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La France libre en Méditerranée

La France libre, née du désastre de mai-juin 1940, ne pouvait se développer qu’à partir de l’empire colonial français. Les premiers ralliements en Afrique ont eu lieu à l’été 1940, mais c’est l’espace méditerranéen qui compte, à la fois en Afrique du Nord et au Levant, restés sous l’autorité du gouvernement de Vichy.

Au Levant, c’est la complicité de Vichy avec l’Allemagne nazie lors de la révolte irakienne du printemps 1941 qui contraint les Britanniques à intervenir, ce qui pose immédiatement la question de l’avenir des États du Levant.

Dans leurs visions d’eux-mêmes, les Britanniques considèrent que leurs relations avec les Arabes auraient été bien meilleures s’il n’y avait pas eu les Français. Ces derniers ont toujours la hantise des « complots » britanniques de la Première guerre mondiale et de l’après-guerre. Le représentant du général de Gaulle, le général Catroux a bien proclamé l’indépendance de la Syrie et du Liban, mais elle est conditionnée à la conclusion d’un traité d’alliance avec la France.

Le représentant britannique, le général Spears, un proche de Churchill, va mener une politique de confrontation ouverte avec la France, mais tout reste conditionné à l’évolution de la situation militaire en Afrique du Nord.

En tant qu’enjeu géopolitique, le Maghreb sous domination française occupe une position essentielle dans les premières années du conflit mondial. Les nationalistes arabes ralliés à l’Allemagne nazie espèrent obtenir d’elle une déclaration franche de reconnaissance de l’indépendance des pays arabes. Ils veulent éviter les ambiguïtés de la Première guerre mondiale. Mais l’Allemagne s’y refuse invoquant le risque de voir l’Afrique du Nord vichyste basculer dans ce cas vers la France libre. Les nationalistes arabes réfugiés à Berlin pratiquent une sorte de mimétisme du gaullisme en s’intitulant les « Arabes libres ». Quelques centaines de volontaires combattront dans l’armée allemande, mais c’est sans commune mesure avec les milliers, y compris volontaires, qui seront dans les rangs alliés. De même, les émissions en arabe de radio Berlin tenteront de copier les activités de la BBC, mais l’impact en sera très limité du fait du faible nombre de récepteurs radios du Golfe à l’Océan.

Progressivement, la France libre bascule vers l’Ouest. En Égypte, elle dispose du soutien d’une bonne partie de l’élite égyptienne, même si de Gaulle voit dans le Wafd de Nahhas Pacha converti à l’arabisme un élément du complot britannique contre les intérêts français.

Une brigade de Français libres s’illustre dans la bataille de Bir Hakeim tandis que Leclerc remonte vers la Méditerranée à partir du Tchad. À ce moment-là, la France libre devient vraiment la France combattante.

Le débarquement américain en Afrique du Nord en novembre 1942 et la victoire alliée à Al-Alamein créent une situation bien compliquée. L’armée d’Afrique bascule dans la guerre tout en conservant les structures politiques de Vichy. C’est « l’expédient Darlan », puis le duopole de Gaulle/Giraud. Ce dernier, médiocre politique mais excellent organisateur, opère le réarmement de l’armée française sur matériel américain et la levée en masse en Afrique du Nord. Grand manœuvrier, de Gaulle saura progressivement le dépouiller de toutes ses compétences.

Les tensions sont alors fortes entre les Français libres qui se battent depuis le début, et les « Africains » qui ont pour eux le nombre et la culture militaire. Elles vont s’estomper dans la campagne d’Italie où le général Juin réussit à établir une perspective commune.

En Algérie même, le général Catroux, devenu gouverneur général et chargé des « réformes musulmanes », travaille à rapprocher la condition des « musulmans » de celle des Français. Il se heurte aux réticences de de Gaulle à proclamer un « édit de Caracalla » qui instaurerait une totale égalité.

Après le débarquement de Provence, le 15 août 1944, la première armée française venue d’Afrique opère un amalgame croissant avec les Forces françaises de l’Intérieur créant définitivement une réalité nouvelle.

Juridiquement, la France libre a cessé d’exister au profit du rétablissement progressif de la légalité républicaine. Mais de Gaulle s’en tient à sa volonté de maintenir intact un Empire colonial qui a été l’atout essentiel de la France durant ces années terribles. Cela permet de comprendre sans avoir à l’excuser les terribles épisodes de violence au Liban en novembre 1943, et surtout à Sétif en Algérie en mai 1945 et en Syrie en juin 1945.

Au nom des impératifs de la guerre, la France libre s’est opposée aux différents mouvements nationaux arabes et musulmans. Son histoire est largement coloniale comme le montre la composition de ses forces. Seule la 2e DB de Leclerc est composée exclusivement d’« Européens », ce qui lui a permis de stationner en Grande-Bretagne. Vingt ans plus tard, de Gaulle saura identifier sa France aux peuples du Tiers Monde en voie d’affranchissement, mais ce sera une autre histoire.


Le présent article est une synthèse du colloque La France libre en Méditerranée (1940-1945). Ennemis, menaces, rivalités co-organisé les 8 et 9 juin 2023 au Collège de France par le CCMO, le Collège de France, le Service Historique de la Défense (SHD), le Centre d’Histoire de Sciences Po Paris, King’s College London et The Society for the History of War (SHoW).

La France libre, née du désastre de mai-juin 1940, ne pouvait se développer qu’à partir de l’empire colonial français. Les premiers ralliements en Afrique ont eu lieu à l’été 1940, mais c’est l’espace méditerranéen qui compte, à la fois en Afrique du Nord et au Levant, restés sous l’autorité du gouvernement de Vichy.Au Levant, c’est la complicité de Vichy...

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