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Moyen-Orient - ANNIVERSAIRE

À 100 ans, le traité de Lausanne déplaît encore à certains

Un siècle après sa signature, l'accord conclu dans la ville suisse continue d’agiter les consciences et d’animer les échanges politiques entre les États.

À 100 ans, le traité de Lausanne déplaît encore à certains

La diaspora kurde manifeste et commémore le centenaire du traité de Lausanne, le samedi 22 juillet 2023 à Lausanne. Fabrice Coffrini/AFP

Comme chaque année, une manifestation s’est tenue devant l'hôtel Château d'Ouchy, sur le lac Léman à Lausanne. Mais cette fois, le rassemblement de samedi était d’une ampleur inédite. Car le traité de Lausanne, contre lequel les protestataires exprimaient leur opposition, marque ses 100 ans ce 24 juillet 2023. Définissant les frontières au sein de l’espace anatolien, l’acte fondateur de l’État turc, triomphe de Mustafa Kemal Atatürk, reste un siècle plus tard presque autant célébré que condamné, témoignant de tensions toujours particulièrement vives.

À l’initiative de la communauté kurde, la manifestation a rassemblé quelque 6 000 participants, selon la police helvétique, arborant des drapeaux à l’effigie d'Abdullah Öcallan, emprisonné en Turquie depuis plus de 24 ans.

De la défaite ottomane à la victoire turque

Car l’accord signé en 1923 marque l’avènement de l’État moderne turc, aux dépens de la communauté kurde, qui se voit dispersée entre quatre pays. Et un succès pour Mustafa Kemal, farouchement opposé au sort de la Turquie tel que conclu lors du traité de Sèvres le 10 août 1920. Héros de guerre qui a vaincu les Alliés aux Dardanelles et qui refuse ce qu’il perçoit alors comme le démantèlement de la « nation turque », il forme alors un gouvernement basé à Ankara. Son but : combattre les différentes forces étrangères opposées à un réexamen des conditions de l’accord de 1920, obstacle à l’avènement de son projet de République turque. Revendiquant le soutien de la France qui n’avait pas ratifié le traité, il parvint à imposer par la voie des armes une renégociation des frontières. Les discussions prirent place à partir de 1922 sur les abords du lac Léman.

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Les grandes puissances européennes, qui souhaitaient alors tourner la page du conflit le plus dévastateur de leur histoire, ont dû composer avec un leader érigé en vainqueur. En effet, s’il s’agissait bien de s’imposer sur des enjeux territoriaux, il était également question de revenir sur le statut de perdant de la Grande Guerre, attribué exclusivement au sultan ottoman.

Avantage à la Turquie

Parvenant à faire presque entièrement table rase des éléments convenus deux ans plus tôt à Sèvres, le gouvernement d’Ankara obtint des conditions bien plus favorables. Sur le point de vue territorial, il fait main basse sur la région d’Antioche au nord-ouest de la Syrie, reprend le territoire précédemment cédé au voisin arménien et s’assure de l’abandon du projet d’une région kurde autonome. Les déplacements des populations grecques d’Anatolie vers la Grèce et musulmane de Grèce vers la Turquie sont désormais gravés dans le droit. Ainsi, quelque 2 millions d’individus furent déplacés « la baïonnette au dos ».

Concernant les frontières maritimes de la Turquie, la démilitarisation des détroits du Bosphore et des Dardanelles est inscrite dans le marbre du droit international, tandis que la Grèce conserve sa souveraineté sur l’écrasante majorité des îles de l’espace égéen. Le traité protège aussi « la liberté de passage et de navigation, par mer et dans les airs, en temps de paix comme en temps de guerre, dans le détroit des Dardanelles, la mer de Marmara et le Bosphore ». Cette disposition spéciale sera agrémentée en 1936 dans le cadre de la convention de Montreux, donnant à la Turquie le contrôle de ces points de passage.

Héritage du traité

Jusqu’à aujourd’hui, le traité de Lausanne résonne face à des problématiques bien contemporaines. Alors que le conflit russo-ukrainien a mis en exergue la dépendance mondiale vis-à-vis du blé russe et ukrainien, la maîtrise turque du Bosphore, seul point d’entrée de la mer Noire, devint une des cartes géopolitiques dans les mains d’Ankara. Recep Tayyip Erdogan s’est ainsi placé en médiateur dans les négociations sur les exportations de céréales ukrainiennes qui ont abouti à un accord dès l’été 2022, avant que le président russe ne se retire de l’entendement le 17 juillet.

Reste enfin la question des populations et communautés lésées par le traité de Lausanne et dont les plaies ne sont à l’heure actuelle toujours pas pansées. Les tragiques déplacements de population constituent à ce jour le principal enjeu mémoriel autour duquel s’opposent Athènes et Ankara. Un enjeu sociétal auquel s'additionne le dossier des frontières maritimes entre les deux États qui génère fréquemment des affrontements verbaux entre les gouvernements grec et turc. Si l’accord centenaire avait été présenté à l’avantage de la Turquie lors de sa conclusion, certains de ses aspects sont désormais contestés par Recep Tayyip Erdogan, qui cherche à se présenter comme l’artisan d’une nouvelle ère pour la Turquie moderne, cent ans après sa fondation. Le président turc n’hésite ainsi plus à remettre en cause la souveraineté grecque sur les îles au large de l’Anatolie ainsi que l’indépendance chypriote, toutes deux reconnues par le traité de Lausanne.

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En ce qui concerne la communauté kurde cependant, Ankara rejette toute altération à l’accord de 1923. Pour cette population de près de 18 millions de personnes en Turquie, cet accord de paix représente une trahison des engagements pris en 1920 à Sèvres, autant qu’une condamnation au statut de minorité persécutée. Preuves en sont les photos brandies samedi lors de la manifestation à Lausanne du guide spirituel de l’indépendance kurde Abdullah Öcallan. Au cours de ce rassemblement, Berivan Firat, porte-parole du conseil démocratique kurde de France, déclarait à l’AFP que « le peuple kurde, comme tous les peuples du monde, revendique le droit de vivre avec son identité sur ses propres terres ». Les élections turques de mai dernier ont en outre souligné la marginalisation continue subie par la communauté kurde, souvent associée au « terrorisme » par l’État turc. Cent ans après sa ratification, le traité de Lausanne n’en finit pas donc de générer des tensions au Moyen-Orient. 

Comme chaque année, une manifestation s’est tenue devant l'hôtel Château d'Ouchy, sur le lac Léman à Lausanne. Mais cette fois, le rassemblement de samedi était d’une ampleur inédite. Car le traité de Lausanne, contre lequel les protestataires exprimaient leur opposition, marque ses 100 ans ce 24 juillet 2023. Définissant les frontières au sein de l’espace anatolien,...

commentaires (2)

Tant que les kurdes, vivant dans un espace aux contours mal délimités, sont unanimes à vouloir une patrie, ils reflètent le principe de base d'une nation : une volonté commune d'avoir une patrie, idem les Palestiniens par exemple

Kettaneh Tarek

11 h 47, le 25 juillet 2023

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Commentaires (2)

  • Tant que les kurdes, vivant dans un espace aux contours mal délimités, sont unanimes à vouloir une patrie, ils reflètent le principe de base d'une nation : une volonté commune d'avoir une patrie, idem les Palestiniens par exemple

    Kettaneh Tarek

    11 h 47, le 25 juillet 2023

  • Assez de parler des droits kurdes à un état, ce serait demander par exemple aux texans le droit à un état indépendant ou à la Casamance du Sénégal de proclamer son indépendance. Il y’a des kurdes turcs comme il y’a des chiites turcs ou des arméniens turcs, comme il y’a des kurdes, des arméniens et des maronites libanais.

    Mohamed Melhem

    05 h 44, le 25 juillet 2023

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