Entouré de son père et de près de 2 000 partisans à Aïn Zhalta, au cœur de la montagne druze, Taymour Joumblatt a officiellement pris dimanche les rênes du Parti socialiste progressiste, succédant à celui qui dirigeait cette formation depuis 46 ans et qui avait annoncé son retrait un mois auparavant. Le député de 41 ans a été élu d’office à l’issue d’un scrutin au Grand Hotel Victoria, alors que huit nouveaux membres du directoire du parti ont été choisis lors de la journée électorale. Cette transition politique a eu lieu à un moment charnière au Liban, où la bataille présidentielle bat son plein. Cette échéance cruciale sera le premier test politique pour le jeune leader druze. Celui-ci a cependant déjà donné le ton avant même son accession officielle à la tête du PSP en poussant les joumblattistes à rejoindre les partis chrétiens majoritaires et l’opposition dans leur soutien à la candidature de Jihad Azour, ancien ministre des Finances, à la présidence de la République. Un choix concrétisant la volonté du jeune chef de donner un souffle nouveau, tout en préservant les valeurs du PSP et son histoire, comme il a tenu à le souligner dans son « discours d’investiture ».
« Avance et n’aie pas peur »
Walid Joumblatt, 73 ans, avait déjà passé le flambeau à la tête de la communauté druze en 2017 à son fils, en posant symboliquement sur ses épaules le keffieh à damiers noirs et blancs. Il lui a également « légué » son siège de député en 2018. « Si Taymour veut que je l’aide, je suis prêt. Je lui donne toute sa liberté. Il a maintenant une nouvelle équipe et c’est lui qui décide », confiait peu avant le scrutin à L’Orient-Le Jour le zaïm de Moukhtara, qui avait lui-même repris le flambeau de son père Kamal Joumblatt, assassiné près d’un poste de contrôle syrien en 1977. « Après 46 ans, il est temps » de céder la place, a-t-il ajouté. « Avance et n’aie pas peur. Dieu est avec toi », a lancé quelques minutes plus tard Walid Joumblatt à son fils, dans un discours prononcé dans la foulée de l’élection, sous une pluie d’applaudissements. Après la diffusion de vidéos marquant les temps forts de l’histoire du PSP, le chef druze a abordé plusieurs questions sur la scène politique locale.
« Le dialogue est le seul moyen de parvenir à un compromis et de consolider la réconciliation », a déclaré Walid Joumblatt, estimant que la mise en place de « réformes globales et radicales est plus que nécessaire, loin des cosmétiques employées par les instances internationales qui ont détruit certains pays ». Une pique évidente au Fonds monétaire international qui exige, au même titre que la communauté internationale, une série de réformes pour venir en aide au Liban rongé, depuis 2019, par une grave crise économique. L’ex-chef du PSP a en outre souligné la « nécessité de renforcer l’armée et ses capacités ainsi que de mettre en place une stratégie de défense », en allusion à la question sensible des armes du Hezbollah. « J’espère que le chemin se poursuivra avec ceux avec qui nous avons fait tomber l’accord du 17 mai », dans une référence au document mort-né signé en 1983, en pleine guerre civile, entre le Liban et Israël pour mettre fin à l’état de guerre entre les deux pays.
Dans son premier discours en tant que chef du PSP, Taymour Joumblatt a, lui, « renouvelé le serment » de rester fidèle à la philosophie de Kamal Joumblatt, tout en appelant à « combler le fossé entre les générations ». « Je sais que préserver le legs est une mission difficile, a-t-il déclaré. Le développement et le progrès ne se font pas en niant le passé, mais en apprenant de ses leçons. » Dressant en quelques sorte les grandes lignes de son action à la tête du PSP, Taymour Joumblatt a déclaré : « Nous porterons les valeurs de la démocratie et l’arabité face au racisme et à l’immobilisme. Nous porterons la cause de la Palestine et la pensée socialiste humanitaire. » Et le député de poursuivre : « Le PSP restera le parti de la lutte pour la préservation du Liban des institutions, du véritable dialogue, non du Liban marqué par la vacance et le blocage », dans une allusion à la présidentielle bloquée depuis plus de huit mois. Taymour Joumblatt a dans ce cadre promis de « poursuivre le travail pour que l’échéance présidentielle ait lieu loin des refus en bloc, redresser l’économie et préserver les droits et la dignité des citoyens ». S’adressant à son père, le jeune leader druze a lancé : « Tu resteras le modèle, l’inspiration, la référence et le symbole. »
L’ambassadeur d’Arabie saoudite à Beyrouth, Walid Boukhari, a été parmi les premiers à féliciter Taymour Joumblatt. Selon plusieurs médias locaux, M. Boukhari a félicité le nouveau leader pour son élection dans un appel téléphonique et salué la « relation historique qui lie le roi d’Arabie » à Moukhtara. De même, le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, a félicité le nouveau chef druze. Il lui a ainsi souhaité la réussite sur les plans personnel et politique, et espéré « une bonne coopération à l’échelle de la Montagne et du pays ». Il a également assuré qu’il « poursuivra la coopération » avec Walid Joumblatt.
« J’espère que Taymour sera à la hauteur du bey »
Sur le terrain, la passation du pouvoir ne fait pas l’unanimité. Des fidèles du parti, qui ne cachent pas leur appréhension, se sont rués vers Walid bey avant le vote, pour lui parler ou prendre des photos avec lui. « J’espère que Taymour sera à la hauteur du bey et de Kamal. Il va certainement donner une image plus jeune du parti. Mais à mon avis, Walid Joumblatt devait rester à la tête du PSP », affirme une quinquagénaire, sous couvert d’anonymat. « Nous n’acceptons toujours pas le fait que Walid Joumblatt n’est plus le raïs. Cela prendra du temps », lance de son côté Farah Abi Maataz, originaire du Chouf. « Taymour est un jeune homme prometteur », ajoute-t-elle toutefois, estimant que le fait qu’il n’a pas grandi au Liban lui permettra d’aborder certains sujets autrement. Les jeunes ne cachent pas non plus leur nostalgie. « Le changement est difficile. On passe d’une génération à une autre. Nous avons confiance en Taymour, mais nous sommes habitués au bey qui a plus d’expérience », affirme un adolescent de 17 ans. « Taymour représente la voix des jeunes et de la raison. Cela est clair à travers les propositions de lois avancées au Parlement », estime pour sa part une jeune de 18 ans originaire de Baysour (Aley). Et de poursuivre : « Nous avons tous la même nostalgie (...) mais nous soutenons la politique. Quelle que soit la personne, les valeurs sont les mêmes. » « Mabrouk ya bey ! » lance un homme à la fin de la cérémonie, alors que le nouveau leader du PSP se fraye un chemin parmi une foule qui l’acclame. Face à ces fidèles partagés entre émotion et appréhension, Taymour Joumblatt a fait solennellement la promesse : « Nous poursuivrons le chemin de Kamal Joumblatt... »
commentaires (8)
Au moins il y a du changement, bravo et courage a Teymour...
Jack Gardner
17 h 48, le 26 juin 2023