voilée à l’attachement du parti de Dieu à l’option Sleiman Frangié… au point de tenter d’en convaincre Gebran Bassil, qui vient de poser une nouvelle équation : la décentralisation administrative élargie en contrepartie du « plus grand sacrifice pour les six prochaines années ». Va-t-il lâcher ses tout nouveaux partenaires avant les discussions de septembre ? « Rien ne prête à croire que nous allons en arriver là », répond un député opposant sur un ton optimiste.
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Espérons que la leçon donnée par l’Afrique servirait les politiciens français et les ferait réfléchir aux politiques adoptées où la dictature est préférée à la démocratie lorsque leurs intérêts sont en jeu, seulement à court terme.
Sissi zayyat
20 h 14, le 31 juillet 2023