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Moyen-Orient - ÉCLAIRAGE

Les Moudjahidines, monnaie d’échange entre l’Occident et Téhéran ?

Le groupe d'opposition en exil, bête noire du régime, a subi une perquisition en Albanie et s’est vu, pendant un temps, interdit de manifester à Paris. Une répression émise par l’étranger, sur fond de négociations accrues avec la République islamique.

Les Moudjahidines, monnaie d’échange entre l’Occident et Téhéran ?

Des membres de l'Organisation des Moudjahidine du peuple d'Iran (OMPI) au camp d'Achraf-3 en Albanie, le 23 juin 2022. Gent Shkullaku/AFP via Getty Images

Venus de Pologne, d’Allemagne ou encore de Scandinavie, des milliers d’opposants iraniens se sont réunis dans le centre de Paris samedi dernier. Tous ont crié « Libérez l’Iran », s’opposant au régime islamique de Téhéran. Tous ont surtout répondu présents à l’appel du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), vitrine de l'Organisation des Moudjahidine du peuple (OMPI). Pourtant, ce rassemblement n’aurait pas dû avoir lieu. Les autorités françaises l’avaient initialement interdit, évoquant des « risques de troubles à l’ordre public ». Une décision qui avait provoqué l’ire du groupe d’opposition à la République islamique, accusant la France de « céder aux pressions du gouvernement iranien ». La veille du rassemblement, la justice française a finalement tranché et autorisé la manifestation.

Tandis que 3 500 personnes se sont déplacées à Paris pour exprimer leur colère contre la répression de la République islamique, le groupe d’opposition, considéré comme « terroriste » par Téhéran, organisait en région parisienne une réunion à laquelle ont participé l’ancienne Première ministre britannique Liz Truss ou encore l’ancien vice-président américain Mike Pence. Les ex-leaders politiques ont dénoncé conjointement « l’apaisement » de l’Occident envers la République islamique, faisant implicitement référence à la décision des autorités françaises d'interdire initialement le rassemblement des Moudjahidine du peuple, ainsi que la perquisition ayant eu lieu quelques jours auparavant au siège de l’organisation en Albanie.

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Ce 20 juin, à la suite d’une enquête albanaise, une perquisition soutenue par le ministère de l’Intérieur du pays s'est déroulée au siège de l’organisation, réfugiée en Albanie depuis 2016 dans le camp Achraf 3, situé à quelques kilomètres de Tirana, la capitale. Depuis, le Premier ministre albanais, Edi Rama, a demandé aux membres de l’organisation qui souhaitent se battre contre le régime iranien de quitter le pays.

Bête noire de Téhéran
Si cette récente répression peut être vue comme favorable à Téhéran, c’est parce que l’OMPI est la bête noire du régime islamique. Se revendiquant dès sa création en 1965 « groupe révolutionnaire de gauche » dans le sillage des mouvements cubain et algérien, le « Mojahedin-e Khalq » entend d'abord mener une lutte armée contre le régime monarchique de Mohammad Reza Pahlavi, dernier chah d’Iran. Mais à la suite de la révolution islamique de 1979, à laquelle ils ont participé, les Moudjahidine perdent la bataille pour le pouvoir. Ils deviennent alors le premier groupe d’opposition au régime, déclenchant un soulèvement armé contre le gouvernement de l’ayatollah Ruhollah Khomeyni, commettant des attentats et des assassinats contre des officiers de haut rang iraniens. L’OMPI est interdite par la République islamique. Contraint à s’exiler en Irak sous la protection de Saddam Hussein, le groupe est accusé par le régime de la mort de 17 000 Iraniens, dont un Premier ministre et un haut responsable religieux.

Ce ralliement aux côtés de Saddam Hussein provoque une dissociation très forte entre l’OMPI et les autres opposants à la République islamique. L’organisation est loin de faire l’unanimité en Iran, comme au sein de la diaspora.

Au cours des années 2010, l'ONU et Washington demandent à l’Albanie d’accueillir le groupe d’opposition, à condition de le désarmer. En 2016, les Moudjahidine du peuple se retrouvent alors réfugiés dans un camp, Achraf 3, où ils fondent une réelle ville dans la ville. « Personne ne sait exactement ce qui se passe à l’intérieur. Entre les murs de leur camp, se cache un pays mystérieux, avec aujourd'hui environ 3 000 habitants, qui a son propre président, sa propre télévision nationale, ses propres lois. Sous certains aspects, il est perçu comme une version de la Corée du Nord dans le contexte politique iranien », décrit Amir Kianpour, docteur en philosophie à l’Université de Paris 8 et spécialiste de l’Iran.

On estime que 3 000 personnes se trouvent dans la base des Moudjahidine en Albanie. Gent Shkullaku/AFP

Malgré cette délocalisation, les Moudjahidine du peuple, qui se disent ni pour « le régime des mollahs » ni pour le « régime du chah », apparaissent comme la force d’opposition à Téhéran la mieux organisée, dotée d'une capacité opérationnelle sur le sol iranien. Le groupe n’a jamais cessé sa guerre contre la République islamique, à commencer par les cyberattaques. Il se vante même d’avoir révélé en 2002 l’existence du programme nucléaire du régime iranien.

Un cadeau à la République islamique ?
Faut-il donc voir dans la récente répression de l’Europe contre l’OMPI un alignement de l’Occident sur l’agenda politique interne de l’Iran ? C’est en tout cas ce qu’avance Maryam Radjavi, à la tête du groupe d’opposition iranien, pour qui les incidents seraient le symptôme d’une « politique d'apaisement » de l’Occident à la demande de Téhéran. Ces deux événements interviennent en effet alors que la République islamique et une partie de l’Union européenne semblent en voie d’adoucir leurs relations et qu’un mini-accord américano-iranien sur le nucléaire serait en négociation. Signe que l’heure est à l’apaisement : ces dernières semaines, deux prisonniers français ont été libérés des prisons iraniennes ainsi qu’un humanitaire belge, échangé à la demande de l’Iran contre la libération d’un diplomate iranien, détenu en Belgique pour son implication dans un projet d’attentat contre les Moudjahidine.

« L’Union européenne a adopté une politique de concession avec le régime des mollahs en Iran. Cette nouvelle vague de répression contre les activités de l'OMPI s’inscrit dans cette politique. L’Europe préfère traiter avec le régime », commente Taimoor Aliassi, représentant à l’ONU de l’Association pour les droits humains au Kurdistan d’Iran. Un argument que semble confirmer la réaction des autorités iraniennes, qui ont salué l’opération en Albanie. « Nous espérons que le gouvernement albanais réparera l’erreur qu'il a commise en accueillant cette secte terroriste », a publié sur son compte Twitter Nasser Kanani, porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, peu de temps après le raid.

Si Tirana a pourtant rompu ses liens avec Téhéran depuis septembre 2022 après l’avoir accusée d’être à l’origine d’une cyberattaque majeure à son encontre – ce que l’Iran nie –, cette perquisition a été perçue par certains comme un cadeau fait à la République islamique. Le Premier ministre albanais, Edi Rama, s’est d’ailleurs montré ferme sur le sujet. « L'Albanie n'a pas l'intention d'être en guerre avec le régime iranien. Bien sûr, ils (les membres de l’OMPI) ont parfaitement le droit de se battre pour leur liberté, mais pour ce faire, ils doivent quitter l'Albanie », a-t-il déclaré vendredi au journal allemand Der Spiegel. « Tout cela indique qu’un accord a été conclu entre l’Iran et l’Occident, dont les termes visent à contenir les forces d’opposition de la République islamique ainsi que les forces par procuration de l’Iran dans la région », indique Amir Kianpour.

Des leviers de pression
Une position nuancée par Abdolrasool Divsallar, professeur à l’Université catholique du Sacré-Cœur de Milan (Italie), pour qui l’Europe et l’Occident n’essaient pas de s'aligner sur la politique interne de l’Iran. « La principale motivation de l’Europe derrière ces événements est de poursuivre la désescalade avec la République islamique. L’Europe essaie de créer des leviers d’action et de discussions avec Téhéran pour espérer un ajustement de sa politique sur le nucléaire et la guerre en Ukraine notamment », poursuit le spécialiste de l’Iran.

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Ce ne serait pas la première fois que les gouvernements occidentaux utilisent les groupes d’opposition exilés comme des leviers de pression dans leurs relations avec le pouvoir iranien. En 2003, alors que l’Iran est dirigé par le réformiste Mohammad Khatami et se rapproche des États européens, plusieurs membres de l’OMPI, dont Maryam Radjavi, avaient été arrêtés en France, soupçonnés d'activités terroristes.

À l’inverse, les Américains, qui avaient inscrit les Moudjahidine dans la liste des organisations terroristes en 1997, les en ont retirés en 2012. Plusieurs personnalités américaines, à commencer par Mike Pence, ou encore l’avocat personnel de Donald Trump, Rudy Giuliani, ont même soutenu ouvertement l’OMPI, attisant les soupçons sur une possible rétribution financière qu’ils auraient obtenue pour faire sa promotion. L’Iran avait l’an dernier placé sur une liste noire des dizaines de hauts responsables américains, bien que Washington ait pris aujourd’hui ses distances avec le groupe d’opposition iranien, qui suscite le rejet de ses propres compatriotes au sein de l’opposition. D’anciens membres du groupe évoquent une organisation fonctionnant comme une secte, imposant des restrictions sévères à ses membres et les soumettant à des abus physiques et mentaux. « Nombreux sont ceux qui les considèrent comme une autre version de la République islamique », décrypte par ailleurs le chercheur Amir Kianpour, en référence à « leur caractère génétiquement islamique » et « au culte de la personnalité entourant les dirigeants de l’organisation ».

Une instrumentalisation de l’OMPI à des fins diplomatiques dont l’Arabie saoudite pourrait également se servir. En 2019 déjà, Barbara Slavin, directrice de Future of Iran Initiative à l’Atlantic Council, un think tank américain, affirmait à al-Jazeera « que ce sont les Saoudiens et les Émiratis qui financent l’OMPI pour contrarier l’Iran ». Si l’organisation a toujours nié ces allégations, la présence cette année-là de l’ancien directeur des renseignements saoudiens, Turki al-Fayçal, à une conférence de l’OMPI où il a même délivré un discours, a été très remarquée. Près de cent jours après la reprise des discussions diplomatiques entre Téhéran et Riyad, l’Arabie saoudite reverra-t-elle, elle aussi, sa position à l’égard du groupe d’opposition à la République islamique ?

Venus de Pologne, d’Allemagne ou encore de Scandinavie, des milliers d’opposants iraniens se sont réunis dans le centre de Paris samedi dernier. Tous ont crié « Libérez l’Iran », s’opposant au régime islamique de Téhéran. Tous ont surtout répondu présents à l’appel du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), vitrine de l'Organisation des Moudjahidine...

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La France de Macron c’est la France soumise

Bersuder Jean-Louis

17 h 03, le 04 juillet 2023

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  • La France de Macron c’est la France soumise

    Bersuder Jean-Louis

    17 h 03, le 04 juillet 2023

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