Critiques littéraires Poésie

Délier les barbelés

Délier les barbelés

D.R.

Du deux cent-seizième ouvrage des Éditions Doucey se dégage une odeur entêtante, celle du quotidien lorsqu’on vit au pays et celle de la nostalgie lorsque, comme son auteure, on porte déjà dans son propre nom l’entre-deux de son appartenance et le déchirement de son double exil : Sofía Karámpali Farhat.

En cheminant dans la carte du tendre et de la rébellion du paratexte, on rencontre son père Mohamed « qui croit en un Liban libre et laïc » et à qui le poète « reprenant le flambeau » dédie son recueil ; et Lokman Slim qu’elle remercie pour lui « avoir montré où cueillir le Zaatar ».

On s’incline enfin devant l’exergue d’Etel Adnan avec qui elle partage la même complexité familiale qui est, par là-même, une terre riche, fertile de tous les dangers : « mais j’aime les fleurs pour leurs trahisons. »

Dès les deux premiers vers de son premier recueil dont la première édition est déjà épuisée à Paris, la jeune poète érige le mot face aux violences, oppose la poésie à la mort. Elle assigne à son destin la terrible mission de « délier les barbelés, tresser les parfums ».

« Je suis née sous les bombes

Je mourrai sous les mots »

Mais rien n’est macabre dans cette résistance. « nai, nai »… « eh, eh ». Le poète danse, caressée par la lune, mouillée par la pluie de la libération. Rien n’est lugubre puisque le poète, enfant, change les mots pour que « avion » devienne « oniva » ! De la guerre de 2006, on y va, le polisson joue avec la pluie des lettres que le ciel gronde, ce « troupeau sauvage [qui] s’acharne sur ma terre ». Comme un viol. Comme un adieu à l’enfance volée. Et les ponts derrière soi s’effondrent tandis que l’on devient orpheline, tandis que s’éloigne l’autre rive. Cette terre où les figues sont barbarie. Et qui « tourne le dos » aux enfants innocents dont le chant devient « cri nu ». Le chant mue et la colère gronde. Le poème halète comme une hache.

Et c’est l’exil. La maison sans clé. Sofía Karámpali Farhat a raison de rappeler que le vers arabe est une maison. Que le poète est ainsi fondé de pouvoir pour élever la poésie contre les murs. Ces mêmes lettres qui dansaient auparavant dans l’air de l’enfance se changent maintenant en « lettres chirurgicales ». L’enfant, à l’instar de Jeddo qui « taille un calame », s’empare des mots pour devenir résistant. « alias Zaatar ».

Et c’est l’exil à Paris où l’on porte des lumières pour se faire belle. Mais le « parfum des défunts » traîne toujours. Et c’est l’exil. Peut-être en Grèce. Est-ce que le « sésame ouvre-toi » du café amer suffit à la plénitude d’une « aube douce » ? Coudre. Broder. Il faut se mettre au fil et à l’aiguille de tous les maux. Et c’est l’exil du temps. Tic-tac. « Donne-moi ta haine, j’en ferai un poème. » L’exilée range dans sa poitrine des siècles de violences. L’exilée rêve d’une femme-État. Par fidélité à son père, elle rêve d’un pays à l’origine du monde. Le poète, universelle, ôte à Beyrouth son « collier de perles confessionnelles ».

« Baba », viens voir comment je suis devenue. Rebelle par fidélité. Parce que la vie est inachevée sans métaphore.

Zaatar de Sofía Karámpali Farhat, Éditions Bruno Doucey, 2023, 93 p.

Du deux cent-seizième ouvrage des Éditions Doucey se dégage une odeur entêtante, celle du quotidien lorsqu’on vit au pays et celle de la nostalgie lorsque, comme son auteure, on porte déjà dans son propre nom l’entre-deux de son appartenance et le déchirement de son double exil : Sofía Karámpali Farhat.En cheminant dans la carte du tendre et de la rébellion du...

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