La détente au Moyen-Orient, amorcée par l’accord de normalisation entre l’Arabie saoudite et l’Iran, ne semble pas impliquer la frontière entre le Liban et Israël, où le statu quo est de plus en plus remis en question. Au cours du week-end écoulé, Israël a de facto incorporé la partie libanaise du village de Ghajar. Située à la frontière entre le Liban et le Golan syrien occupé par l’État hébreu, cette bourgade alaouite traversée par la ligne bleue a été complètement coupée du Liban après que l’armée israélienne a érigé une clôture au nord de la localité. Une violation de la résolution 1701, qui s’est faite dans l’indifférence générale et qui peut difficilement être séparée de l’installation par le Hezbollah de deux tentes dans la région contestée des collines de Kfarchouba et des fermes de Chebaa. Alors que les deux parties jouent la surenchère, le risque d’un dérapage ne peut être écarté.
Le Hezbollah « résistant »
« Les développements à Chebaa et Ghajar sont liés », estime Joe Macaron, un analyste spécialisé sur le Proche-Orient. Selon cette lecture, les Israéliens auraient choisi de remettre en question la démarcation de la frontière terrestre pour faire pression sur le parti chiite. Et pour cause. À travers ses installations « militaires avancées » dans la région contestée des fermes de Chebaa, le parti de Hassan Nasrallah a envoyé un message stratégique important renouant avec son statut de « résistant ».
La région est en effet extrêmement symbolique, puisqu’elle permet théoriquement au Hezbollah de maintenir une certaine légitimité à son arsenal. Certes, le territoire occupé par l’État hébreu est considéré par la communauté internationale comme syrien, mais il est revendiqué par le Liban. Résultat, le Hezbollah affirme jusqu’à ce jour, 23 ans après le retrait israélien du Sud, qu’il ne peut déposer les armes tant qu’un bout de territoire libanais est toujours sous occupation. Cet acte de provocation, intervenu malgré la signature de l’accord maritime entre le Liban et Israël en octobre 2022, est loin d’être isolé. D’autant que le parti chiite n’a pas encore réussi à monnayer les concessions qu’il a faites dans le cadre de ces négociations. Ainsi, la région frontalière a connu plusieurs épisodes de tensions ces derniers mois. À commencer par les tirs de roquettes depuis le Liban-Sud en direction d’Israël en avril, en passant par l’exercice militaire grandeur nature organisé en mai et les manifestations d’habitants dans le village frontalier de Kfarchouba en juin. Jusqu’au dernier message musclé en date : la semaine dernière, les combattants du groupe chiite ont abattu un drone israélien, poussant l’État hébreu à concentrer ses chars à la frontière.
Face à cette surenchère, Israël est passé, lui aussi, à la provocation. Dimanche dernier, et parallèlement aux développements à Ghajar, des bulldozers de l’armée israélienne ont violé la barrière technique et la ligne bleue au niveau de la localité de Houla, tandis que ses soldats tiraient balles et grenades assourdissantes. La guerre psychologique bat également son plein. La presse israélienne et panarabe a rapporté en début de semaine que le Hezbollah a retiré l’une de ses installations militaires à Kfarchouba suite aux pressions exercées par la communauté internationale. Selon les informations de notre journal, la Force intérimaire des Nations unies pour le Liban (Finul) n’a pas pu s’assurer de ces fuites, l’emplacement des tentes ne pouvant pas être observé depuis les positions des Casques bleus au Liban. Contacté, Mohammad Afif, porte-parole du parti chiite, dément, lui, catégoriquement. « Les installations sont toujours à leur place et nous comptons même en augmenter le nombre selon les besoins de la résistance », affirme-t-il.
« Test crucial »
La situation risque-t-elle donc de s’enflammer ? « Depuis l’année dernière, le Hezbollah a une politique plus péremptoire à la frontière sud », suppute Nicholas Blanford, chercheur à l’Atlantic Council et spécialiste de la formation pro-iranienne. « J’estime que le mouvement veut pousser encore plus loin, notamment en vue de ce qui se passe actuellement dans la région », ajoute-t-il. D’un côté, Israël fait preuve d’une violence inédite envers les Palestiniens dans le cadre de la « vaste opération antiterroriste » qu’il mène depuis lundi dans la ville de Jénine, en Cisjordanie. Ce raid a provoqué la mort d’une dizaine de civils et est décrié à l’unisson par la communauté internationale. De l’autre, l’État hébreu multiplie les attaques en Syrie contre des cibles de l’Iran et de ses obligés. Dernière en date, la frappe, dans la nuit de samedi à dimanche, sur la ville de Homs, qui aurait causé la mort de Hassan Suhani, un officier influent des gardiens de la révolution iranienne, responsable du développement des drones. Cette escalade intervient à l’heure où le Hezbollah a d’ores et déjà consacré l’équation de « l’unité des fronts » entre tous les acteurs de « l’axe de la résistance », des pasdaran aux factions palestiniennes. « Dans ce contexte, la pression diplomatique exercée par la communauté internationale sur le parti de Hassan Nasrallah risque de ne pas porter ses fruits, analyse-t-il. Cela pourrait conduire à un accrochage. » Un point de vue partagé par Joe Macaron. « Même si, dans l’absolu, Israël et le Hezbollah sont pour le moment capables de contenir la situation, on assiste aujourd’hui à un test crucial pour le statu quo à la frontière », estime-t-il. Le risque d’un embrasement ne peut donc pas être complètement écarté. « Si une confrontation a lieu, elle sera sûrement contenue dans la mesure du possible, aucune des deux parties n’ayant intérêt à provoquer une grande guerre », nuance M. Blanford. D’autant que, dans le contexte de détente actuel, l’Iran pourrait ne pas avoir d’appétit pour une grande confrontation régionale.
Reste que ces développements interviennent à l’approche de la fin du mandat de la Finul qui doit être renouvelé par un vote au Conseil de sécurité de l’ONU en août. Le Liban essaye de retirer du texte une clause introduite l’année dernière qui pourrait permettre aux soldats de la paix de patrouiller sans obtenir une autorisation préalable de l’armée libanaise, tandis qu’Israël et les États-Unis souhaitent renforcer les prérogatives et l’autonomie des Casques bleus. Dans ce bras de fer, tous les coups sont permis, y compris – et surtout – le bluff.
commentaires (16)
A-HU-RISSANT le commentaire qui prétend que le Hezbollah est en train de sauver ce pays !
Citoyen Lambda
16 h 29, le 07 juillet 2023