
Le chef de l’armée, Joseph Aoun, et le Premier ministre sortant, Nagib Mikati, au Sérail, le 22 juin 2023. Photo fournie par le bureau de presse du chef du gouvernement
À six mois du départ à la retraite du commandant en chef de l’armée Joseph Aoun, prévu en janvier 2024, le Premier ministre sortant Nagib Mikati ne semble plus pressé de pourvoir aux postes vacants au sein du Conseil militaire. Il semble oublier que le poste de chef d’état-major (druze) – chargé de remplir les missions du numéro un de la troupe par intérim – est vacant depuis décembre dernier. Il y a aussi le poste d’inspecteur général (grec-orthodoxe) et celui de directeur général de l’administration au sein de l’armée (chiite).
« Il n’y a pas de nominations dans un avenir proche. Nous avons encore plus de six mois pour résoudre le problème. Il est donc inutile de se lancer dans un bras de fer inopportun », affirme M. Mikati dans une déclaration à L’Orient-Le Jour. Le Premier ministre veut clairement éviter une confrontation politique avec les partis chrétiens (en particulier le Courant patriotique libre qui boude les séances gouvernementales depuis le début de la vacance présidentielle) qui voient d’un mauvais œil sa façon de gérer le pays sans un président de la République. M. Mikati assure aussi que le Conseil des ministres ne se réunira pas prochainement, la priorité étant à la finalisation du projet de budget 2023, à la suite notamment des hausses des salaires des fonctionnaires votées lors de la séance législative du 19 juin dernier.Cette nouvelle prise de position intervient moins de deux semaines après le dernier Conseil des ministres qui avait débouché sur des décisions qui dépassent les compétences d’un cabinet qui ne peut qu’expédier les affaires courantes.
Parmi ces décisions, il y avait notamment le train d’avancement des officiers des promotions 1994 (la promotion Michel Aoun), 1995 et 1996. « Rien n’empêche le gouvernement » d’adopter des avancements et d’approuver des nominations, avait alors justifié M. Mikati à L’OLJ. Pourquoi semble-t-il donc faire marche arrière aujourd’hui ? Personne n’était en mesure de répondre à cette question lundi. Mais il est très probable que les soutiens traditionnels de M. Mikati, à commencer par le tandem Amal-Hezbollah, aient contribué à freiner l’enthousiasme du Premier ministre. D’autant que ce tandem a donné son feu vert à ce que le premier vice-gouverneur de la banque centrale, Wassim Mansouri, assure l’intérim à la tête de la BDL, pour éviter la nomination d’un successeur à Riad Salamé (dont le mandat arrive à terme fin juillet). M. Mikati est donc aujourd’hui en quête d’une couverture politique large pour les nominations. Et c’est pour cette raison qu’il entend mener des contacts avec le ministre sortant de la Défense, Maurice Slim (gravitant dans l’orbite du CPL), et avec son collègue des Finances, Youssef Khalil (proche du président de la Chambre Nabih Berry), confie Ali Darwiche, ancien député de Tripoli proche du chef du gouvernement.
La présidentielle encore et toujours
Le Premier ministre compte donc mettre à profit un temps mort qui ne joue pas en faveur de la troupe. « Nous sommes pressés pour finaliser les nominations, qui sont toujours en gestation », déplore une source proche de Yarzé, comme pour faire comprendre que le chef de l’armée a fait son devoir sur ce plan. Une source militaire rappelle d’ailleurs les récents propos de Joseph Aoun qui a affirmé que seul le chef d’état-major devrait prendre en charge la troupe (après le départ à la retraite du commandant en chef). « Si le général Aoun dit cela, c’est qu’il a déjà finalisé les propositions de noms », souligne la source militaire précitée, estimant que le dossier serait actuellement bloqué pour des considérations liées à la bataille présidentielle.
D’autant que le numéro un de la troupe est un des plus sérieux présidentiables, une option cependant catégoriquement rejetée par le chef du CPL, Gebran Bassil. Faut-il en déduire que Maurice Slim prend le dossier en otage, sachant que ses rapports avec Joseph Aoun ne sont pas au beau fixe ? Les milieux du ministère de la Défense ne partagent pas cette lecture. Ils se contentent de dire qu’on a encore six mois pour régler ce dossier. « D’autant plus qu’un gouvernement sortant ne peut pas pourvoir à des postes vacants », indique une source proche de M. Slim. « Sinon, le cabinet aurait nommé un directeur de la Sûreté générale (avec la fin, début mars, du mandat de Abbas Ibrahim, à qui Élias Baïssari a succédé par intérim), ou encore un gouverneur de la BDL », poursuit la source.
La banque centrale et l’armée ne sont pas les seules institutions à subir des secousses liées à des nominations. Il y a aussi les Forces de sécurité intérieure dont le chef, Imad Osman, part à la retraite, lui aussi, en janvier 2024. Selon les informations de L’OLJ, Imad Osman a nommé le général Ali Skaïni (chiite), premier vice-directeur de la gendarmerie. Un poste qui devrait lui paver la voie de la succession du général Marwan Sleilati (chrétien), actuellement en poste, mais qui part à la retraite dans deux mois. Une démarche qui fait craindre un transfert du poste d’une communauté à une autre dans un contexte politico-confessionnel tendu.
Mr. Mikati est le jouet du tandem chiite
18 h 17, le 04 juillet 2023