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Sport - Football - Liban

De gré ou de force, les supporters de football désertent les tribunes

En nette diminution depuis la pandémie de coronavirus, la fréquentation des stades de football devrait se tarir à nouveau ces prochaines semaines à la suite de plusieurs décisions de la fédération. Outre la hausse du prix des places, le huis clos décrété après les événements de Kahalé a définitivement gâché la reprise de la saison pour les supporters, dont une large partie appelle désormais au boycott des tribunes.

De gré ou de force, les supporters de football désertent les tribunes

Des supporters de Nejmeh dans les tribunes du stade Fouad Chehab de Jounieh lors du derby contre Ansar, en mars 2023. Photo G.B.

À l'heure où les championnats du monde entier reprennent leurs droits, le Liban se place, une fois n'est pas coutume, à l'ombre de l'enthousiasme suscité par la reprise de la saison sous le soleil estival.

Au surlendemain de l'affrontement de Kahalé, dans le caza de Aley, qui a coûté la vie à un résident du village et à un partisan du Hezbollah, la Fédération libanaise de football a annoncé dans un communiqué, publié vendredi 11 août, la fermeture des tribunes des différents stades du pays lors de la prochaine journée de championnat de première et de deuxième division.

Une décision prise « par souci de l'intérêt général et en vertu des conditions actuelles », précise le communiqué.


« Nous avons pris cette mesure à la demande des forces de sécurité », affirme Wael Chehayeb, membre du comité exécutif de la fédération, qui réfute toute allégation de « mesure préventive » motivée par la tenue du derby entre Nejmeh et Ahed programmé ce week-end. Une des principales affiches du championnat libanais, connue pour la forte rivalité entre ses supporters, majoritairement issus des quartiers chiites dans la banlieue de Beyrouth.

« Pour l'instant, la fermeture des stades n'est prévue que pour cette journée de championnat. (...) Nous espérons que la situation se calmera le plus rapidement possible et que les supporters pourront bientôt revenir en tribunes », ajoute-t-il.

Bien fondée ou non, cette décision revêt en tout cas un air de déjà-vu pour les fans de football, habitués à ce que l'accès aux tribunes leur soit restreint dès qu'un incident sécuritaire s'invite dans l'actualité du pays. « Cette décision n'est pas étonnante. Il y a toujours un bon prétexte pour fermer les tribunes », estime Marwan*, membre du principal groupe de supporters de Nejmeh, les Ultras supernovas.


Des tickets en nette augmentation

La gronde des supporters est d'autant plus forte que ces matchs à huis clos décrétés par les autorités viennent s'ajouter à une autre mesure, hautement impopulaire, entérinée un mois auparavant par la fédération. Maintenu à 50 000 livres libanaises la saison dernière, le prix du ticket d'entrée pour une rencontre de première ou de deuxième division a été rehaussé à 200 000 L.L (soit un peu plus de 2 dollars).

Entrée en vigueur lors de la première journée de la saison, qui s'est tenue le week-end du 5 août, cette augmentation grimpe à 300 000 L.L. pour les places de « première catégorie » et jusqu'à 5 000 000 de L.L pour les places dites VIP. « Tous les coûts ont augmenté à cause de la crise, notamment la location des stades. Et il faut continuer de pouvoir payer les salaires des agents de sécurité, du corps arbitral ou encore des délégués de la fédération qui supervisent les rencontres de championnat », poursuit Wael Chehayeb.

Sauf que ces nouveaux tarifs, qui peuvent s'apparenter à un simple ajustement par rapport à la dévaluation de la livre libanaise (dont le taux de change s'est stabilisé aux alentours de 90 000 L.L. pour un dollar sur le marché noir), pourront être accompagnés de hausses complémentaires qui s'appliqueront à la discrétion des clubs.

Ainsi les supporters de Nejmeh ont-ils découvert dans un poste, orné du hashtag "#SoutiensTonClub, publié sur les réseaux sociaux du club qu'ils ne devront non plus débourser 200 000 L.L pour se procurer un ticket, mais 500 000 L.L. Une mauvaise surprise qui n'a pas tardé à provoquer une vague d'indignation qui s'est rapidement muée en appels au boycott des prochaines rencontres.


Scènes de liesse entre joueurs et supporters de Nejmeh après la victoire 3-2 contre Ansar lors de l'avat-dernière journée de la saison 2022-2023, au stade Fouad Chehab de Jounieh, en mars dernier. Photo G.B.

« On marche sur la tête, ironise Marwan. Si le match entre Nejmeh et Ahed avait eu lieu, une partie du public aurait dû payer son billet 200 000 L.L et l'autre 500 000 L.L pour des places similaires dans le même stade. Où est la logique ? (...) Déjà que de moins en moins de monde se déplace pour voir les matchs depuis la  fermeture des stades à Beyrouth, laissés à l'abandon depuis l'époque du coronavirus, c'est à croire qu'ils veulent nous inciter à rester chez nous. »

Loin des tribunes depuis maintenant trois ans, les Ultras supernovas ne sont pas près de remettre un pied dans un stade cette saison, et encore moins d'y redéployer des « tifos » et des banderoles comme ils en avaient pris l'habitude à l'occasion des grandes affiches au stade Camille Chamoun, qui pouvait accueillir jusqu'à 50 000 spectateurs.

Devenu « un champ de patates » à en croire les clichés de l'état actuel de la pelouse, l'écrin de la Cité sportive a été troqué par le bien plus modeste stade Fouad Chéhab, à Jounieh, situé à une vingtaine de minutes environ de la capitale, où est disputée la quasi-totalité des rencontres de championnat.


« Aller au stade est devenu hors de prix pour le commun des supporters »

Et tandis que l'éloignement et la faible capacité de ce stade de substitution (environ 5 000 places) étiolaient déjà grandement la volonté de nombreux fans de se rendre au stade, cette multiplication par dix du prix du billet pourrait bien ressembler au dernier clou planté sur le cercueil des chaudes ambiances qui accompagnaient les matchs de Nejmeh par le passé. Un comble pour un club qui dispose, et de loin, de la plus grande base de fans au Liban.

Tout cela a en tout cas mis un terme définitif aux aspirations de Yara, 24 ans, fidèle supportrice de Nejmeh depuis l'enfance, qui a, elle aussi, décidé de passer une nouvelle saison loin des stades : « On était déjà obligé d'inventer des stratagèmes pour obtenir des places, surtout depuis que la fédération et les municipalités ont durci les jauges de spectateur, relate-t-elle. J'ai l'impression que certains dirigeants vivent dans un monde parallèle, car ils ne comprennent pas qu'aller au stade est devenu hors de prix pour le commun des supporters. Avec le coût des transports, ça représentera pas moins de 10$ par personne. Qui peut se permettre d'aller voir un match en famille avec de tels prix aujourd'hui ? Et puis, comment justifient-ils une telle décision ? Si encore, ils rénovaient les terrains, réhabilitaient les stades, cela pourrait s'entendre. Mais jusqu'à maintenant, il n'y a rien. »

Majoritairement issus des quartiers populaires du sud et de l'ouest de Beyrouth, les supporters des principaux clubs de la capitale bénéficiaient jusqu'ici du prix avantageux des tickets (environ 50 centimes) pour continuer à suivre leurs clubs favoris malgré l'inflation latente qui réduit petit à petit le pouvoir d'achat des plus précaires.


Deux jeunes supporters de Nejmeh agitant un drapeau à l'effigie du club lors du derby contre Ansar, en mars dernier au stade Fouad Chehab de Jounieh. Photo G.B.

Une chose devenue quasi impossible pour Ahmad, 35 ans, amoureux d'Ansar. Chauffeur deux roues sur l'application Bolt la journée et employé dans une chaîne de restauration en soirée, il ne se fait plus guère d'illusion : « Avec des billets à 500 000 L.L., je ne pourrai plus me permettre d'amener mes deux fils avec moi au stade. L'aller-retour entre Tariq el-Jdidé (quartier où réside Ahmad et sa famille, NDLR) et Jounieh est déjà onéreux comme ça. Je me contenterai peut-être d'un ou deux matchs dans l'année, mais je ne sais pas si j'en aurai envie dans ces conditions. »

Preuve que la coupe est pleine chez de trop nombreux supporters, qui se sentent privés du seul et unique « exutoire » dont ils disposent. À huis clos ou pas, ce début de saison s'annonce en tout cas bien terne. Heureusement, l'attention de tout le Liban se tournera bientôt vers un terrain où l'herbe est un peu plus verte : celui du Mondial de basket qui débute dans un peu moins de deux semaines. 
À l'heure où les championnats du monde entier reprennent leurs droits, le Liban se place, une fois n'est pas coutume, à l'ombre de l'enthousiasme suscité par la reprise de la saison sous le soleil estival.Au surlendemain de l'affrontement de Kahalé, dans le caza de Aley, qui a coûté la vie à un résident du village et à un partisan du Hezbollah, la Fédération libanaise de football a...

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