Q comme Qatar. Et Q aussi comme quintette. Voilà qui tombe à point nommé puisque cet émirat du Golfe vient d’abriter une session du club des Cinq qui galère, depuis des mois, pour tenter de dénouer la crise libanaise.
Mais tout d’abord ce label de quintette : n’est-ce pas trop dire d’une formation internationale prestigieuse certes, mais dont les membres, censés se compléter comme les doigts de la main, n’ont visiblement pas fini d’accorder leurs violons ? Et puis ce même groupe n’est-il pas voué à se muer tôt ou tard en sextette et à inclure, d’une manière ou d’une autre, un virtuose iranien parfaitement capable de ruiner le concert, d’y semer la cacophonie s’il n’est pas fait appel à ses talents ?
À la différence d’un premier conclave tenu en février dernier à Paris, les Cinq (États-Unis, France, Égypte, Arabie saoudite et Qatar) ont cette fois publié un communiqué commun résumant leurs vues sur la question. On y trouve nombre d’éléments réconfortants, dont : l’injonction faite aux parlementaires libanais d’accomplir leur devoir constitutionnel en élisant, d’urgence et dans les règles, un président de la République apte à unifier le pays et à conduire les réformes exigées par le Fonds monétaire international ; la menace de sanctions contre ceux qui entravent le processus démocratique ; et le rétablissement de la justice, plus spécialement en ce qui concerne l’enquête sur la meurtrière explosion de 2020 au port de Beyrouth.
Ce qui brille toutefois par son absence dans ce texte est la classique, la routinière invitation aux Libanais de dialoguer entre eux. On pourrait voir dans cette omission la fin de la fugue consentie, ces derniers mois, au soliste français, lequel n’a pas récolté les salves de bravos qu’il en escomptait. En parrainant le candidat du Hezbollah, la France a ainsi essuyé un non catégorique du gros de la chrétienté politique libanaise. Et elle a eu autant de mal à promouvoir son autre dada, une conférence interlibanaise condamnée à l’échec, du moment que pour la milice pro-iranienne l’option Sleiman Frangié est non négociable. Pourrait néanmoins surnager, sous réserve d’élargissement, l’idée française d’un savant équilibre entre futurs président et Premier ministre. Le marché global serait alors plus global encore, puisqu’il s’étendrait à la nomination de plus d’un haut fonctionnaire appelé à jouer un rôle central dans les réformes projetées : précaution jugée nécessaire, au train où notre strip-teaseuse de république est en train de se dépouiller de ses dernières plumes d’autruche...
Par-delà les fiévreuses spéculations que suscite forcément la réunion de lundi à Doha, nous serions bien inspirés de réfléchir mûrement à ce paradoxe qui semble nous poursuivre comme une malédiction. Comme il se doit, le communiqué de Doha prend soin de souligner le respect que doivent les signataires à l’indépendance et à la souveraineté de notre pays. Pour délicate que soit cette attention, elle ne saurait faire illusion. Pour n’avoir su, au fil des décennies, se décarcasser tout seuls, sans l’aide de tous ces conseillers conjugaux protestant de leur vertueux bénévolat, les Libanais en sont encore à attendre – et même souvent à solliciter – les interférences étrangères. Or à peine l’étranger s’est-il penché sur leurs déboires domestiques, que les voilà à s’inquiéter, jusqu’à la paranoïa, des tortueux projets qu’on leur réserve et qui mijotent à feu doux.
Le temps n’est plus où l’État du Grand-Liban naissait d’une entente franco-britannique sur le devenir du Levant ex-ottoman et où le pacte national de 1943 scellait l’adhésion de ses fils en même temps que son accession à l’indépendance. Ni protectorat français ni rattachement à la Syrie : deux négations qui jamais ne feraient une nation, avertissait déjà, dans une impérissable formule, Georges Naccache. À combien de répudiations de ce genre (cinq, six ou plus) le Liban malade devra-t-il donc se plier maintenant que bonnes fées et sorcières potentielles font foule à son chevet ?
Issa GORAIEB