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Culture - Entretien

Un podcast pour (re)découvrir la musique arabe

Hajer Ben Boubaker, co-lauréate du prix Unesco-Sharjah 2023 pour la culture arabe et créatrice du podcast « Vintage Arab », revient pour L'Orient-Le Jour sur son parcours et sa passion pour la musique.

Un podcast pour (re)découvrir la musique arabe

Hajer Ben Boubaker, colauréate du prix Unesco-Sharjah 2023 en reconnaissance à sa “contribution importante à la culture arabe”. Photo DR

L’historienne, chercheuse indépendante et réalisatrice franco-tunisienne Hajer Ben Boubaker a lancé en 2018 un podcast – « Vintage Arab » – consacré au patrimoine musical arabe dans toute sa diversité. Destinée en premier lieu à une diaspora en recherche de (re)connexions avec cette part de son héritage culturel, l’émission permet de (re)découvrir grands classiques et perles méconnues du Maghreb, du Proche-Orient ou du Golfe tout en portant son attention sur les musiques arabes produites en France, notamment dans le contexte de l’exil. La trentenaire revient dans « L’Orient-Le Jour » sur son parcours, sa passion pour la musique et les liens que celle-ci entretient avec la politique, d’une rive à l’autre de la Méditerranée.


Quelle est la genèse du projet « Vintage Arab » et aviez-vous dès le départ un public cible en tête  ?

J’avais l’impression que les musiques arabes étaient présentées en France de manière caricaturale avec, notamment, un traitement limité à quelques figures phares. Je voulais proposer autre chose, un projet qui prenne aussi en compte le contexte historique de production. Et puis je me suis bornée à certaines époques, celles qui me plaisent le plus. D’où le nom Vintage.

Je m’adresse d’abord à la diaspora, même si le podcast reste accessible aux personnes qui n’ont aucun lien avec cette culture. Je remarquais autour de moi qu’il y avait beaucoup de gens qui recherchaient des infos sur ces musiques, d’autres qui ressentaient qu’elles les accompagnaient, même si ils ne parlaient pas la langue. Dans tous les cas, je notais un besoin de ne pas se sentir dépossédé de ce patrimoine, de ne pas le laisser être réduit à des extraits que l’on remixe avec de l’électro quand c’est à la mode. Que, pour certains, il avait un sens beaucoup plus profond.

Quelle a été votre porte d’entrée dans cet univers musical ?

Ma mère, qui a grandi dans les années 1970 en Tunisie, à une époque où la musique égyptienne accaparait une grande partie de l’espace culturel arabe. Et moi, j’ai grandi en France avec les comédies musicales égyptiennes, même si mes références sont aussi tunisiennes de par mes origines. On écoutait en outre beaucoup d’artistes libanais comme Feyrouz. Mais petit à petit, je me suis aussi forgé mon goût personnel, indépendamment de celui de mes parents. Grâce à la parabole et au satellite, je ne regardais que la télé arabe ou presque, ce qui permettait une mise à jour régulière.

Pourquoi avoir inauguré votre podcast avec un épisode consacré à l’icône libanaise Ziad Rahbani  ?

C’est justement parce qu’il a été assez important dans mon parcours. Ma mère ne l’écoutait pas beaucoup : quelques chansons, pas plus. Il s’avère aussi que je me suis assez rapidement politisée « à gauche » et qu’en Tunisie, où je me rendais très souvent, les gens de gauche écoutaient Ziad Rahbani. Ce sont des portes d’entrée, parmi d’autres, qui m’ont ouverte à d’autres univers que ceux de mes parents. Eux pouvaient en effet être parfois assez conservateurs dans leurs goûts.

Longtemps, il y a eu le sentiment que les musiques du Levant étaient mieux connues au Maghreb que l’inverse. Partagez-vous cette impression  ?

Le Caire a toujours été le pôle musical principal pour le monde arabe, même si le Liban – en tout cas Feyrouz – a pu tirer son épingle du jeu en proposant une forme d’indépendance par rapport à l’Égypte. Mais sinon, tout passait par Le Caire. Cela valait pour le Maghreb, certes, mais aussi pour les pays du Golfe. La chanteuse marocaine Samira Saïd s’est très bien exportée dans la région parce qu’elle chantait en égyptien, Nancy Ajram aussi à ses débuts. Il s’agit de se plier au plus gros marché, là où se concentrent les plus gros médias de masse. D’où le renversement que l’on commence à observer actuellement vers les pays du Golfe : de plus en plus d’artistes chantent en khaliji.

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Il n’en demeure pas moins que le genre musical qui a le plus fonctionné à l’international est le raï algérien. Cela s’explique aussi par le fait que Khaled avait signé chez Universal en France. L’internationalisation du raï est passée par l’Europe. Mais elle est tributaire de ce que l’on a appelé la « world music », quand on a cantonné plusieurs genres musicaux non européens à une espèce de vague qui a marqué les années 1980 et 1990 et qui, dans le cas de la France, s’arrête brutalement avec le 11-Septembre, dans un contexte de recrudescence des préjugés contre les cultures arabes.

Vous avez remporté en 2022 le prix découverte de la SCAM pour votre documentaire radiophonique, « Une histoire du Mouvement des travailleurs arabes » (MTA, première organisation antiraciste autonome fondée en 1972). On sent aussi chez vous une volonté de raconter l’histoire des migrations à travers la musique…

Quand j’étudiais la musique dans les pays arabes, ce qui m’intéressait, c’était d’examiner le croisement avec la politique et la situation sociale du pays. En France, c’est finalement un peu pareil, sauf que j’essaye de voir quand la culture rencontre la mobilisation politique et quand la musique peut intervenir. Dans le cas du MTA, je suis tombée sur une cassette d’archives d’une émission en arabe – Radio Assifa (1975) – faite par des militants qui défendent à la fois les droits des ouvriers maghrébins en France et ceux des Palestiniens. Ce sont eux qui avaient créé les premiers mouvements de soutien aux Palestiniens dans le pays, à travers les comités Palestine (créés en réaction au Septembre noir et comptant parmi les premières organisations de solidarité avec les Palestiniens, NDLR). Dans la cassette précitée, on entend le chanteur égyptien contestataire Cheikh Imam. Je me suis aperçue qu’il avait d’abord été diffusé en France à travers ce médium, par des militants arabes. C’est une diffusion qui s’opère à travers des actes politiques.

Il existe en outre tout un pan de musique maghrébine – ce que l’on appelle « la chanson d’el-ghorba » (« l’exil ») – qui porte sur les conditions de vie des ouvriers maghrébins. De nombreux artistes algériens, mais aussi marocains et, dans une moindre mesure, tunisiens ont proposé des chansons sur leur vécu qui ont été enregistrées dans des labels. En 1947, Ahmad Hachlaf, un producteur algérien, prend la direction du catalogue arabe de Pathé et commence, entre autres, à enregistrer des ouvriers qui chantent dans des cafés. Dans le même temps, c’est lui qui diffuse Oum Kalsoum en France.

Vous évoquez plus haut la place de la cause palestinienne dans le MTA. Quelle centralité a-t-elle eue dans votre parcours personnel d’une part, et dans la musique arabe en France de l’autre  ?

J’ai été élevée là-dedans. Mon intérêt pour la Palestine passe beaucoup par la littérature. Mais la musique palestinienne, elle, s’exporte très peu. On écoute beaucoup de chansons autour de la Palestine – j’ai grandi avec la musique de Marcel Khalifé –, on reprend les textes, mais ce sont rarement des Palestiniens qui les chantent. Cela m’interroge, même si je sais que la colonisation israélienne a rendu très difficile la possibilité pour ces artistes de se produire dans d’autres pays, bien qu’internet ait permis une meilleure diffusion.

En France, beaucoup de gens qui militent dans des mouvements antiracistes ont commencé par s’engager pour la Palestine. Au sein des comités Palestine – très proches de l’OLP –, on retrouvait des profils très divers : des étudiants syriens et des ouvriers algériens qui bossent chez Renault. Il y a toujours eu une constante palestinienne dans la lutte antiraciste. En 1983, lors de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, c’est la chanson Sabra et Chatila du groupe marocain Nass el-Ghiwane que l’on entend à l’arrivée des marcheurs à Paris.

Est-ce que vous vous intéressez aux musiques nées dans le sillage des printemps arabes, à la création musicale révolutionnaire  ?

Je suis une enfant des révolutions arabes. J’avais 18 ans lorsque la Tunisie s’est soulevée. Ce qui a le plus attiré mon attention, ce sont les chants dans les stades. Cela concerne évidemment surtout les pays où il y a des clubs de foot avec des mouvements ultras. J’ai constaté assez jeune, sans le formaliser ou mettre les mots dessus, que le stade était le seul lieu où l’on pouvait insulter Ben Ali. J’ai trouvé intéressant d’observer le développement des chants des ultras en Tunisie, mais aussi au Maghreb. Au début, il n’y avait pas de style musical consacré. Petit à petit, des mouvements vont se développer avec leurs propres artistes et leurs propres répertoires. C’est l’une des choses que j’ai le plus suivies parce qu’elle est le plus en lien avec le fait politique.

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